Champagne-Ardenne : Les couteliers de Haute-Marne affûtent leur image en 2001

, par Christophe Juppin

La concurrence asiatique a contraint les industriels de la coutellerie-cisèlerie à se diversifier, avec succès, dans l’instrumentation chirurgicale ou la sous-traitance d’automobile...

Le Syndicat mixte du bassin d’emploi de Nogent (Symben), soutenu par les collectivités territoriales et la CCI Haute-Marne, travaille depuis deux ans (1998) à fédérer les industriels de la coutellerie-cisèlerie, qui comptent plus d’un millier de salariés. " Une trentaine d’entreprises, représentant l’éventail complet du secteur, la forge, l’estampage, le traitement de surface... sont nos partenaires actifs dans ce projet ", souligne Fabienne Rollet, animatrice économique du Symben.

Le haut de gamme, une garantie de réussite

La première étape est franchie, avec l’élaboration d’une charte de qualité visant à créer une marque collective, dont le logo et le nom restent à trouver. Pour y adhérer, il sera nécessaire de respecter des critères stricts de fabrication, à la fois techniques (emploi de certains métaux nobles) et géographiques (la production doit être effectuée en quasi-totalité sur le bassin nogentais).

La deuxième étape consistera à mettre en place un SPL (système productif local), qui s’appuiera sur des outils tels que l’antenne du Critt Mdts de Charleville-Mézières (Ardennes), ouverte à Nogent en 1988, et le Centre de formation des apprentis, créé il y a trois ans pour répondre aux besoins des entreprises locales. Le bassin fourmille, en effet, de PMI dotées d’un savoir-faire ancestral, dont certaines, reconverties à de nouvelles activités, s’imposent à un niveau mondial.

C’est le cas notamment de Marle, située à Odival, en Haute-Marne. Fondée en 1964, cette société (14,2 millions d’euros de chiffre d’affaires, dont 30 % à l’export, 93 salariés) produisait des ébauches estampées de ciseaux, de couteaux et d’outillage à main. Aujourd’hui, spécialisée dans l’estampage de précision des matériaux les plus nobles, elle est leader européen de la forge d’implants orthopédiques et de divers instruments chirurgicaux, et réalise également des pièces de haute technologie pour le sport automobile et l’aéronautique. Dans le cadre de son développement, Marle engage un investissement de 3,8 millions d’euros d’ici à 2004 pour se doter d’un nouveau parc de machines automatisées.

" Ne pouvant pas lutter en termes de prix de revient avec nos concurrents, notamment pakistanais, nous sommes contraints à la qualité. Spécialisés dans l’instrumentation chirurgicale sur mesure, nos instruments de haut de gamme valorisent le savoir-faire quasi artisanal de notre entreprise, née en 1909 ", explique Jean-Claude Oury, patron d’Oury-Guyé (2,6 millions d’euros de chiffre d’affaires), qui emploie 46 salariés, dont quatre Meilleurs Ouvriers de France.

Une approche qualitative que partage Eloi-Pernet (25 salariés), née en 1920, positionnée sur le marché des instruments de podologie, des professionnels de la beauté, et sur le secteur très particulier des coupe-cigares, distribués par Dunhill, Hermès ou Davidoff.

D’autres entreprises se développent avec succès sur des créneaux plus larges, telle la sous-traitance dans l’automobile, à l’image des Forges de Courcelles. Née en 1880 à Nogent et reconvertie depuis dans les pièces de sécurité (vilebrequins, pièces de liaison au sol, etc.) pour l’automobile, l’entreprise réalise l’essentiel de son chiffre d’affaires (79 millions d’euros en 2000) avec les grands constructeurs et équipementiers européens. " Nous avons lancé un investissement triennal de 23 millions d’euros pour nous doter de deux presses de 4 000 tonnes et d’une de 6 000 tonnes afin de rester au plus haut niveau et assurer une croissance à deux chiffres de notre chiffre d’affaires ", déclare Jean-Louis Deguy, P-DG de cette entreprise de 530 salariés, auxquels s’ajoute une centaine de CDD.

Créée en 1947, les Forges de la Ville, à Nogent (11,5 millions d’euros en 2000, dont 60 % à l’export, 110 salariés) ont également gardé de leur tradition coutelière un savoir-faire inimitable et une précision de la pièce estampée qui leur vaut aujourd’hui de travailler pour l’automobile, la manutention-levage, le poids lourd et le matériel agricole. " Il y a six ans, nous avons investi 4,5 millions d’euros pour recentrer nos activités éclatées sur deux sites, dont un obsolète en centre-ville. Aujourd’hui, nous consacrons une part significative de notre chiffre d’affaires à la modernisation de l’outil de production ", explique Dominique Lemaire, directeur général, qui souhaite passer de son statut actuel de sous-traitant à celui d’ensemblier en proposant des produits finis. C’est dans ce but que Les Forges de la Ville ont repris la société Marie, à Corlée, en Haute-Marne (7,2 millions d’euros de chiffre d’affaires, 65 salariés), spécialiste de l’usinage.

Tradition, savoir-faire et modernité

Dans un même esprit de diversification, Pascal Gillet reprenait en 1977 un atelier de fabrication d’outils coupants. Son entreprise, Gillet Outillage (40 salariés, 4,6 mil- lions d’euros de chiffre d’affaires, dont 50 % à l’export) est désormais tournée vers la machine spéciale, d’abord pour l’automobile. " Nous investissons près de 2 millions d’euros dans une unité de 3 800 mètres carrés, et pour acquérir un centre de tournage-fraisage intégrant de 30 à 40 % de nos besoins en sous-traitance. Notre chiffre d’affaires devrait atteindre 7,6 millions d’euros d’ici à cinq ans ", pronostique le dirigeant. De notre correspondant,

De la coutellerie à l’orfèvrerie

" La coutellerie de Nogent, dont les origines remontent au XIe siècle, n’a rien à envier à celle de Thiers ou de Sheffield ", affirment de concert les industriels de ce bassin haut-marnais, qui connut son heure de gloire vers 1850. Ainsi, fabriqués entièrement à la main, les couteaux de chasse et multilames des Etablissements Jacques Mongin, à Biesles ne sont pas de vulgaires outils coupants, mais de véritables oeuvres d’art. " Nos meilleurs clients sont Hermès à Paris et Lorenzi à Milan ", précise, non sans fierté, Daniel Margaux, successeur de son beau-père à la tête d’une entreprise née il y a soixante ans (neuf salariés, dont deux Meilleurs Ouvriers de France).

A l’opposé, la Société nouvelle Victoria (60 salariés), également implantée à Biesles, fabrique annuellement 10 millions de couteaux, épluche-légumes, ouvre-boîtes... vendus en grande distribution. " Nous produisons des articles grand public de qualité, mais proposons également une gamme pour les professionnels des métiers de bouche ", explique Rémi Berton, responsable du marketing.


Publié le 06 décembre 2001 dans www.usinenouvelle.com/


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