Anne-Marie Nédélec : "Laissez-nous respirer"

, par Dominique PIOT

Madame Anne-Marie Nédélec est Maire de Nogent, Vice présidente de l’ Agglo chargée de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, et première vice-présidente du Conseil Départemental de la Haute-Marne. Jamais encartée, toujours sollicitée, Madame le maire de Nogent pourrait s’appuyer sur son bilan et la réussite du Pôle techno pour envisager de monter sur la plus haute marche du Conseil départemental.

Le JHM : Quelle enfance avec-vous connue ?

Anne-Marie Nédélec : Je suis née à Nogent. J’y ai mes racines. Les grands-parents gagnaient leur vie dans la coutellerie. Papa a été longtemps artisan polisseur, ouvrier à domicile. Conseiller municipal aussi, et très engagé dans la vie associative locale. Mon enfance fut celle, classique, d’une fille d’ouvrier avec des valeurs. Je me souviens : si je ramenais une mauvaise note à la maison, mon père, qui souhaitait que ses filles soient fonctionnaires, me fustigeait : "Tu finiras les mains dans l’huile". J’ai donc été élevée dans des valeurs fortes : l’école, la politesse, le respect. C’était l’époque où une bêtise à l’école se traduisait par une remontée de bretelles à la maison. Les fins de mois étaient difficiles, certes, mais mes parents faisaient avec les moyens dont ils disposaient. On ne partait pas en vacances à la mer. On n’avait pas de voitures. C’était le cas de beaucoup et n’y avait aucune frustration.

Le JHM : Le monde du travail a marqué votre famille...

A.-M. N. : Un drame nous a marqué durablement : l’accident de mon pére, à l’usine, à un mois de la retraite. Il a été sévèrement brûlé.

Le JHM : Quelle élève étiez-vous ?

A.-M. N. : Plutôt bonne élève. J’ai été trés tôt attirée par l’enseignement. Je suis devenue professeur d’histoire-géo et le hasard m’a conduite vers le privé, à Oudinot. J’y ai effectué toute ma carrière, et j’y ai rencontré de belles personnes. Mon époux travaillait aux Forges de Courcelles. Nous avons élevé ainsi nos deux enfants.

"Je n’aime pas les consignes de vote. Mais cala ne m’empêche pas d’avoir des convictions."

Le JHM : Quand avez-vous trouvé le temps de vous engager dans la vie politique ?

A.-M. N. : En 1989, on vient me chercher pour être conseillère municipale sur la liste de Robert Henry. C’est la première fois. Ce ne sera pas la dernière. Puis Michel Brocard, élu maire en 1995, me confie les finances et le poste de premier adjoint, fonction que j’occuperai pendant ses deux mandats. Mais en 2008, le choix de Michel Brocard de ne pas se représenter me désarçonne. Je n’avais jamais rien demandé ni convoité ; je n’avais pas de plan de carrière. J’ai fini par accepter, en inscrivant ma démarche dans une ligné, comme une succession. Les Nogentais nous ont fait confiance et je me suis retrouvée maire de Nogent !

Le JHM : Appartenez-vous à un parti ?

A.-M. N. : Non. Je n’aime pas les consignes de vote. Mais cela ne m’empêche pas d’avoir des convictions, ni d’être entrée au Conseil général, puis restée au Conseil départemental.

Le JHM : Vous êtes cataloguée comme connaissant bien le monde de l’entreprise...

A.-M. N. : Nogentaise, fille d’ouvrier, femme de "forgeron", forcément, je connais un peu cet univers. Je l’apprécie et le respecte.

Le JHM : Davantage que nombre de vos collègues ?

A.-M. N. : (...) (Silence)

On n’est pas qu’un territoire de tourisme vert !

Le JHM : On dit que vous possédez une véritable vision du territoire...

A.-M. N. : De par ma position, j’ai sans doute une vision qui dépasse Nogent. Ce sont des personnes extérieures à la Haute-Marne qui m’ont fait prendre conscience qu’on n’avait pas à avoir honte de nous. Au contraire.

Le JHM : Qui par exemple ?

A.-M. N. : Jean-Loïc Carré, parmi d’autres. Je l’écoutais. Il avait raison. On ne s’était jamais vus comme il nous révélait.

Le JHM : Cela nous amène à parler du Pôle techno ...

A.-M. N. : Je suis fière de cette réussite collective. C’est pour des défis comme ça que je continue. C’est la preuve qu’envers et contre tout, il y a des choses possibles. Je sais ce que je lui dois à Bruno Sido. Je lui sais gré d’avoir insisté pour que ça se passe à Nogent. Aujourd’hui, j’associe à cette réussite le couple Sanchette.

Le JHM : Que peut-on citer spontanément pour évoquer la réussite de ce projet ?

A.-M. N. : Par exemple les étudiants. Qui l’aurait cru il y a quinze ans ? Ils sont pourtant bien là, parfaitement intégrés, souvent brillants, avec du travail dans les entreprises du territoire.

Le JHM : Pourquoi cela fonctionne-t-il si bien ?

A.-M. N. : Parce que les gens qui pilotent ce projet s’investissent ; ils ont de vraies exigences. Cela correspond aussi aux besoins de notre territoire. La meilleure des réussites, c’est l’intégration que l’on constate derrière.

Le JHM : On peut donc réussir en Haute-Marne ?

A.-M. N. : Oui, on a aussi des atouts ; on peut étudier ici, travailler ici, vivre ici. Mais il ne faut pas seulement vouloir retenir les jeunes Haut-Marnais. Aujourd’hui, les gens bougent ; c’est normal. Il y en a qui partent. A nous de convaincre d’autres de venir.

Le JHM : La démographie ne joue pas en notre faveur.

A.-M. N. : C’est là mon défi, mon challenge, mon projet absolu. Inverser la courbe et convaincre qu’on n’est pas qu’un territoire de tourisme vert !

Le JHM : On cite votre nom pour succéder à Bruno Sido, si...

A.-M. N. : Il nous a dit qu’il hésitait sur son avenir ; j’ai un peu de mal à le croire. J’ai certes des propositions mais je ne suis pas prête à tout accepter. Il faut prendre en compte et respecter les gens qui, par leur vote, m’ont fait largement confiance. J’ai été élevée ainsi.

Le JHM : Quelle question aimeriez-vous vous voir poser ?

A.-M. N. : Qu’auriez-vous à dire au futur président de la République ? Parce que j’en aurais, à lui dire. Sur la réforme territoriale, par exemple. On nous a imposé trop de réformes à effet immédiat. On ne pourra pas continuer à travailler ainsi. Les choses se font au mépris des règles démocratiques (par exemple sur les fusions) et au mépris des règles sur la représentativité. Quelle part d’initiative va-t-on laisser aux élus et aux territoires ?
Je lui parlerais aussi des normes. Est-ce que quelqu’un va enfin se réveiller ? Les normes vont faire mourir le peu qui nous restait. Je songe par exemple aux normes de sécurité et d’accessibilité qui, appliquées sans aucun discernement, accélèrent la fermeture des commerces alors qu’on se bat pour préserver l’attractivité des bourgs-centres ! Aujourd’hui, ces normes appliquées à l’habitat social font augmenter les loyers : plus de 2 millions d’euros sur un an engloutis juste en diagnostic !
Alors laissez-nous respirer certes, mais...
Soyez plus inspirés pour corriger ce qui doit l’être !

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Supplément du Journal de la Haute-Marne - Dimanche 26 février 2017 en page 4

Propos recueillis par Dominique Piot.


Pour en savoir plus :

 Une école d’ingénieurs à la campagne : Article dans l’Usine Nouvelle du 26 novembre 2014.
 La recherche à Nogent : Nicci (Nogent international center for CVD innovation).
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 Marle a racheté fin juillet 2017 la société suisse SMB Médical.
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