Les femmes au coeur de la préhistoire L’homme préhistorique est aussi une femme

, par Pierre Gaudiot

Directrice de recherche au CNRS, Marylène Patou-Mathis a évoqué jeudi 2 mars 2023 au musée Guy-Baillet de Langres, en Haute-Marne, lors du cycle de conférences des musées le thème de “L’homme préhistorique est aussi une femme”.


Préhistorienne, spécialiste des comportements des Néandertaliens et des San, la conférencière Marylène Patou-Mathis a défini devant un public attentif et intéressé la place des femmes dans la représentation de la Préhistoire.

Marylène Patou-Mathis a notamment mis en lumière la longue période durant laquelle les différentes religions ont « infériorisé les femmes par rapport à ce qu’elles étaient en mesure de faire ou les choses auxquelles elles prenaient part ».

La conférencière a expliqué que le développement du travail sur l’ADN avait permis de « mettre à mal des a-priori lors de l’identification de squelettes que l’on prenait à tort pour des hommes en raison de tels ou tels préjugés ou conclusions hâtives ». Une manière de démontrer que de tout temps, les femmes ont joué un grand rôle.

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Marylène Patou-Mathis a mis en lumière la manière dont la femme était représenté à la préhistoire. ( photo : Pierre Gaudiot)
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Comme à chaque conférence des musées, le public était au rendez-vous. ( photo : Pierre Gaudiot)

Publié par Pierre Gaudiot le dimanche 05 mars 2023 dans le JHM n° 10410 (Journal de la Haute-Marne) en page 20. http://www.jhm.fr

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Publié par Pierre Gaudiot le dimanche 05 mars 2023 dans le JHM n° 10410 (Journal de la Haute-Marne) en page 20. http://www.jhm.fr

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France Culture @franceculture · 16 févr. 2018
Pourquoi les femmes sont-elles plus petites que les hommes ? Réponse du biologiste Pierre-Henri Gouyon, qui était présent au forum France Culture "Sexe(s) et pouvoirs" à la Sorbonne pour l’émission @lamethodeFC #sciences
Pour écouter l’intégralité : https://franceculture.fr/emissions/la-methode-scientifique/hommes-et-femmes-egales-devant-levolution
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France Culture @franceculture · 27 juil. 2021
"Dans toutes les représentations...à chaque fois celui qui peint Chauvet celui qui peint Lascaux c’est toujours un homme. Et pourquoi ?"
La #Masterclasse inédite de la préhistorienne-paléontologue Marylène Patou-Mathis proposée par @NatachaTriou à podcaster https://franceculture.fr/emissions/les-masterclasses/marylene-patou-mathis-celui-qui-a-peint-lascaux-rien-ne%20prouve-que%20ce-soit-un-homme
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France Culture @franceculture · 26 juil. 2021
Marylène Patou-Mathis : "Celui qui a peint Lascaux, rien ne prouve que ce soit un homme" #masterclasse #prehistoire https://franceculture.fr/emissions/les-masterclasses/marylene-patou-mathis-celui-qui-a-peint-lascaux-rien-ne%20prouve-que%20ce-soit-un-homme?utm_medium=Social&utm_source=Twitter#Echobox=1627236515-1
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Marylène Patou-Mathis acceuillie le jeudi 2 mars 2023 au musée Guy-Baillet de Langres. (Photo : Christophe Juppin)

Marylène Patou-Mathis : "Les femmes préhistoriques ne passaient pas leur temps à balayer la grotte"

La préhistoire était-elle sexiste ? Les femmes étaient-elles déjà victimes d’un rapport de domination ? Au micro de Claire Servajean, la préhistorienne du genre Marylène Patou-Mathis déconstruit le mythe d’une femme assujettie par des normes pré-patriarcales et redonne toute leur visibilité aux femmes préhistoriques.

Si l’on se réfère à ce que les spécialistes anthropologues, archéologues, préhistoriens ont pu dire et écrire depuis le milieu du XIXe siècle, on peut avoir tendance à penser que, durant la préhistoire, la femme aurait été malmenée, déjà, par un certain patriarcat primitif, une vie nomade au cours de laquelle seul l’homme aurait été à la manœuvre pour donner naissance aux premiers facteurs de civilisation. Eh bien effacez tout : aucune preuve n’existerait pour justifier que les sociétés préhistoriques aient cultivé un antécédant sexiste. C’est ce qu’est venu expliquer la préhistorienne Marylène Patou-Mathis, dans l’émission « Une semaine en France ». Elle s’attache depuis longtemps à étudier l’histoire de la visibilité des femmes, de leur sororité et voici comment, en préambule de son dernier ouvrage, elle résume ce qu’il pouvait en être en réalité :

Les femmes préhistoriques ne passaient pas leur temps à balayer la grotte en attendant que monsieur rentre de la chasse avec son gourdin.

Une fausse image qui tend à réduire la femme préhistorique

Un héritage des représentations établies au début de l’étude de la préhistoire, dans un XIXe siècle encore très puritain, patriarcal et fortement emprunt de sexisme scientifique.
Marylène Patou-Mathis : "Il faut se remettre dans le contexte dans lequel s’inscrit la naissance de la discipline de la préhistoire, qui se situe vers 1860, au milieu du XIXe siècle, en Europe occidentale. La société, à cette période-là, est très masculine et patriarcale. Il faut attendre la fin de la Première Guerre mondiale pour que quelques archéologues s’y intéressent, mais très sommairement. C’est à partir de 1950 seulement que les préhistoriennes vont commencer à faire valoir quelques travaux. La préhistoire est elle aussi victime d’un processus qui a fait que les préhistoriens de l’époque ont longtemps calé leur mode de société, leurs structures sociales sur la vie même des hommes préhistoriques. Un schéma d’idées et de représentations reportées sur nos ancêtres préhistoriques.

Le fait est que la préhistoire suscite beaucoup d’imagination, d’illustrations, qui pénètrent dans l’esprit de tout un chacun, et va rester dans l’imaginaire. Aujourd’hui toujours, beaucoup conservent la vision d’une période terrible, où la préhistoire est une époque qui voit l’existence de nombreuses bêtes monstrueuses. Période pendant laquelle on pense de manière stéréotypée que la femme serait tirée par les cheveux par l’homme avec son gourdin.

Ce n’était absolument pas le cas. Cette vision duale sous-entendant une discrimination primitive de l’homme sur la femme est une vision tout à fait imaginaire.

On a, dès le départ, quelque chose qui repose sur beaucoup de présupposés. D’ailleurs pour qualifier les populations on parle encore de "l’homme préhistorique"."

Le développement des outils de recherche au service de la réalité préhistorique

Marylène Patou-Mathis  : "Grâce aux outils de recherche et des moyens d’investigation archéologiques plus importants, tels que la biogéochimique qui consiste à en apprendre un peu plus sur l’alimentation, mais aussi l’étude de l’ADN fossile, on s’aperçoit que l’home n’était pas forcément au centre de tout.
Avant, on associait souvent le matériel, des armes de chasse à l’homme car, forcément, avec les représentations qui ont persisté jusqu’à aujourd’hui, cela servait à identifier un squelette masculin. Grâce à l’ADN fossile, on a pu voir que ce n’était pas toujours le cas.

Même chose pour l’exhumation des gros squelettes bien robustes, dont on disait que c’étaient des hommes. On a également mis en évidence que ce n’était pas toujours le cas. Un homme de Cro-Magnon, par exemple, est devenu la dame de Cro-Magnon".

On dispose maintenant de moyens d’investigation plus performants pour essayer de faire le moins d’erreurs possible.

Néandertal n’était pas une brute épaisse

Marylène Patou-Mathis : "Ni Néandertal, ni nos ancêtres directs, qu’on appelle gentiment les Cro-Magnon. À cette période-là, celle du Paléolithique qui s’étend à il y a 6 millions d’années jusqu’à il y a 10 000 ans, nous sommes encore des chasseurs-cueilleurs nomades. La domestication des plantes et des animaux n’est pas encore d’actualité, ce sera le Néolithique.

Il y a donc, au Paléolithique, plusieurs humanités. Entre les Néandertaliens et nos ancêtres directs, homo Sapiens Sapiens, les premiers hommes modernes, on constate beaucoup de sociétés différentes, avec des traditions culturelles profondément différentes déjà à l’époque".

On parle de sociétés préhistoriques et non pas d’une seule préhistoire.
À réécouter : « L’homme préhistorique est aussi une femme »
La Terre au carré, Mercredi 28 octobre 2020

Les sépultures et l’art révèlent une forte emprunte féminine

Marylène Patou-Mathis : "Si on s’intéresse aux sépultures durant cette période, et aux différences de mobilier, d’objets, potentielles avec les hommes et les femmes, on s’aperçoit qu’il n’y en a pas. Les travaux de recherches menées grâce à la biochimie démontrent qu’il n’y a pas de différence, pareil pour ce qui concerne l’alimentation, il n’y a pas une alimentation plus carnée et plus protéinée pour les hommes que pour les femmes.

Du point de vue de l’art rupestre et pariétal, au sein des nombreuses grottes préhistoriques, l’essentiel des représentations humaines est féminin".

On a une représentation artistique d’un monde où la femme n’est pas du tout considérée comme inférieure. On a une société plus équilibrée.

Au Néolithique, tout change avec la sédentarité et la naissance de l’économie de production

Marylène Patou-Mathis : "Il faut bien constater que ça n’a pas perduré dans beaucoup de sociétés ce système d’équilibre… On voit de profonds changements s’opérer avec la période qui suit, le Néolithique. Petit à petit, une hiérarchie s’installe et, même si la femme n’est pas encore trop différenciée de l’homme, on note une première différenciation d’ordre socio-économique avec l’apparition de tombes de riches et de tombes de pauvres.

On a un changement radical de société, un changement d’économie liée à l’invention de l’agriculture, la manière de penser l’espace et de l’occuper. On s’affranchit de notre condition de chasseurs-cueilleurs, de prédateurs de la nature, pour devenir des producteurs".

Le système social entre individus change, jusqu’à ce que, à un moment donné, cela touche les femmes. Probablement par la nécessité de transmission et de gestion des biens qui sont plutôt gérés par les hommes.

Attention à ne pas reporter les rapports d’inégalités femmes/hommes actuels à la réalité des sociétés préhistoriques

Marylène Patou-Mathis : "Les choses évoluent. L’archéologie du genre n’est pas une discipline uniforme. Apparue dans les années 1970, elle est en train de révolutionner le regard qu’on a sur cette époque.

Mais il ne faut pas tomber dans le défaut inverse qui consisterait à calquer notre vision féministe actuelle sur cette époque-là.

Certaines grandes penseuses et écrivaines, comme Françoise Héritier ou des philosophes comme Simone de Beauvoir ont pu se tromper en interprétant cet état de fait.
Certaines féministes sont tombées dans le panneau en faisant de la femme préhistorique une victime.

C’est ce qu’on appelle un biais méthodologique car on tente de rapprocher deux mondes vraiment différents, des sociétés différentes avec un rapport à la nature différent. C’est une erreur de vouloir absolument calquer notre mode de vie à une autre conception du monde, des relations entre les uns et les autres, et de contribuer à véhiculer une notion du genre très binaire, très séparée, les femmes d’un côté, les hommes de l’autre, de vouloir absolument que, dans ces temps lointains, c’eut été la même chose.

Ce lien qui consiste à renvoyer une dualité aux origines, est quelque chose qui est apparu au fil du temps. Il ne faut pas essentialiser et penser que toute la société sur cette Terre avait eu, pendant des millénaires, les mêmes structures. Ce n’est pas vrai du point de vue de la diversité des sociétés humaines et de leur mode de vie.
Cette vision stéréotypée d’une préhistoire pré-sexiste peut être le fruit d’une vision européo-centrée de laquelle il faut essayer de se dégager.

Mais il est extrêmement difficile de s’extraire de notre société, de notre propre histoire pour penser celles d’hier. Quand on ignore ce qui a pu se passer, il faut laisser le doute s’installer, au risque de catégoriser et d’accroitre davantage aujourd’hui les différences hommes/femmes en les attachant à des origines bien plus égalitaires au contraire que les nôtres".

Nous n’avons aucune preuve archéologique pour avancer qu’une telle différenciation avait eu lieu.

Les femmes préhistoriques bien plus fortes qu’on ne le pense

Et pour preuve, elles chassaient, elles étaient robustes, musclées :

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Le Monde @lemondefr · 9 nov. 2020
Il y a 9 000 ans, des femmes chassaient dans toute l’Amérique : la découverte en 2018 au Pérou d’un squelette féminin accompagné d’armes de jet a conduit à une réévaluation à la hausse de la proportion de chasseuses durant la préhistoire.
https://www.lemonde.fr/sciences/article/2020/11/09/il-y-a-9-000-ans-des-femmes-chassaient-dans-toute-l-amerique_6059132_1650684.html?utm_medium=Social&utm_source=Twitter#Echobox=1604944111
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Sciences et Avenir @Sciences_Avenir · 13 déc. 2020
Il y a 9000 ans, les femmes chassaient le gros gibier
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La chasse au gros gibier préhistorique, une affaire de femmes
https://www.sciencesetavenir.fr/archeo-paleo/la-chasse-au-gros-gibier-prehistorique-une-affaire-de-femmes_149330?utm_term=Autofeed&utm_medium=Social&utm_source=Twitter#Echobox=1607840195
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Les femmes de la Préhistoire chassaient, elles étaient robustes, musclées. Une tombe vieille de 9000 ans d’une chasseuse dans les Andes au Pérou a été enterrée avec des armes destinées à la chasse. (Par contre, le body rose sur la représentation, svp, on oublie...)
https://www.rtbf.be/article/il-y-a-9000-ans-les-femmes-chassaient-aussi-le-gros-gibier-en-amerique-10629068
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france•tv arts @francetvarts · 12 mai 2023
Mais qui étaient les femmes de la Préhistoire ?
« Lady Sapiens, à la recherche des femmes de la Préhistoire » est disponible en replay sur @francetv ➡️ https://www.france.tv/documentaires/science-sante/2777765-lady-sapiens-a-la-recherche-des-femmes-de-la-prehistoire.html#xtor=CS3-1040-[francetvarts]-[ladysapiens]

Marylène Patou-Mathis : "Elles deviennent aussi agricultrices et on a beaucoup d’exemples de femmes très robustes, très liées à l’agriculture, du labourage, jusqu’au broyage des grains.
Aucune preuve archéologique ne peut attester que les femmes ne chassaient pas. Aucune preuve qu’un seul et même système de représentation régissait les rapports femmes/hommes

Il est important d’ouvrir le champ des possibles. De là à dire que les femmes faisaient absolument tout. Non bien sûr. Mais il faut penser que, dans certaines sociétés ancestrales, elles devaient chasser. Quand dans d’autres, elles se consacraient plutôt à la cueillette".

Une espèce de présupposée veut penser que les femmes ne sont pas allées à l’intérieur des grottes et, pourtant, il y a eu, ces dernières années, beaucoup d’exemples qui ont montré que les fameuses mains qu’on retrouvait sur les parois étaient aussi féminines.
Comme dans l’imaginaire, on pense immédiatement que ceux qui ont inventé l’outil, la maîtrise du feu, l’art, étaient des hommes, on contribue à minorer et réduire le grand rôle qu’a pu avoir les femmes à l’époque.

Publié le mercredi 7 avril 2021 sur https://www.radiofrance.fr

Aller plus loin
📖 LIRE - Marylène Patou-Mathis : « L’homme préhistorique est aussi une femme » (Allary Editions)

🎧 RÉÉCOUTER - Une Semaine en France : Marylène Patou-Mathis, préhistorienne et archéologue du genre

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Une Semaine en France : Marylène Patou-Mathis, préhistorienne et archéologue du genre

Pour en savoir plus :

 « Hommes et femmes : égales devant l’évolution ? » à la Sorbonne à Paris le 16 février 2018.
 Surpopulation et environnement, le débat interdit le 9 avril 2018
 Huit milliards d’humains : la planète va-t-elle craquer ? le 15 novembre 2022
 Les femmes au coeur de la préhistoire le 05 mars 2023
 Cinétech n°48 : « Demain tous crétins » le mardi 28 mars 2023 à 18h à Nogent (52)
 Cinétech n°50 : « Pourquoi les femmes sont-elles plus petites que les hommes. » le mardi 10 octobre 2023 à 18h à Nogent (52)