La nécropole hallstattienne de Chaillon (Meuse)

, par Christophe Juppin

Localisée sur le tracé du futur T.G.V.-Est en Lorraine (Meuse), la fouille de Chaillon a été conduite par Valérie Delaugeas (I.N.R.A.P.) en septembre/octobre 2002. Elle fait suite à une campagne de diagnostics archéologiques réalisée par Frank Mourot (Conseil Général de la Meuse) et Claire Tristan (I.N .R.A.P.) qui a permis la découverte d’une petite nécropole hallstattienne comportant une vingtaine de sépultures.

La période hallstattienne est très présent sur ce territoire traversé par la Seine avec le « prince » de Lavau dans l’Aube et la « Dame de Vix » en Côte-d’Or.

Le matériel métallique assez bien conservé a été confié au Laboratoire d’Archéologie des Métaux à Jarville-la-Malgrange (Meurthe-et-Moselle) pour être consolidé et stabilisé. L’étude anthropologique ayant été réalisée dans le cadre du rapport de fouille, l’étude du mobilier et des pratiques funéraires a fait l’objet d’un travail de maîtrise sous la direction de Anne-Marie Adam (Université Marc Bloch, Strasbourg Il).

Le site se trouve à l’ouest de la commune de Chaillon (Meuse) à une trentaine de kilomètres au sud-est de Verdun dans les côtes de Meuse dans une étroite vallée qui fait communiquer le bassin de la Meuse et la plaine de Woëvre vers la vallée de la Moselle.

La nécropole a été établie à flanc de colline dans un petit vallon sec. Le décapage effectué de manière extensive n’a mis en évidence aucune enceinte et il semblerait que nous soyons en présence de la nécropole dans son intégralité.

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Vue de détail d’une sépulture de guerrier.
Cl. : V. Delaugeas/Inrap
https://www.inrap.fr/meaucourt-3805#

Les pratiques funéraires

La nécropole a livré 19 fosses pour 23 individus inhumés (14 sépultures individuelles, 3 multiples, 2 vides et 2 bouleversées). Toutes les fosses, orientées ouest/est, sont taillées à des dimensions anatomiques. On y trouve une variété de formes, de plans, d’aménagements internes et d’associations avec des contenants en matière périssable. Quelques fosses présentent des aménagements en pierre qui correspondent certainement à des calages de coffres ou de cercueils en bois.

Valérie Delaugeas opte plutôt pour des caissons sans couverture en raison d’un colmatage rapide des cadavres. On note aussi une forte proportion d’indices de linceuls. La majorité des inhumations ont été faites en décubitus dorsal. Un seul individu repose en pro-décubitus les jambes croisées. S’agit-il d’une pratique de rejet ?
La nécropole s’organise selon quatre alignements plus ou moins homogènes parallèles orientés est/ouest. L’analyse de l’organisation spatiale des tombes dans leur contexte topographique montre que les alignements de sépultures correspondent aux courbes de niveaux, la nature même du terrain ayant favorisé cette disposition. Les espaces intermédiaires pourraient correspondre à des axes de circulation.

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Vue de détail d’une dague jogassienne et des éléments de ceinture déposés aux pieds du défunt.
Cl. : S. Degobertière/Inrap
https://www.inrap.fr/meaucourt-3805#

Une population de guerriers ?

La mauvaise conservation des os ne permet pas de déterminer les sexes des défunts avec précision. Ainsi, on notera dix individus de sexe indéterminé, onze hommes et une femme. Tous les sujets sont des adultes sauf un immature représenté par quelques fragments osseux erratiques.

La population de la nécropole ne correspond donc pas à une population "naturelle" car elle est constituée dans sa grande majorité d’hommes inhumés avec de l’armement. Si les fers de lance ne sont pas atypiques, la présence de deux garnitures de hampe en alliage cuivreux est exceptionnelle et ne trouve qu’un seul parallèle en Champagne. Les éléments métalliques issus du blindage d’un bouclier (2 orles) seraient la plus ancienne attestation directe de cette arme en Europe non méditerranéenne. La mise au jour de trois dagues jogassiennes permet de contextualiser la réflexion sur ce type d’armement qui souffrait du manque de découvertes funéraires précises. La dague avec fourreau en fer sur gaine de bois marque la transition entre le fourreau hallstattien associant bois, fer et alliage cuivreux et le fourreau laténien qui n’utilisera que le fer. Cette arme est donc le reflet 41 des progrès technologiques des forgerons du Vème siècle avant J.-C. et joue un rôle fondamental dans notre connaissance du travail du fer à la charnière entre les deux âges du Fer.

Il est intéressant de souligner l’existence de traumatismes guerriers sur deux individus inhumés dans des tombes modestes sans déposition d’armement (extrémité d’un fer de lance à l’intérieur d’un fémur et bloc crânien transpercé par un fer de lance). S’agit-il de guerriers inhumés sans leurs armes ou de civils victimes de "dommages collatéraux" ? A Chaillon, six tombes sont donc associées à la thématique de la guerre soit près du quart du nombre total d’individus inhumés dans la nécropole.

La présence d’une seule femme, pourrait confirmer l’attribution de cette nécropole à une population militaire regroupant de jeunes hommes, même s’il est difficile de privilégier cette hypothèse dans la mesure où on ne peut pas donner d’âge précis aux adultes.

Les groupes sociaux dans l’organisation de la nécropole

Les tombes masculines riches se composent de quatre tombes de guerriers (1001, 1005, 1018 et 2008). Trois de ces tombes se caractérisent par la présence d’une panoplie comportant une arme de poing avec son système de suspension et une paire d’armes d’hast. Cet ensemble peut être associé à une arme défensive (bouclier), une pièce d’harnachement (phalère) et un accessoire vestimentaire (fibule).

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Inhumation avec un bracelet de lignite.
Cl. : V. Delaugeas/Inrap
https://www.inrap.fr/meaucourt-3805#

La tombe féminine 2001 peut être considérée du même rang social en raison de la présence de perles en matériaux précieux provenant d’échanges à longues distances (ambre et corail). De plus, il est très probable qu’un torque et des bracelets accompagnaient la défunte car la sépulture a été pillée. Les tombes modestes ne possèdent aucun dépôt funéraire, une unique offrande alimentaire ou une céramique. On peut y ajouter les tombes ne comportant qu’un seul bracelet ou un bracelet accompagné d’accessoires vestimentaires (fibules, crochet de ceinture ou passe-lacet).

Dans chaque alignement de sépultures, on note la présence d’une tombe riche correspondant très probablement à la tombe fondatrice du groupe. Cependant il est difficile de confirmer cette hypothèse en l’absence de datations relatives entre les sépultures d’un même groupe. En règle générale, une tombe avec une panoplie d’armes est associée à un alignement sauf pour le quatrième groupe où il s’agit d’une tombe féminine probablement avec torque. D’un point de vue chronologique, il semble que la nécropole se soit développée du nord vers le sud, c’est-à-dire vers l’aval. Cette hypothèse s’appuie sur les datations respectives des sépultures et sur l’évolution technologique des dagues. Ainsi, le premier groupe peut être daté de la fin du Hallstatt D2 grâce à une fibule F2A1 représentative de cette période en Champagne. Les deux derniers groupes quant à eux sont datés du Hallstatt D3.

L’utilisation de la nécropole de Chaillon pendant une courte période et la présence d’un ensemble important de mobilier métallique très bien conservé est essentielle pour la connaissance du Hallstatt final meusien. L’analyse du matériel métallique confirme ce qu’induisait déjà la céramique sur d’autres sites (Trémont-sur-Saulx), c’est-à-dire une forte influence champenoise dans la Meuse. Afin de compléter notre connaissance du contexte régional de Chaillon, le bassin supérieur de la vallée de la Meuse du VIIIème au IVème siècle avant J.-C. fait l’objet d’un D.E.A. Enfin, l’étude de la nécropole toute proche de Lacroix-sur-Meuse (Hallstatt final/La Tène ancienne), fouillée par Jean-Charles Brénon (I.N.R.A.P.), apportera sans doute un complément d’information sur la transition entre les deux âges du fer dans cette région.

Bibliographie

DeJaugeas 2003 : V. DELAUGEAS, Rapport d’évaluation archéologique, Chaillon, "Meaucourt" (55), dactylographié, I.N.R.A.P. Coordination T.G.V. Est/S.R.A. Lorraine, Metz, février 2003.
Landolt 2004 : M. LANDOLT, La nécropole hallstattienne de Chaillon (Meuse), mémoire de maîtrise, dactylographié, Université Marc Bloch, Strasbourg Il, octobre 2004, 2 volumes.
Tristan 2002 : C. TRISTAN, Rapport de diagnostic archéologique, Chaillon, Zone de stockage n°10 (55), dactylographié, I.N .R.A.P. Coordination T.G.V. Est/S .R.A. Lorraine, Metz, juin 2002.

Publié par Michaël Landolt le 26 août 2005, dans le Bulletin de l’Association Française pour l’Étude de l’Âge du Fer, Bulletin n°23, AFEAF, 2005, pp.41-43., sur https://hal.archives-ouvertes.fr


Pour en savoir plus :

 La nécropole hallstattienne de Chaillon (Meuse) le 26 août 2005
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