Le paradis des arbres dans le Parc national de Forêt de Champagne et Bourgogne A la dernière glaciation, des végétaux se sont installés et sont restés, notamment dans les combes, ces fonds de vallon plus humides

, par Herve Parmentier

Le 11ème Parc national a été créé par Décret n° 2019-1132 du 06 novembre 2019 publié au journal officiel le 07 novembre 2019. Venez partager le plaisir qu’on ressent face à cette merveille de la nature. Au cœur de la majestueuse forêt du nouveau parc national de Champagne et Bourgogne, niche la cigogne noire. L’immense oiseau a trouvé un gîte à sa démesure. Dans un oasis du Parc national de Forêt jaillissent une quinzaine de sources dont celles de la Marne, de la Seine et de l’Aube.

C’est le phénix des hôtes de ces bois...Après avoir failli disparaître, cet ouiseau niche au paradis : 241 000 hectares de nature protégée, soit 300 fois la surface du parc de Versailles. L’ensemble vient de devenir parc national, un prestigieux label apposé sur le Grand Canyon, la faune africaine du Sarengeti, les volcans de Hawaii...C’est la première fois que ce titre est attribué à une réserve forestière en France métropolitaine. Les activités humaines y seront réglementées, et il comprend même une surface 100% sauvage de plus de 3 000 hectares. Il aura fallu une décennie pour mettre au point un tel projet, dont l’inauguration est prévue au printemps : quand les cigognes seront revenues d’Afrique, où ramages et plumages fuient les frimas.

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La combe du Bouddha : le nirvana pour érables et fougères scolopendres. ( photo Philippe Petit/ Paris Match)

La lumière du jour filtre, dans un camaïeu de verts, à travers la canopée. Un tapis de mousses moelleuses et humides matelasse le pied de cet arbre, le plus vieux sycomore de la forêt, un érable d’au moins 200 ans. Couvert d’une écorce dont les lambeaux évoquent des rangées de tuiles gris souris, son tronc fier et droit s’élance vers le ciel. Il faut se mettre à deux pour l’embrasser. Ses feuilles au pétiole rougeâtre et au limbe découpé en cinq commencent à se teinter aux couleurs de l’automne. « Je n’imagine pas une forêt sans arbres mythiques comme celui-là  », s’émerveille Jean-Jacques Boutteaux, responsable ONF du massif d’Auberive, en Haute-Marne. Pour arriver jusqu’à cet arbre unique, marqué d’un rond bleu signalant son caractère exceptionnel, nous avons coupé à travers bois, les bras griffés par les ronces, enjambant des souches biscornues, écartant les fines branches des noisetiers et des multiples essences qui se développent sous les arbres dominants.

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Situé dans le massif des Charbonnières, ce sycomore vaut 25 000 euros au cours du bois sur pied. ( photo Philippe Petit/ Paris Match)

Le forestier a voulu nous faire partager le plaisir qu’il ressent face à cette merveille de la nature. Un peu plus loin, il montre «  un beau jeune » de 20 centimètres de diamètre, tout juste quinquagénaire. Un rond bleu sur le torse, lui aussi. « Un sprinteur qui va s’imposer », précise-t-il. Premier à atteindre l’étage dominant et le soleil, il a commencé à déployer les branches et développer les feuilles qui vont lui permettre de se nourrir et de grossir plus vite que ses voisins.

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Jean-Jacques Boutteaux, responsable de l’Office national des forêts pour le massif d’Auberive et référent français du réseau Cigogne noire. © Philippe Petit/Paris Match

Autour de lui, c’est « la salle d’attente  » de laquelle n’émergeront que les pieds les plus vigoureux. Pour l’heure, une trentaine de « brins » vingtenaires patientent. Jean-Jacques Boutteaux fait partie de ceux qui ont mis en œuvre, il y a vingt-cinq ans, cette gestion durable de la forêt en « futaie irrégulière » dans laquelle chaque arbre est individuellement pris en compte. A l’opposé de la « futaie régulière  », qui se fait sur une coupe rase avec des arbres tous du même âge. «  Nous sommes devenus une référence nationale et nous avons même mis en place une école pour former à ce type de gestion forestière  », se félicite-t-il.

Au coeur de la majestueuse Forêt du nouveau parc national de Champagne et Bourgogne, l’immense oiseau a trouvé un gîte à sa démesure.

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Ici régne la cigogne noire. Emblème du parc, qui en compte cinq couples, cet échassier mesure environ 1 métre et vit un quart de siècle. (Photo Fabrice Crozet)

Une gestion validée par la meilleure des inspectrices : la cigogne noire. Moins connue que sa cousine blanche qui niche sur les cheminées alsaciennes, plus discrète et farouche, elle avait disparu de la région avant d’y revenir au début des années 1990. Preuve de la bonne santé écologique des lieux. «  Elle trouve ici le gîte, des arbres assez grands pour accueillir son nid, et le couvert, grâce au chabot, un petit poisson évoluant dans les eaux non polluées », explique Jean-Jacques Boutteaux. Inscrit sur la liste rouge des espèces menacées de l’UICN (Union internationale pour la conservation de la nature), ce bel animal, le plus grand oiseau forestier de France, est une espèce «  parapluie » : son espace vital est assez grand pour que sa protection assure aussi celle d’autres espèces. Elle est l’emblème du parc national des forêts de Champagne et Bourgogne.

Hervé Parmentier, directeur du groupement d’intérêt public (GIP) de préfiguration du parc, définit celui-ci comme « un site exceptionnel de 50 millions d’arbres, une mosaïque de paysages et de milieux, ainsi qu’une flore et une faune remarquables  ». Ici, 80 % de la forêt était déjà présente à la Révolution française (contre 7 % dans le Mercantour). A cheval sur deux départements, le parc se situe sur le carrefour biogéographique de la France ; il y a là des influences méditerranéennes, steppiques, montagnardes et continentales. L’eau a creusé des vallées. Les versants nord abritent des forêts froides de tilleuls, érables et fougères scolopendres, tandis que des hêtraies sèches et des forêts montagnardes se déploient sur les versants sud.

La Marne, la Seine, l’Aube...Une quinzaine de sources jaillissent de la villa Médicis des Forêts.

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La mousse sur les concrétions calcaires de la tuffière d’Amorey, dans la forêt d’Auberive. (photo © Philippe Petit/Paris Match )

Dans cette oasis jaillissent une quinzaine de sources dont celles de la Marne, de la Seine et de l’Aube. Accroupie au milieu du marais tufeux de la combe des Roches, la botaniste Emilie Weber boit avec ses mains dans une flaque. «  Goûtez ! nous exhorte-t-elle. C’est de l’eau de source au sens noble du terme. Le plateau calcaire la filtre. Même les traces de pesticides sont éliminées. »

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Emilie Weber, botaniste, dans le marais tufeux de la combe des Roches, à Chameroy. © Philippe Petit/Paris Match

La jeune femme de 34 ans, qui travaille au conservatoire botanique national du Bassin parisien, une émanation du Muséum d’histoire naturelle, se décrit en « lanceuse d’alerte de la nature » chargée d’identifier les joyaux à préserver. « A la dernière glaciation, des végétaux se sont installés et sont restés, notamment dans les combes, ces fonds de vallon plus froids et humides  », explique-t-elle. Les marais tufeux, aux allures de brousse humide roussie, sont des vestiges de cette époque. Ils abritent des plantes qu’on ne rencontre d’ordinaire qu’en montagne. En ce début octobre 2019, Emilie Weber se réjouit de voir encore en fleur cet aconit napel, aussi appelée casque-de-Jupiter en raison de la forme de son éperon bleuté.

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Un vrai poison : le casque de Jupiter, ou aconit napel. (photo Philippe Perit/ Paris Match)

« Si vous avez une belle-mère à éliminer, c’est maintenant, plaisante la chercheuse. Cette jolie fleur est la plus toxique d’Europe. » C’est à travers sa loupe de botaniste, le nez littéralement collé à la lentille, qu’il faut admirer «  bryum pseudotriquetrum », une mousse aux brins en forme d’étoiles vertes qui pousse sur les concrétions calcaires du marais. Emilie Weber insiste sur l’importance de conserver dans la forêt des bois morts dans lesquels nichent pics, chauves-souris et micromammifères, et qui abritent aussi mousses, lichens et champignons typiques de la décomposition des arbres absents de 99 % de la forêt française.

Ce onzième parc national français est cependant le premier, en métropole, à être consacré à la forêt. Une zone de réserve intégrale va être créée sur 1,4 % de sa surface : 3 100 hectares (l’équivalent de 4 428 terrains de foot) sur lesquels la forêt va redevenir sauvage. « Demain, veut croire Hervé Parmentier, ce territoire réservé aux scientifiques deviendra le centre européen de la recherche forestière, la villa Médicis de la forêt.  » Dans la forêt d’Auberive, il existe déjà une petite zone inexploitée depuis plus de cinquante ans, le bois des Roncés. Ce n’est pas la jungle, car la forêt sauvage n’est pas hostile. Au contraire, on peut y circuler facilement. On s’y sent comme enveloppé. Elle a ses bruits, froissements, craquements, crissements de feuilles sous nos pas. Ses odeurs, aussi ; résine, écorce, terre…

Mais sur ce territoire qui compte entre 4 et 10 habitants au kilomètre carré, le parc ne fait pas l’unanimité. A l’instar de Vincent Mauté, patron de la scierie qui porte son nom à Arbot : « Cette réserve intégrale, c’est de l’approvisionnement en moins pour moi, dans un massif qui compte les plus beaux hêtres de France… Un vrai gâchis !  » La création de ce parc, rendue officielle par décret du Conseil d’Etat n° 2019-1132 du 06 novembre 2019 et publié au journal officiel le 07 novembre 2019, est loin d’avoir été un long fleuve tranquille. Le Grenelle de l’environnement de 2007 fixait pour objectif de créer trois nouveaux parcs, dont un de forêt feuillue. Dix-sept sites ont été étudiés avant que celui-ci ne l’emporte, en juillet 2009. Suivront dix années d’instruction et de concertations.

Parce que le parc englobe des villages et des zones agricoles, le projet a exacerbé des tensions entre les acteurs locaux et réveillé des peurs. En première ligne, des agriculteurs inquiets des nouvelles contraintes. «  Beaucoup sont dans un système où il faut faire toujours plus et toujours plus grand  », regrette Sophie Salloignon, éleveuse de brebis qu’elle trait pour fabriquer du fromage bio à la ferme du Conclois. En seconde ligne, des habitants craignant de se voir dépossédés de leur territoire et « envahis » par des hordes de touristes. Des villages entiers se sont déchirés. Guy Durantet, le premier président du GIP, qui a mené le projet, a été menacé de mort. La situation s’est apaisée depuis.

Perché dans l’un des trois nids en osier, on peut guetter les chevreuils dans le vallon

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Jean-Yves Goustiaux, animateur au CIN, le Centre d’initiation à la nature d’Auberive, dans une cabane pour visiteurs. ( photo Philippe Petit/ Paris Match)

«  Le label “parc national” est reconnu dans le monde entier, notre territoire va sortir de l’ombre », imagine Jean-Yves Goustiaux, animateur au CIN, le Centre d’initiation à la nature d’Auberive.

Apicultrice installée depuis sept ans, Cécile Chanal-Raffier espère y développer son travail de recherche et d’élevage d’abeilles noires, une espèce locale ancienne, plus résistante et meilleure pollinisatrice, qui a été remplacée progressivement par des abeilles importées.

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Apicultrice installée depuis sept ans, Cécile Chanal-Raffier espère y développer son travail de recherche et d’élevage d’abeilles noires, une espèce locale ancienne, plus résistante et meilleure pollinisatrice. ( photo Philippe Petit/ Paris Match)

Chaque année, le parc des Cévennes accueille 600 000 visiteurs… L’objectif, ici, se veut plus modeste : passer de 30 000 à 100 000 touristes annuels d’ici à 2022. Tout reste à faire, il n’y a aujourd’hui que 1 362 places de couchage. Mais les habitants ne manquent pas d’imagination : il est déjà possible de passer une nuit perché au milieu des arbres dans l’un des trois nids d’Amorey, à l’armature en osier. Le matin, dans la brume, on peut guetter les chevreuils dans le vallon. Et à l’heure bleue, cet instant du crépuscule où s’épousent le jour et la nuit, «  les oiseaux en concert s’arrêtent tous en même temps puis les chouettes démarrent  », décrit Jean-Yves Goustiaux. Alors, quand disparaît le soleil, on peut, avec un peu de chance, surprendre l’envol de la cigogne noire.

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Une quinzaine d’espèces d’arbres par hectare. ( photo Philippe Petit/ Paris Match)

Enquête Philippe Petit
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Publié par Mariana Grépinet le 12 novembre 2019 sur https://www.parismatch.com/
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Publié par Mariana Grépinet le 12 novembre 2019 sur https://www.parismatch.com/
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Pour arriver jusqu’à cet arbre unique, marqué d’un rond bleu signalant son caractère exceptionnel, nous avons coupé à travers bois, les bras griffés par les ronces, enjambant des souches biscornues, écartant les fines branches des noisetiers et des multiples essences qui se développent sous les arbres dominants.

Publié par Mariana Grépinet le 12 novembre 2019 sur https://www.parismatch.com/

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Entrez dans le monde merveilleux du parc national de forêt de Bourgogne Champagne

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Le 11ème Parc National a été créé par Décret n° 2019-1132 du 6 novembre 2019 publié au journal officiel le 7 novembre 2019. https://www.haute-marne.gouv.fr/Politiques-publiques/Parc-National/Le-11eme-Parc-national-est-ne/Le-11eme-Parc-national-est-ne

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Le 11ème Parc National a été créé par Décret n° 2019-1132 du 6 novembre 2019 publié au journal officiel le 7 novembre 2019. https://www.haute-marne.gouv.fr/Politiques-publiques/Parc-National/Le-11eme-Parc-national-est-ne/Le-11eme-Parc-national-est-ne


La carte des parcs nationaux et des parcs naturels régionaux en 2019

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La carte des parcs nationaux et des parcs naturels régionaux en 2019

Pour aller plus loin

 Le site du Parc : http://www.forets-champagne-bourgogne.fr/fr

 Le décret n° 2019-1132 du 6 novembre 2019 créant le Parc national de forêts : https://www.legifrance.gouv.fr/eli/decret/2019/11/6/TREL1918199D/jo/texte
 Le décret publié au JO du 6 novembre 2019 : https://www.legifrance.gouv.fr

 http://geoconfluences.ens-lyon.fr


Pour en savoir plus :

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