Une école d’ingénieurs à la campagne

, par Delphine DESCORNE-JEANNY

Une antenne de l’Université de technologie de Troyes forme par apprentissage les ingénieurs dont les industriels de Haute-Marne ont besoin. Article dans l’Usine Nouvelle du 26 novembre 2014.


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L’USINE NOUVELLE n°1104 du 26 novembre 2014 par Cécile MAILLARD


C’est l’automne. Les forêts autour de l’école blondissent et les chevaux, visibles depuis le bâtiment encore neuf, prolongent l’été dans les champs. II en fallait du culot pour installer une école d ingénieurs sur les hauteurs du plateau de Langres ! Et du courage, a 20 ans, pour venir passer trois années en Champagne-Ardenne, sur cette terre de production de betteraves.

Mi-octobre 2014, les 18 élèves de la première promotion d’ingénieurs par alternance de l’antenne de l’Université de technologie de Troyes (UTT) célèbrent la fin de leurs études a Nogent ( Autrefois Nogent-en-Bassigny, en Haute Marne, aujourd’hui Nogent), une petite ville de 4 000 habitants. Les élus locaux sont la, les industriels aussi Ce sont eux qui ont voulu cette formation d’ingénieurs par alternance pour accompagner leur mue technologique. Ils ont besoin de sang neuf, mais peinent à attirer les compétences.

Un bassin en transformation

Nogent (52800), terre de forets et de rivières, a connu la gloire industrielle au XVIIIe et au XIXe siècles. La coutellerie peuplait alors ses campagnes de forges et d’ateliers d’usinage et de polissage. Depuis quelques décennies, ces industries de travail du métal ont entame une profonde transformation. Marle, fleuron local, emploie plus de 400 salariés dans le monde, dont 180 à Nogent. Ce leader européen des implants a pris le virage des prothèses orthopédiques dans les années 1980, après avoir fabrique des instruments médicaux. Le groupe fabrique des prothèses de hanche, d’épaule, de coude, en alliage de titane surtout.

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crédits : © Usine nouvelle - 2014
Delphine DESCORNE-JEANNY, directrice des opérations de MARLE et maître d’apprentissage de Lucille DUPORT, étudiante ingénieure MM promotion 2014 de l’UTT.

Lucille Duport, 21 ans, étudiante de première année de l’UTT et troisième apprenti chez Marle, organise la visite des ateliers. Le bâtiment récent est d’une propreté évoquant plus le secteur médical que l’univers des forges Delphine Descorne-Jeanny, la directrice des opérations, parle de son besoin croissant en ingénieurs, dont huit travaillent ici : « Nous sommes sur un territoire déserte il est très difficile de recruter. Accueillir des jeunes venus d’ailleurs pendant trois ans leur permet de s’acclimater, de s’apercevoir qu’il y a une vie ici ! »

Marle est d’autant plus intéressé que l’UTT propose a ses élèves une formation spécialisée en matériaux et mécanique. « Avant l’ouverture, en 2011, un audit a révèle des attentes sur les matériaux métalliques et composites, explique Frederic Sanchette, le directeur de l’antenne Nogentaise de l’université. Les patrons plébiscitent l’alternance ; ils ont le nez sur le guidon, nos jeunes leur apportent des ressources pour travailler en amont, sur leurs développements ».

Chez Forgeavia, une ancienne forge d’un peu moins de 5O salaries spécialisée dans les pièces pour l’aéronautique, Cyril Shanoda, 25 ans oeuvre depuis 2011 au renouvellement de la certification Nadcap, un sésame indispensable pour travailler dans l’aéronautique. La valeur ajoutée de l’étudiant a été précieuse, d’autant que Forgeavia n’avait pas d’ingénieur.

Chez Marle, l’apprenti « a apporté sa force de travail, mais aussi des idées nouvelles, un contact avec les enseignants-chercheurs de l’UTT, et une compétence internationale que n’ont pas nos ingénieurs » précise Delphine Descorne.

Dans la partie basse de la ville, les Forges de Courcelles, un vaste site de 80 000 m2, équipe de monumentales presses de 4000 à plus de 8 000 tonnes, produit des pièces pour l’automobile. Dans les allées, des lopins (cylindres) de métal rougeoyant refroidissent « Avec la mondialisation nous avons dû nous spécialiser sur des pièces sophistiquées ou des grosses pièces, explique Philippe Boujon, le directeur général. Et améliorer notre compétitivité ». L’usine où travaillent 450 salaries dont 20 ingénieurs, a régulièrement fait évoluer ses compétences dans la simulation numérique, l’outillage, la robotisation. Elle a investi 20 millions d’euros dans une presse automatisée. Des milliers de lignes de code ont été écrites en interne « Attirer des compétences a toujours été compliqué pour une entreprise perdue au fond de la vallée, poursuit Philippe Boujon. Quand on m’a recrute, en 1989, on ne m’a parlé que de mon épouse ! ».

Privilégier les embauches dans la région

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Aux Forges de Courcelles, Chantélle Grasset, étudiant de l’UTT, est pris en charge par Vincent Mornant, le responsable du bureau d’études.

Un élève de l’UTT termine sa formation dans l’entreprise. Pour son stage à l’étranger, il a assuré un transfert de technologie dans une filiale indienne. Deux autres étudiants - Charlélie et Benjamin, 22 ans chacun - débutent leur deuxième année. Ils sont logés à Nogent, comme Lucille, l’apprentie de chez Marle. La mairie a transforme une maison de retraite en logements pour étudiants et de petites habitations ont été découpées en une dizaine d’appartements. Sur les 18 étudiants de la première promotion, sept ont décroche un contrat a durée indéterminée (CDI) pour le moment, dont deux seulement dans le bassin nogentais.

« II faut que la formation se termine au moment où nous créons un poste, ce qui n’était pas le cas », explique le directeur général des Forges de Courcelles. L’étudiant qui a passe trois ans chez Marle n’a pas souhaite rester, préférant rechercher une expérience internationale. « II a raison, je lui ai même donne des contacts chez nos clients, réagit la directrice des opérations. C’est un tout petit monde, le medical ça tourne ». Cyril Shanoda, lui, travaille en contrat a durée déterminée chez Forgeavia. « Pourtant au début, je n’aimais pas le travail du métal, ni cette région » reconnaît le jeune ingénieur originaire d’Île-de-France. Parmi les diplômés, Benoît a trouve un poste chez Constellium en Alsace, Renaud chez Arcelor-Mittal à Fos-sur-Mer (Bouches-du-Rhône).

Car la formation attire les employeurs au delà de la Haute-Marne. Un peu trop au goût des responsables locaux qui espèrent rediriger les prochains étudiants vers les entreprises de la région. Anne-Marie Nedelec, la maire (DVD) de Nogent (4000 habitants), se réjouit de la dynamique insufflée par la présence de l’UTT « L’école a accompagne le nouveau départ de l’industrie locale. D’autres projets de formation voient le jour ».

L’UTT projette d’ouvrir une licence professionnelle en septembre 2015. « Nos équipements de formation et de recherche sont là, nous allons chercher à nous mettre encore plus au service du tissu industriel local, souligne Pierre Koch, le directeur de l’Université technologique de Troyes. Nous n’en sommes qu’au tout début »

La recherche au service de l’industrie locale

« Le CEA est à Nogent, qui l’eut dit ? » se réjouit Bruno Sido, le président (UMP) du conseil général et sénateur de Haute-Marne. L’Université technologique de Troyes (UTT) est en effet arrivée à Nogent avec une antenne de l’un de ses laboratoires de recherche, partenaire du Commissariat a l’énergie atomique (CEA).

Le directeur de la recherche de l’école d’ingénieurs, Pascal Royer, souhaite proposer des contrats de recherche aux entreprises du département ; « L’entreprise pourrait être intéressé par une recherche sur un traitement de surface aux qualités biologiques spécifiques », imagine-t-il.

Les autres laboratoires de l’UTT, a Troyes, seront aussi mis à la disposition des entreprises nogentaises, notamment sur le développement durable ou les nanotechnologies. « Nous allons aussi leur proposer de jeunes chercheurs en thèses Cifre ».

L’antenne nogentaise de l’UTT et son laboratoire se sont installes au sein du pôle technologique Sud-Champagne, qui accueille une antenne du CRITT Matériaux, Dépôts et Traitements de Surface (MDTS) à Nogent (laboratoire industriel pour le transfert de technologies) de Charleville-Mézières et une pépinière où démarrent deux sociétés.


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L’USINE NOUVELLE n°1104 du 26 novembre 2014 par Cécile MAILLARD

L’USINE NOUVELLE n°1104 du 26 novembre 2014 par Cécile MAILLARD


Pour en savoir plus :

 Les grappes d’entreprises innovantes sortent de leurs territoires - une interview de Jean-Loïc Carré, le 23 Novembre 2010.
 la filière du Médical en Haute-Marne
 Marle a racheté fin juillet 2017 la société suisse SMB Médical.
 Entretien en octobre 2016 avec Delphine DESCORNE-JEANNY, directrice des opérations chez Marle, sur la mixité professionnelle
 Une école d’ingénieurs à la campagne : Article dans l’Usine Nouvelle du 26 novembre 2014.
 Delphine Descorne Jeanny est vice-présidente du cluster Nogentech depuis le 14 mai 2014.
 Bernard Marle, forgeron de la prothèse médicale de 1978 à 2011
 La recherche à Nogent : Nicci (Nogent international center for CVD innovation).
 Anne-Marie Nédélec Maire de Nogent (Haute-Marne) Elle crée un campus au fin fond de la Haute-Marne.