Haute-Marne, Silicon Valley, Haute-Garonne... qui fait quoi et où chez Airbus ? le 17 juin 2019 dans LeParisien. Les encadrements de hublot fabriqués en Haute-Marne

, par Christophe Juppin

Le géant européen s’appuie sur différents savoir-faire, en France et dans le monde entier, pour mettre en musique la production de ses appareils. L’usine des Forges de Bologne, du groupe LISI, en Haute-Marne, est réputée pour ses pièces de fixation dans l’aéronautique.

Ne plus dépendre des Etats-Unis, champions de la fabrication d’avions de ligne. C’était l’objectif, dans les années 1960, des Français, Allemands et Britanniques. Rejoints par les Espagnols, ils ont créé Airbus, géant européen qui emploie aujourd’hui plus de 130 000 salariés et pèse 63,7 milliards d’euros de chiffre d’affaires, dont 47,9 milliards d’euros pour la seule branche aéronautique, bien plus que ses divisions hélicoptère, défense et espace.

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L’ Airbus A350 est « l’avion long-courrier le plus respectueux de l’environnement au monde », selon la compagnie Lufthansa. Airbus

Autour du groupe, une myriade de sous-traitants s’activent, entre autres, pour l’A350, «  l’avion long-courrier le plus respectueux de l’environnement au monde », selon la compagnie Lufthansa. Leur savoir-faire, pour construire un moteur ou un siège, a permis au concurrent de Boeing de sortir plus de 12 000 appareils depuis sa naissance, il y a 50 ans.

A l’occasion du Salon international de l’aéronautique et de l’espace (SIAE), cette semaine au Parc des Expositions du Bourget (Seine-Saint-Denis), coup de projecteur sur la naissance de ces bijoux industriels, assemblés à Toulouse (Haute-Garonne) ou encore à Tianjin (Chine).

L’Allemagne, spécialiste du corps de l’avion

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13 000 employés s’occupent du fuselage, en Allemagne/Airbus

A Hambourg, plus de 13 000 employés s’occupent du fuselage, le corps de l’appareil. En parallèle, le site collecte et achemine les ensembles et composants majeurs d’avions destinés aux clients asiatiques. Airbus dispose d’autres usines dans le nord de l’Allemagne, comme celle de Brême qui fait travailler 2 700 personnes, dont 160 apprentis.

L’Espagne s’occupe de l’arrière

En Espagne, les 12 000 salariés d’Airbus s’occupent en particulier de l’arrière de l’avion, à l’image du stabilisateur horizontal fabriqué dans la banlieue de Madrid. Les trois usines ibériques de l’avionneur sont en partie touchées par les suppressions de postes liées à l’arrêt du programme A380.

Les ailes resteront « made in UK »

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Chaque appareil contient 10 000 pièces fabriquées au Royaume-Uni./AIRBUS

L’Allemand Tom Enders, l’ex-patron d’Airbus, avait menacé en début 2019 de quitter le Royaume-Uni en cas de Brexit sans accord. Son successeur, le Français Guillaume Faury, a assuré le contraire en mai 2019… De quoi rassurer les 14 000 employés du groupe, dont chaque appareil contient 10 000 pièces « made in UK » (sur environ 350 000) venant de 4 000 sous-traitants. Ceux-ci collaborent avec l’usine galloise de Broughton, spécialisée dans les ailes.

Retards évités par une société américaine

« Sans Palantir, Airbus n’aurait pas réussi la montée en cadence », assure Fabrice Brégier, ex-numéro 2 du géant européen et désormais patron de Palantir France. Née à Palo Alto (Etats-Unis), la société est connue pour aider des services de renseignement et de police à collecter et analyser des données informatiques afin de localiser un terroriste ou démanteler un réseau pédophile.

Palantir a aussi séduit des industriels comme Airbus. Le géant européen, qui a signé un contrat d’exclusivité pour que l’entreprise de big data ne travaille pas avec Boeing, utilise son savoir-faire, depuis 2016, pour la maintenance prédictive.

« Avant on rassemblait les informations de différents systèmes dans des fichiers Excel et on prenait un mois pour détecter les points bloquants dans le processus de fabrication. Aujourd’hui on met un jour car on collecte nos données sous un même format  », se félicite Guillaume Martin, data analyst chez Airbus.

Concrètement, la plate-forme collaborative permet à l’inspecteur qualité de signaler, via sa tablette, un trou d’un diamètre trop large. L’information remonte à la hiérarchie, au fournisseur… Avant que celui-ci ne produise de nouvelles pièces non-conformes. A la clé, moins de pénalités pour retards de livraison soit une économie de centaines de millions d’euros, estime Airbus.

Les sièges, un élément stratégique

Un ou deux emplacements de gobelets ? Une prise USB ou pas ? Quelle taille pour la tablette ? Les dilemmes sont nombreux quant au choix du siège par les compagnies aériennes. En effet, ils sont leur signature et donc stratégiques, principalement pour les premières classes ou business, et pèsent jusqu’à 5 % du prix d’un avion (101 millions d’euros, prix catalogue pour un A320 en 2018).

Mais n’équipe pas un Airbus qui veut. Le choix du fournisseur obéit à un processus très strict. Soit la compagnie commande auprès du groupe, à partir du catalogue de fournisseurs préalablement qualifiés par l’avionneur, ou bien elle achète directement via d’autres fournisseurs également préqualifiés par ce dernier.

Des start-up comme la française Expliseat, née en 2011, essaient de se positionner sur ce segment préempté par une poignée d’acteurs comme Recaro, Safran, Stellia, Rockwell Collins Rock…

Fabricant de sièges ultralégers pour la classe économique, en court et moyen courrier, Expliseat n’équipe pour l’instant que des compagnies aériennes étrangères. Depuis un an, elle est en plein processus de qualification au panel des fournisseurs d’Airbus en vue d’équiper un A320.

Les hublots fabriqués en Haute-Marne

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Bologne (Haute-Marne), le 5 juin 2019. Les forgerons sculptent des pièces en acier, aluminium ou titane.LP/Cyril Peter

«  Ici c’est sécurité, qualité et productivité. » Comme son père forgeron, Hamid Bouchama a été recruté par le premier employeur privé de Haute-Marne : les Forges de Bologne. Plus de 700 salariés se relaient 24 heures sur 24 dans les ateliers répartis sur un site centenaire de 13 ha, au milieu d’une forêt dense de chênes, hêtres et sapins. « C’est là que je fais du quad », sourit le responsable logistique en bleu de travail. Propriété du groupe industriel Lisi, dont la famille Peugeot est actionnaire, l’usine est réputée pour ses pièces de fixation dans l’automobile et l’aéronautique, qui pèse 60 % de son chiffre d’affaires de 97 millions d’euros. Fournisseuse de l’armée française pendant la Première Guerre mondiale, sous-traitante directe de Dassault et indirecte de Boeing, elle collabore avec Airbus depuis les années 1980.

Le géant européen la sollicite pour la structure et le moteur de ses A320, A321, A330… « Notre produit phare, c’est l’encadrement de hublot », précise Jacques Tschofen, chef du service recherche & développement.

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Une opératrice polit un encadrement de hublot qui sera posé sur un A320 ou un A330. LP/Cyril Peter

Cette pièce en aluminium est polie par trois ouvriers supervisés par Raphaël Da Cruz : « Quand Airbus nous rend visite, ce n’est pas bon signe. En général ils viennent une fois par an. Moi je vais chez eux en cas de problèmes techniques.  » Avant d’atterrir dans cet « îlot » de finition, les encadrements de hublot et autres pièces à embellir arrivent sous forme de lopins en acier ou titane, en provenance de Russie ou des Etats-Unis. Découpés par des scies à commande numérique, les morceaux sont ensuite placés dans des fours à environ 1 000 degrés.

C’est dans un hangar que les forgerons se succèdent, jour et nuit, devant des machines à presse. Certaines pèsent 2 000 t et effleurent le plafond, haut de 20 m. A deux pas, sur une table, sont posées des bouteilles d’eau en plastique. La température ressentie monte à 60 degrés !

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Pièces de fixation des portes des A320. LP/Cyril Peter

Une fois refroidies, les pièces sont badigeonnées de gel puis auscultées par des opérateurs munis d’un palpeur. « C’est comme une échographie, on analyse les défauts intérieurs », illustre un salarié. Il faut compter entre deux et quatre mois pour fabriquer ces produits, ensuite expédiés à Toulouse (Haute-Garonne), où sont assemblés les avions Airbus, ou à Saint-Nazaire (Loire-Atlantique), un autre site du groupe.

A Toulouse, « les compagnons » assemblent

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Les ailes fabriquées au Royaume-Uni et le fuselage produit en Allemagne sont assemblés à Toulouse (Haute-Garonne)/Airbus

Mécanicien, électricien, chaudronnier, peintre… Chez Airbus, les opérateurs sont appelés « compagnons  ». A Toulouse (Haute-Garonne) et dans sa périphérie, fief historique où immeubles de bureaux et hangars du groupe se succèdent le long de l’autoroute, leur mission consiste à assembler le nez fabriqué en Picardie, le fuselage produit en Allemagne et autres composants livrés en Beluga, l’avion-cargo en forme de baleine qui sillonne les différents sites de la marque dans le monde.

A deux pas du centre de formation, le « learning center », la chaîne d’assemblage final en forme de L voit naître jusqu’à dix appareils par mois. En cet après-midi, les ailes «  made in UK » viennent d’être installées. D’où ce silence : « C’est toujours plus calme en fin de cycle  », commente Jean-François Mathieu, responsable des équipes du programme A350.

« Montée en cadence » oblige, 2 000 ouvriers «  travaillent de 7 heures à minuit et parfois de nuit pour une panne électrique ou des travaux de peinture », illustre-t-il. Airbus mise aussi sur des data analysts, in situ, pour anticiper un problème technique et améliorer la productivité. Dans les allées jouxtant les bureaux de cols blancs, ingénieurs en mécanique et développeurs informatiques croisent ainsi de jeunes apprentis en bleu de travail.

Étapes suivantes : le moteur est posé dans un autre hangar avant que l’A350, quasiment fini, se pose dans l’atelier peinture. Durée de ce séjour toulousain ? « Entre l’arrivée des différentes pièces et la livraison, il faut compter entre 80 et 100 jours », assure Jean-François Mathieu.

Dans la dernière ligne droite, des tests sont réalisés pendant une semaine, sous les yeux d’une équipe envoyée par la compagnie cliente comme Finnair ou Air China. Validé, le produit fini peut alors décoller de l’aéroport international de Toulouse-Blagnac, dont les passagers en attente aperçoivent au loin les avions qui les transporteront demain.

Salon international de l’aéronautique et de l’espace, du 17 au 23 juin de 8h30 à 18 heures au Parc des Expositions du Bourget (Seine-Saint-Denis).


publié par Cyril Peter, envoyé spécial à Toulouse (Haute-Garonne) et à Bologne (Haute-Marne) et Virginie de Kerautem le 17 juin 2019 dans http://www.leparisien.fr


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