Le Traité d’Andelot le 28 novembre 587 Game of Thrones ? La lutte entre Frédégonde et Brunehaut.

, par Christophe Juppin

Le traité d’Andelot (587), en Haute-Marne, est le plus ancien document diplomatique de notre histoire dont la teneur soit conservée entièrement. Il fut signé le 28 novembre 587 entre deux descendants de Clovis 1er.

Les débuts de la faide Royale (vendetta) ( 572-587) :

Au VIe siècle, l’empire romain d’occident a disparu et l’Europe occidentale est dominée par des souverains germaniques : l’Espagne, par le roi des wisigoths et la France (alors divisée en Royaumes concurrents), par plusieurs rois francs de la dynastie mérovingienne.

À la mort de Clovis, en 511, quatre royaumes avaient été créés avec pour capitales : Reims, Soissons, Paris et Orléans, l’Aquitaine étant répartie séparément. Dans les années 550, Clotaire, dernier survivant des quatre frères, reconstitue l’unité du royaume franc, augmenté du territoire burgonde (Burgundia, Burgondie, Bourgogne), conquis entretemps.

En 561, les quatre fils de Clotaire effectuent un partage analogue à celui de 511 : Sigebert à Reims, Chilpéric à Soissons, Caribert Ier à Paris, Gontran à Orléans, ce dernier royaume incluant maintenant le territoire burgonde. Ils se répartissent de nouveau l’Aquitaine séparément.

Très vite, Sigebert déplace sa capitale de Reims à Metz ; Gontran déplace la sienne d’Orléans à Chalon.

À la mort de Caribert en 567, sa part est partagée entre les trois survivants : en particulier, Sigebert (Metz) reçoit Paris et Chilpéric (Soissons) Rouen.

C’est à cette époque, vers la fin du VIe siècle, qu’apparaissent les deux nouvelles dénominations d’Austrasie pour le royaume de Metz et de Neustrie pour le royaume de Soissons et ses dépendances.

En l’an 564, le roi wisigoth d’Espagne Athanagild donne en mariage ses filles Brunehaut et Galswinthe à deux rois mérovingiens : Sigebert, roi d’Austrasie, et son demi-frère, Chilpéric roi de Neustrie.

Or, si le mariage entre Brunehaut et Sigebert est heureux, celui de Galswinthe et Chilpéric tourne dès 568 au drame.
Les deux couples auraient pu couler des jours heureux en cette seconde moitié du VIe siècle s’il n’y avait eu Frédégonde, la concubine en titre de Chilpéric qui n’apprécie absolument pas les noces de son royal amant « qu’elle mène par le bout du nez » (1)

Grégoire De Tours, évêque et chroniqueur, contemporain des faits, nous en raconte ceci : « Comme (la reine) se plaignait constamment auprès du roi d’avoir à supporter des injures et de jouir auprès de lui d’aucune considération, elle demanda à rentrer librement dans sa patrie () à Tolède. Vers 570, le roi () la fit égorger par un esclave et on la trouva morte dans son lit. »
[Grégoire De Tours, « Histoire des Francs », Livre IV, 28 - Trad. R. Latouche]

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Galswinthe (540-568), reine des Francs. Elle était fille d’Athanagild, roi des Wisigoths d’Espagne, et sœur aînée de Brunehaut, épouse de Sigebert, roi d’ Austrasie . Mariée à Chilpéric Ier en 567, sa maîtresse Frédégonde le convainc de tuer Galswinthe pour pouvoir se marier. C’est ainsi que Galswinthe périt étranglée par son mari en 568... Peinture d’Eugene Philastre 1846 (Crédits : Vincent Charpentier)

Brunehaut décide de venger sa soeur et convainc son mari Sigebert, ainsi que son autre beau-frère, Gontran, roi de Bourgogne, de punir Chilpéric.

En fait non, Brunehaut ne veut pas se venger, mais elle veut participer à la récupération de territoire, donc quoi de mieux qu’un meurtre odieux pour justifier une guerre d’abord et ensuite toute l’entreprise patiente de récupération de tout un certain nombre de villes jusqu’à essayer de grignoter tout le royaume voisin.

Chilpéric, le fautif, promet des compensations territoriales : une composition (wergeld), mais revient sur son engagements, si bien que la guerre éclate en 572.

Les chroniqueurs de l’époque appellent ce long conflit qui va mettre les royaumes mérovingiens à feu et à sang « La Faide » (vendetta) Royale. Tandis que Gontran tergiverse, son frére et son demi-frére s’affrontent. En 575, alors qu’il assiège Chilpéric, Sigebert est assassiné. Mais « La Faide » Royale ne prend pas fin pour autant car la reine Brunehaut poursuit les hostilités au nom de son jeune fils Childebert II, nouveau roi d’Austrasie, qui n’a que 5 ans. Lorsque Chilpéric meurt en 584, sa veuve la reine Frédégonde continue elle aussi la guerre au nom de son propre fils, Clotaire II, tout en implorant la protection du roi Bourgonde.

Le Traité d’Andelot le 28 novembre 587

En 587, cela fait quinze ans que dure « La Faide » Royale opposant l’Austrasie et la Neustrie.

Gontran, roi de Bourgogne, quand a lui, n’a toujours pas choisi son camp. Cependant, s’il a accepté de devenir le parrain du jeune roi de Neustrie Clotaire II, il incline plutôt pour l’Austrasie, surtout lorsque Childebert II lui livre un de ses Généraux accusé par Gontran d’avoir soutenu, voir fromenté, une révolte contre lui.

Au mois de novembre 587, le vieux roi Gontran, roi de Bourgogne, rencontre à Andelot, village alors proche de le frontière entre les deux Royaumes. Andelot- Blancheville, est aujourd’hui situé près de Chaumont en Haute-Marne.

Le jeune roi Childebert II, roi d’Austrasie, accompagné de sa mère, le reine Brunehaut et de sa soeur Chlodoswinthe, ainsi que de son épouse Faileuba et du conseiller Magnéric de Trèves, et de nombreux grands nobles et évèques Austrasiens (dont l’historien Grégoire De Tours en personne), alla à la rencontre de son oncle, Gontran, roi de Bourgogne accompagné de nombreux grands nobles et évèques Bourguignons.

L’oncle et le neveux s’échangent de précieux cadeaux pour l’occasion de cette entrevue historique.

Ils se répartissent des territoires dont ils se contestaient jusque là la possession.

Signé le 28 Novembre 587, ce Traité d’Andelot est le document politique le plus ancien de l’histoire de France dont on dispose intégralement, grâce à Grégoire De Tours, évêque et chroniqueur, qui l’a retranscrit dans son "Histoire des Francs".

Childebert II récupère ainsi la Bourgogne et l’Orléans. Grégoire de Tours a participé à l’élaboration de ce traité.

Ils s’engagent à respecter une paix perpétuelle entre l’Austrasie et la Bourgogne. Le Traité d’Andelot devait restaurer la paix entre les royaumes francs et faire cesser les querelles, c’est un euphémisme, et les assassinats, afin de pacifier les royaumes mérovingiens. Ils instaurent la libre circulation des marchands et des voyageurs entre les deux territoires.

Ils s’engagent à reconnaître l’autre comme héritier, de façon à préparer l’union des deux Royaumes. Gontran, qui n’a pas d’héritiers mâles, promet également de léguer l’Austrasie et la Bourgogne aux deux fils de Childebert II au cas où il mourrait après lui.
Le dernier vivant recevra le domaine de l’autre. Gontran considère ses petits neveux comme ses héritiers.

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Le royaume des Francs en 567.

La plus grande partie du document est consacrée à des clauses territoriales. Le sort de la dot et du douaire de la malheureuse Galswinthe, sœur de Brunehaut, y est réglé. Il fut donné en viager au roi Gontran, sauf Cahors que se réserva la reine. C’est un exemple du dépeçage de territoires auquel se livraient, contre tout bon sens, les rois mérovingiens dans leurs partages.

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Le traité d’Andelot (587), en Haute-Marne.

Une disposition curieuse du traité, qui était peut-être de style, mérite d’être relevée : Il est convenu qu’aucun des deux rois ne cherchera à attirer les leudes c’est-à-dire les grands qu’un serment de fidélité attachait au souverain, de l’autre et qu’il n’accueillera pas ceux qui viendront à lui. Cette disposition en dit long sur la versatilité des hommes de cette époque.

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1400e anniversaire du Traité d’Andelot, le 28 novembre 587. N°WT : POSTE-1987-48.

Timbre dessiné et gravé en taille-douce par Eve Luquet , Emission le 28 novembre 1987 dans https://www.wikitimbres.fr
Vente anticipée le 28 novembre 1987 à Andelot (Haute-Marne)

Les relations avec l’Austrasie et la Bourgogne (592 – 613)

L’union Austrasie-Bourgogne ne dure que jusqu’en 595 ; à la mort de Childebert II, l’Austrasie est attribuée à son fils Thibert (ou Théodebert) et la Bourgogne à Thierry (ou Théodoric) ; Brunehaut est toujours présente, mais son pouvoir et son rôle de régente ne sont pas toujours acceptés, et les deux frères sont loin d’être toujours en accord.

Game of Thrones ? Mort naturelle pour Frédégonde, supplice pour Brunehaut

La rivalité entre Frédégonde et Brunehaut durera jusqu’en 597, année de la mort apparemment naturelle -aussi curieux que cela paraisse en cette époque où les assassinats étaient légion- de la reine Frédégonde, à environ 52 ans.

La reine Frédégonde meurt en 597, laissant Clotaire II gouverner désormais seul. Il reprend le flambeau dans la lutte contre Brunehaut.

16 ans plus tard, ayant envahi l’Austrasie en 613, il s’empare de Brunehaut, elle a 66 ans.

« La tradition nous rapporte son supplice : après avoir été humiliée trois jours durant à dos de chameau à travers les rangs de l’armée de Clotaire II, le 13 octobre 613, Brunehaut est attachée par les cheveux, un bras et une jambe à la queue d’un cheval qu’on lance au galop », rapporte l’auteur (1).
Le corps fut traîné jusqu’à ce qu’il fût entièrement mis en morceaux, que l’on ramassa et brûla. Ses arrière-petits-enfants, qui avaient aussi été emprisonnés, furent également massacrés.

C’est ainsi que Clotaire II, après la conquête du royaume d’Austrasie et du royaume de Bourgogne. devint l’unique roi des Francs de 613 à 629.

Clotaire II meurt le 18 octobre 629 à l’âge de 45 ans, et est inhumé, comme son père, dans la basilique Saint-Vincent de Paris.

(1) «  Il était une fois la France » par Claude Quétel , éditions Buchet-Chastel, septembre 2021, 544 pages, 27 euros. Historien, ancien directeur au CNRS et directeur scientifique du Mémorial de Caen, l’auteur propose avec cet ouvrage une « biographie » de l’Histoire de France en un récit continu, chronologique, « volontairement allégé de tout appareil scientifique ».

Publié par Johan Legrand et Théo Caviezel le lundi 23 août 2021 (Jour 15) en page 142 dans Le tour du monde de la Haute-Marne

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Archives nationales de France @ArchivesnatFr · 13 janvier 2023
#LeSaviezVous ? Les @ArchivesnatFr conservent le plus ancien acte royal médiéval conservé au monde, un acte de juin 625 du roi Clotaire II, père du fameux Dagobert.

Pour en savoir plus :

 Le Traité d’Andelot le 28 novembre 587
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 D’ACAL au Grand Est, en passant par l’Austrasie le 14 mars 2016
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 Austrasie, le royaume merovingien oublié le 16 septembre 2016
 Austrasie, le royaume oublié le 23 septembre 2016
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