Sous la truelle ...l’Austrasie. En février 2022, trois tombes de chefs francs de l’époque mérovingienne furent découvertes.

, par Christophe Juppin

Qui se souvient de Childebert et de Brunehilde ? Assurément les historiens médiévistes et quelques archéologues du haut moyen âge, qui en retrouvent les traces. Pour preuves l’exceptionnelle découverte de trois tombes d’aristocrates francs de l’époque mérovingienne, à Saint-Dizier proches ou familiers de la famille royale… d’Austrasie

Pour découvrir l’archéologie d’aujourd’hui, ses sciences connexes, mais aussi approcher et décrypter ce que la discipline recouvre de concepts, de modèles, Carbone 14 retrace les avancées de la recherche française et internationale, parcourt terrains, chantiers et laboratoires.

La récente réforme territoriale a créé de nouvelles régions. L’une d’elles, s’appelle désormais « Grand Est » mais la « Nouvelle Austrasie » fut longtemps en lice.. La Nouvelle Austrasie ? Lointaine héritière d’un brillant passé à tout jamais perdu, vaste royaume franc rivalisant avec Neustrie et Septimanie.

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Vincent Charpentier anime le magazine d’archéologie de France Culture, Carbone 14.

Vincent Charpentier
19 heures 30, c’est le moment de retrouver votre magazine d’archéologie de France Culture, Carbone 14.

Sous la truelle, l’Austrasie

Qui l’aurait cru ? Les rois fainéants sont à la mode. Pour être dans le vent, dans l’air du temps, serait-il de bon temps d’en parler ? Peut-être issu de nos propres angoisses sociétales, le Moyen-Âge débarque et avec lui la féodalité et pire, les migrations barbares. Ce retour en force très dix-neuvièmiste serait-il, de surcroît, la revanche des Francs sur nos propres ancêtres, les vôtres, les miens, les Gaulois ?

À l’image des collégiens de la IIIème République, nos enfants vont-ils découvrir l’œuvre d’Augustin Thierry ? Ses récits des temps mérovingiens ? Gardons raison présente. Dans le silence des plaines du Grand-Est, les archéologues exhument au gré des chantiers les traces d’un royaume depuis longtemps révolu , laissé pour compte des manuels scolaires, la Neustrie, le Septimanie ? non. L’Austrasie.

Lors de la fouille d’un habitat alto-médiéval en février 2002 par Marie-Cécile Truc, archéologue de l’Inrap, sur le site de la Tuilerie (à 200 mètres des Crassées) lors d’un décapage archéologique sur le tracé d’un futur échangeur, trois tombes de chefs francs de l’époque mérovingienne furent découvertes. Le site de la Tuilerie se trouve sur la rive gauche de la Marne, à environ 1 km au sud de la ville de Saint-Dizier, à l’extrémité nord du département de la Haute-Marne.

Pour tout savoir sur Théodoric, Théodebert Ier, ou Théodebald, je me suis rendu à Saint-Dizier pour voir l’exposition Austrasie, Royaume Mérovingien oublié, et y rencontrer

 une archéologue, Marie-Cécile Truc, Archéologue médiéviste à l’Inrap

 un historien, Bruno Dumezil, maître de conférences en histoire médiévale à l’Université Paris Ouest Nanterre La Défense, spécialiste du haut Moyen-Age

 et un député-maire, François Cornut-Gentille, député-maire de Saint-Dizier

Bruno Dumezil, tout commence par un crime, un crime odieux, l’assassinat de Galswinthe, jeune princesse visigothique ?

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Bruno Dumezil, maître de conférences en histoire médiévale à l’Université Paris Ouest Nanterre La Défense, spécialiste du haut Moyen-Age

Bruno Dumezil
Oui, en 568, une affaire terrible dans le palais Franc de Neustrie, le royaume de l’Est. Il y a eu un meurtre, la Reine est morte, on ne connaît pas l’assassin, mais tout le monde suspecte le mari. Le mari c’est Chilpéric qui aurait tué sa femme. Le problème c’est que la sœur de Galswinthe est la Reine du royaume rival, l’Austrasie, Brunehaut, et Brunehaut veut se venger du meurtre de sa sœur.

En fait non, elle ne veut pas se venger, mais elle veut participer à la récupération de territoire, donc quoi de mieux qu’un meurtre odieux pour justifier une guerre d’abord et ensuite toute l’entreprise patiente de récupération de tout un certain nombre de villes jusqu’à essayer de grignoter tout le royaume voisin.

Vincent Charpentier
C’est aussi un beau tableau peint dans les années 1840.

Bruno Dumezil
Au milieu du XIXème siècle, tout le monde est passionné par les Mérovingiens. Les décorateurs de théâtre, les peintres d’histoires, on a une génération mérovingienne et effectivement on a un très beau tableau d’Eugene Philastre fils, qui représente le meurtre de Galswinthe dans une sorte de scène sadomasochiste avec la Reine écartelée sur son lit, à moitié nue en train d’être étranglée.

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Galswinthe (540-568), reine des Francs. Elle était fille d’Athanagild, roi des Wisigoths d’Espagne, et sœur aînée de Brunehaut, épouse de Sigebert, roi d’ Austrasie . Mariée à Chilpéric Ier en 567, sa maîtresse Frédégonde le convainc de tuer Galswinthe pour pouvoir se marier. C’est ainsi que Galswinthe périt étranglée par son mari en 568... Peinture d’Eugene Philastre 1846 (Crédits : Vincent Charpentier)

Vincent Charpentier
On est en territoire du royaume d’Austrasie ?

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Les royaumes francs à l’époque des Mérovingiens.

Bruno Dumezil
Le royaume d’Austrasie c’est le royaume qui se situe le plus à l’Est, il est issu des créations nées de la mort de Clovis en 511. Lorsque ses fils se partagent le royaume, l’aîné des fils, le plus ambitieux, le plus puissant, Thierry 1er, récupère le royaume de l’Est.

Vincent Charpentier
Et donc Galswinthe est la Reine de ce royaume ?

Bruno Dumezil
Alors sa sœur, Brunehaut, est la Reine de ce royaume.
Galswinthe est la Reine du royaume rival, du royaume de Neustrie, un royaume plus faible, un royaume beaucoup plus parisien d’une certaine façon et un royaume sur lequel l’Austrasie guigne depuis très longtemps.

Vincent Charpentier
Le point de départ sera peut-être quelques très belles découvertes que vous avez faites, Marie-Cécile Truc, dans des conditions difficiles. Nous voici dans l’hiver 2002, à moins de 50 centimètres du sol apparaît tout à fait l’inattendu.

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Marie-Cécile Truc, Archéologue médiéviste à l’Inrap

Marie-Cécile Truc
Apparaît, en fait, la base d’un bassin en bronze qui avait été déposé dans la tombe d’une jeune femme. Sur le coup, nous n’avons pas su, pendant trois semaines, ce qu’il y avait, parce que comme nous avions 50 centimètres de glace sur le terrain, nous sommes partis. Nous sommes revenus quelques semaines plus tard, après le dégel, et là nous avons trouvé trois tombes, deux tombes masculines chacune inhumées dans des chambres funéraires, et une tombe d’une jeune femme et chacune de ces tombes avaient des objets d’une très grande richesse et en très grandes quantités.

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Dans leur chambre funéraire, sont présents un bouclier, deux récipients en bronze et un en verre. Le jeune homme a une lance et un angon, mais aussi des éléments de harnachement à mettre en relation avec la tombe d’un cheval découverte à proximité.

Vincent Charpentier
Quand vous dites jeune femme, quel âge a-t-elle ?

Marie-Cécile Truc
Elle a à peu près 18 – 20 ans, donc nous disons jeune femme voire adolescente, mais en fait pour l’époque c’est une femme avérée.

Vincent Charpentier
Les hommes sont aussi parés d’armes ?

Marie-Cécile Truc
Oui, alors celui que nous appelons jeune homme et qui, en fait, a déjà une trentaine d’années possède une épée d’apparats, au pommeau gravé de runes, il a également un scramasaxe (une arme blanche franque. Il s’agit d’un coutelas semi-long à un tranchant long sur un côté), il possède également un couteau, mais il a aussi un angon, qui est vraiment une arme d’élite, une sorte de javelot, une lance, un bouclier, une hache. Bref, la panoplie complète du guerrier mérovingien, du guerrier Franc, mais d’une très haute élite.

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Reconstitution de l’épée de St Dizier (Haute-Marne), retrouvée dans une tombe aristocratique et datée fin Vème/début VIème siècle. Un projet réalisé en commun avec Hervé Lacassagne (orfèvre) Dominique Humbert (artisan du cuir et spécialiste des fourreaux).
Il s’agit d’une commande spécial qui a été présenté dans plusieurs musées dont celui de St Germain en Laye.

Vincent Charpentier
Une épée avec des runes, c’est assez fréquent, Bruno Dumezil ?

Bruno Dumezil
Non, c’est relativement rare pour le territoire où nous nous trouvons. Les runes sont une invention scandinave, ou disons germanique du nord, en fait des gens qui ont singé l’écriture romaine, vraisemblablement, vers le 1er 2ème siècle de notre ère, et ensuite cette écriture prend généralement un sens magique. Sur l’inscription de Saint-Dizier, on voit le mot « alou » qui signifie « bière », qui ne signifie pas que le chef était amateur de Heineken vraisemblablement, mais plutôt que la bière participait au rituel guerrier de préparation aux batailles.

Vincent Charpentier
J’ai lu aussi que la rune faisait allégeance au Roi ?

Bruno Dumézil
La rune peut être pas, mais sur le pommeau de l’épée découverte par Marie-Cécile Truc, on voit un anneau de dignité, en fait deux anneaux entrelacés qui montrent un lien entre deux hommes. Il est vraisemblable que, ici, le chef était un proche du Roi, le Roi à cette époque-là étant donneur d’anneaux, ou seigneurs des anneaux.

Vincent Charpentier
Les boucles de ceinture sont extrêmement fréquentes ? À chaque fois que l’on découvre une sépulture mérovingienne, en général il y a très souvent une boucle de ceinture. Vous en avez donc bien sûr dans vos sépultures. Vous en avez une qui me paraît tout à fait étonnante, dans un matériau tout à fait inattendu.

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Boucle de ceinture en cristal de roche à ardillon en argent, découverte dans une des tombes masculines aristocratiques du VIe s. de notre ère, mises au jour sur la commune de Saint-Dizier (Haute-Marne) en 2002.
Elle était accompagnée de trois rivets scutiformes assurant la fixation du cuir de la ceinture. © Loïc de Cargouët, Inrap

Marie-Cécile Truc
Eh bien le jeune guerrier, donc celui qui a une trentaine d’années possède une boucle de ceinture en cristal de roche, avec un ardillon en argent. Effectivement, ce type de boucle de ceinture au 6ème siècle et assez rare et va se trouver uniquement dans des élites richement dotées. Le cristal de roche provient des Alpes et on lui attribue des vertus profilaptique. Il est réputé pour lutter contre les fièvres notamment.

Vincent Charpentier
C’est une chose rare, Bruno Dumezil, pour vous ?

Bruno Dumézil
Le cristal de roche, effectivement, est un matériau relativement rare, très difficile à travailler dont la provenance est encore incertaine. Oui, les Alpes sans doute, peut-être éventuellement la Syrie. Un chercheur allemand a évoqué cette possibilité. Dans tous les cas, quelque chose qui vient de loin comme toutes les pierres précieuses utilisées à cette époque-là. C’est un signe de l’élite que d’avoir accès aux produits du grand commerce international qui continue d’exister encore quelque peu.

Vincent Charpentier
Continuons l’inventaire, Marie-Cécile Truc. Vous avez aussi une sorte de fermoir d’aumônière, qui posséderait des matériaux encore plus rares ?

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Fermoirs d’aumônière, sépulture 11 et 13, Saint-Dizier « la Tuilerie » or, fer, cuir bois, grenat, verre, lapis-lazuli, entre la fin du Ve siècle et la première moitié du VIe siècle, 13,7*1.6 cm et 11,3 *1,2 cm, musée de Saint-Dizier et dépôt de l’Etat au musée de Saint-Dizier. © C. Philippot, Musée de Saint-Dizier

Marie-Cécile Truc
Alors, nous avons deux fermoirs d’aumônières. Alors le fermoir d’aumônière, en fait, est une armature métallique qui est, on ne sait pas trop exactement comment ça fonctionne, peut-être cousue sur une sacoche en cuir, qui est donc l’aumônière de notre guerrier, et nous avons donc dans l’un des deux fermoirs, il est orné d’un décor de cloisonné, avec des grenailles, des verroteries serties dans des cloisons d’argent doré, et tout au centre nous avons une minuscule incrustation de lapis-lazuli. Ce fermoir a été analysé par l’accélérateur de particules AGLAE au laboratoire du Louvre afin de connaître sa composition physico-chimique, et il s’agit d’un unicome, du premier élément de lapis-lazuli, trouvé sur un objet mérovingien, qui est plus du 6ème siècle.

Vincent Charpentier
Il peut venir d’où ? Il peut venir que d’un seul endroit ?

Marie-Cécile Truc
Alors, à cette époque-là, en effet, les gisements qu’on connaît proviendraient d’Afghanistan.

Vincent Charpentier
On connaissait ces routes avec l’Afghanistan, l’Asie moyenne, jusqu’en France, ou du moins jusqu’en Austrasie, Bruno Dumezil ?

Bruno Dumézil
Directement non. On connaît les routes qui vont jusqu’au Sri Lanka et en Inde, l’Afghanistan non, mais on peut supposer aussi qu’il y a des échanges avec Byzance. Toute une partie de la jeunesse dorée Austrasienne va faire une mission diplomatique à la cour impériale de Constantinople, y passe six mois, un an, revient, revient souvent avec des cadeaux. Donc on peut aussi imaginer que cet objet extraordinaire qu’est le lapis-lazuli soit l’objet d’un échange à double entente, d’abord échange entre l’Afghanistan et Byzance et ensuite un objet qui serait venu de Byzance.

Vincent Charpentier
Donc c’est un objet exceptionnel ?

Bruno Dumézil
Indiscutablement, mais il est tout petit, quoi que superbe. D’ailleurs, il a été superbement mis en avant par l’orfèvre qui l’a placé au centre de sa composition.

Vincent Charpentier
On connaît bien sûr les grenats, les grenats ont un rôle extrêmement important durant ces cinquièmes, sixième, septième siècles, ces grenats viennent aussi de contrées très lointaines. On évoque souvent le Sri Lanka.

Bruno Dumézil
Les grenats viennent, d’après les analyses physico-chimiques du Sri Lanka, du Rajasthan, d’Inde. Autant dire qu’on a affaire ici à un commerce bien connu à l’époque romaine, qui part d’Arikamedou, c’est-à-dire d’un comptoir romain en Inde, qui suit les routes jusqu’à la mer Rouge, ensuite il remonte vers Alexandrie, vers la Méditerranée et qui irrigue tout l’Occident. Mais ces grenats, en fait, cessent de venir jusqu’en Occident à partir des environs de l’an 600. Il y a des troubles en mer Rouge, les routes du commerce sont arrêtées, et à partir de 600, on fera appel à des pierres de bohème, comme aujourd’hui. Le grenat de bohème, éventuellement quelques pierres venues des péninsules ibériques, des pierres de moins bonne qualité, ce qui vous expliquera le changement total dans l’orfèvrerie occidentale entre le grand cloisonné trouvé à Saint-Dizier et des pièces beaucoup plus modestes que l’on trouvera au 7ème siècle, notamment fabriquées par Saint-Éloi.

Vincent Charpentier
Bruno Dumezil, vous savez tout ça par les textes ou par l’archéologie ?

Bruno Dumézil
Les deux, les deux sciences sont complémentaires. Depuis quelque temps, depuis quelques décennies maintenant les historiens et les archéologues arrivent à se parler sans se fâcher. Ils sont conscients de parler parfois de choses différentes, mais les deux sciences sont complémentaires et permettent de reconstituer une époque sur laquelle, il faut bien l’avouer, les textes sont très rares et extrêmement partiaux. On a le point de vue essentiellement des hommes d’église, du Roi, du palais et pratiquement aucune source ni sur l’élite, ni bien entendu sur les hommes du peuple.

Vincent Charpentier
Je reviens à ce grand commerce très lointain, ce sont des liens tout à fait nouveaux ou est-ce que c’est tout simplement encore des circuits d’échanges qui étaient liés à l’antiquité, donc à Rome ?

Bruno Dumézil
Ce sont des circuits d’échanges romains. Pendant longtemps archéologues et historiens ont fantasmé sur les grenats en se disant « voilà une pierre rouge venue de bohème, c’est bien la preuve que nous avons affaire à des germains, que ces Francs qui arrivent en Gaule, au Vème siècle », et puis lorsqu’on a découvert que les pierres venaient d’Inde et du Sri Lanka, on s’est dit «  finalement non ». Sont-ils germaniques, ne le sont-ils pas ? Finalement, ça n’a pas tellement d’importance. Les Francs commencent à avoir une culture matérielle mérovingienne des objets que l’on qualifiera de Mérovingiens qu’à partir du moment où ils entrent en contact avec le monde romain, à partir du moment où d’une certaine façon ils deviennent romains. On parle souvent d’orfèvrerie barbare, mais on pourrait parler également d’orfèvrerie byzantine, en fait c’est une orfèvrerie qui est partagée par toutes les régions occidentales et même jusque dans la région du bas Danube.

Vincent Charpentier
Marie-Cécile Truc, les hommes sont en armes, donc épées, angon, qui est une sorte de lance, je crois, la femme a, elle, uniquement des parures ?

Marie-Cécile Truc
Elle a de la parure et de la vaisselle. Elle a une riche parure qui est typique vraiment de la mode du VIème siècle, d’une certaine élite que l’on va retrouver vraiment, je dirais, de Suisse ou d’Allemagne actuelles jusqu’en Grande-Bretagne, c’est-à-dire qu’elle porte deux petites fibules à décor cloisonné à hauteur du cou, associé à deux fibules que l’on dit dans notre jargon archéologue, en C asymétriques, qui sont en fait de longues fibules ornées de digitation, des fibules en argent moulé recouvert d’or et c’est cette association de fibules qui signent, je dirais, le statut un peu élevé de cette jeune femme. À ceci, il faut ajouter plus de 70 perles de matériaux variés, que nous avons retrouvés sur son cou, sa poitrine et son abdomen. Elle portait ses parles matérialisées à un collier, dont elle était parée, en perles d’ambre, mais elle avait également sans doute une sorte de plastron que nous n’avons pas encore pu complètement identifier, qui était peut-être cousu sur son vêtement, une broderie ornant son vêtement.

Vincent Charpentier
Ce qui m’a surpris, moi, c’est qu’il y avait aussi la tombe d’un cheval. C’est une pratique courante durant ces époques, ce 6ème siècle ?

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Vue générale de la tombe de cheval
© V. Peltier, Inrap

Marie-Cécile Truc
Alors, la tombe de cheval est considérée comme une tradition germanique qui est déjà rapportée au cours du 1er siècle, par Thacite, mais qu’on va trouver effectivement dans les régions plutôt rhénanes, et elle va rester beaucoup plus développée dans les régions non christianisées, de notre côté en Gaule-Autrasienne, c’est effectivement quelque chose d’assez rare.

Vincent Charpentier
Bruno Dumezil, au cours de cette période, le vrai centre de gravité économique de l’Europe n’est pas l’actuelle France, c’est plutôt les pays scandinaves, les pays de mer du Nord ?

Bruno Dumézil
Jusqu’à la fin du 6ème siècle, les produits arrivent par la Méditerranée. La Méditerranée reste active, la Méditerranée reste le centre d’un commerce avec des routes romaines et la Méditerranée reste le centre de provenance de matériaux comme le papyrus, c’est-à-dire le support de l’écriture. Et puis, assez soudainement, vers 600, le commerce bascule. La peste frappe les régions méditerranéennes, il n’est plus facile de commercer, on a peur, et désormais on s’approvisionne en mer du Nord. Y compris pour des produits comme la soie, la soie qui suivait la route de la soie jusqu’à Byzance et puis passait en Méditerranée, désormais passera par les routes de la Volga, de la Baltique, ce qui bien entendu explique l’essor des Scandinaves au cours des 7ème et 8ème siècles.

Vincent Charpentier
Vous parlez de papyrus, on écrit très mal durant cette époque.

Bruno Dumézil
Oui, on écrit très mal, mais parce qu’on écrit beaucoup. Les Mérovingiens ont une écriture de chat parce qu’ils ont une pensée bureaucratique pourrait-on dire, ils écrivent tout, les testaments, les ordres du Roi jusqu’aux actes de divorce. On a conservé de très nombreux actes de divorce mérovingiens parce qu’il est impensable d’avoir un acte légal sans un acte écrit. Alors malheureusement pour nous, tout ça est écrit sur papyrus, on l’a perdu. Les Carolingiens écrivent beaucoup moins, à l’époque de Charlemagne, on écrit sur du robuste parchemin. C’est conservé et en fait c’est parce que c’était très rare.

Vincent Charpentier
Ces sépultures du début du 6ème siècle se rattachent à ce qu’on appelle des tombes de chef. Quelle est la répartition de ces tombes de chef ? On en trouve partout en Europe ?

Bruno Dumézil
Les tombes de chef sont rares, elles forment une sorte de zone européenne qui ressemble à la banane bleue actuelle, c’est-à-dire du nord de l’Italie jusqu’au Kent, allongé globalement jusqu’à la Rhénanie. C’est un espace qui est peuplé par des élites que l’on appellera barbares, germaniques, mais qui sont rares et qui ne se diffusent pas loin. On ne comprend pas exactement pourquoi dans des endroits comme l’Aquitaine ou l’Auvergne, où il y a des Francs, ces gens-là ne se font pas enterrés comme des chefs. Disons qu’à cet endroit-là, lorsque les structures romaines sont perturbées, on a besoin de manifester la hiérarchie autrement. La tombe de chef, c’est monumental, ça coûte très cher, on peut la montrer au public au moment des sépultures et vraisemblablement ça sert à poser les nouvelles bases d’une société.

Vincent Charpentier
Marie-Cécile Truc, vous les pensez chrétiens, vos élites de Saint-Dizier ?

Marie-Cécile Truc
Je pense qu’ils sont chrétiens parce qu’officiellement ils sont chrétiens à l’époque après nous avons, par exemple la jeune femme porte une bague cruciforme qui pourrait rappeler déjà l’empreinte chrétienne. Jusqu’à quel point la chrétienté et la foi a-t-elle pénétré ces personnes à l’époque ? Nul ne peut le mesurer.

Vincent Charpentier
Bruno Dumezil, on est chrétiens, mais on est aussi encore païens ?

Bruno Dumézil
Je crois que ce n’est pas comme ça qu’il faut le présenter. On a besoin de se montrer et on connaît des évêques qui se font enterrés avec des éperons, qui se font enterrer avec des harnachements de chevaux. Je connais même un évêque qui s’est fait enterrer avec son cheval, alors est-ce que c’est un évêque païen ? Non, c’est inconcevable. Il faut bien penser que les rites funéraires et la religion sont deux choses séparées, il y a deux grammaires différentes. Parfois, on a besoin de sépultures de prestige alors même que la religion laisse supposer que l’inhumation n’a pas de sens. C’est ce que disait déjà Saint-Augustin « qu’importe si l’on est brûlé ou si l’on est inhumé, ça n’a pas de sens devant Dieu  », et pourtant à l’époque de Saint-Augustin ça a du sens et lui-même en est conscient.

Vincent Charpentier
Marie-Cécile Truc, vous avez donc trois tombes exceptionnelles, découvertes en 2002. En 2015, une nouvelle très belle tombe est trouvé ?

Marie-Cécile Truc
Effectivement, en 2015, une troisième tombe masculine a été trouvée. Elle se trouve à une centaine de mètres des tombes de 2002 et elle a été découverte à l’occasion de la fouille de la nécropoles du site des Crassées à Saint-Dizier, qui est menée par Stéphanie Desbrosse-Degobertière et Raphaël Durost.

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Stéphanie Desbrosse-Degobertière et Raphaël Durost, archéologues à l’Inrap (Institut national de recherches archéologiques préventives), nous expliquent la découverte réalisée ce vendredi 25 juin 2021 sur le site archéologique des Crassées à Saint-Dizier.

Sur cette villa antique, s’est greffée en fait une nécropole mérovingienne au centre de laquelle est édifiée une église dont la datation n’est pas encore complètement connue, mais qui se trouverait dans le courant du Moyen-Âge. À cet emplacement se trouve une tombe de chef. Cette tombe est très perturbée par l’installation d’un sarcophage qui a été remis par-dessus quelques années plus tard, mais les objets qui nous restent de cette tombe sont en tous points semblables à ceux des chefs de 2002, c’est-à-dire que nous avons un bassin en bronze, une verrerie et deux armes, un angon et une lance. Il y avait évidemment de nombreux autres dépôts qui ne sont pas parvenus jusqu’à nous.

Vincent Charpentier
La tombe du commun des mortels, elle est comment ?

Marie-Cécile Truc
Je dirais le Mérovingien du 6ème siècle se fait enterrer habillé, c’est clair. On peut lui trouver une boucle de ceinture en bronze, par exemple, éventuellement en argent s’il est un peu plus doté. Si c’est un homme il aura alors un scramasaxe, qui à l’époque reste assez court. De temps en temps il peut avoir une hache. La femme aura peut-être une ou deux fibules cloisonnées, peut-être un bracelet ou un collier, mais rarement tous ces éléments en même temps. Si on a de la vaisselle, nous aurons plutôt une céramique, mais nous n’aurons jamais un chaudron en bronze, un seau en bronze, ou plusieurs verreries comme dans les tombes de chef.

Vincent Charpentier
Est-ce qu’on a réellement découvert l’habitat ? Puisque là on est vraiment dans le funéraire, dans les nécropoles. Est-ce que l’on a un habitat médiéval du 6ème siècle Austrasien ?

Marie-Cécile Truc
Alors, nous avons un habitat médiéval qui est assurément daté du 8ème au 12ème siècle, qui a été fouillé dans les années 90, et l’habitat je dirais contemporain de nos chefs est suspecté, mais n’est pas encore complètement compris et fouillé. Il faudra vraiment attendre la poursuite des fouilles pour en être certains, mais cela pose également la question : nos chefs ont-ils vraiment vécu ici ? Je parle des chefs de 2002. Ont-ils vraiment vécu là, ou sont-ils d’une autre provenance ? Parce que la question qui se pose c’est pourquoi sont-ils inhumés à distance de la nécropole ? À distance du reste de la population ? La population inhumée dans la nécropole des des Crassées a vraisemblablement vécu ici, sur les vestiges de la villa antique, plus ou moins récupérée, plus ou moins rebâtie, plus ou moins réoccupée ou squattée pourrait-on dire même pour l’époque mérovingienne, et dans le village médiéval qui se développer après. Nos chefs de 2002, pourquoi sont-ils à distance à part ?

Vincent Charpentier
Bruno Dumezil, comment expliquer la présence de cette élite avant même la naissance de la ville de Saint-Dizier ?

Bruno Dumezil
Là, je crois qu’il faut avoir une approche très moderne de la chose. S’il y a présence de l’élite, c’est qu’il y a de la richesse et une richesse qu’on peut percevoir. Deux hypothèses : soit un pont sur la rivière, sur lequel on peut percevoir un impôt, un péage, et donc on a ici des élites administratives chargées de cette perception, soit beaucoup plus vraisemblablement une forge. On sait que le site de Saint-Dizier abrite par la suite des forges, on sait qu’il y a des minerais, facilement accessibles, on a des armes de toute beauté qui sont présentes sur le site. Vraisemblablement un gros lieu de fabrication d’épées, et là encore, une élite administrative qui perçoit des revenus sur cette fabrication.

Vincent Charpentier
On n’est pas loin d’une frontière, par exemple aussi ?

Bruno Dumezil
On est proches d’une frontière qui se trouve un peu plus au sud, avec l’autre royaume mérovingien, la Borgondie, on n’est pas loin d’Andelot, le lieu du pacte symbolique qui va être le premier grand texte médiéval conservé. On est au milieu des années 580, mais il faut bien voir qu’on n’est pas loin non plus des palais, on se trouve juste à côté du site de Pontion, qui est le lieu où Charlemagne va rencontrer pour la première fois le pape. Donc on est dans un ensemble de lieux de pouvoir qui sont certes proches des autres et qui est en même temps un lieu tout à fait Austrasien.

Vincent Charpentier
Et on pourrait imaginer, donc, un palais Austrasien à Saint-Dizier ?

Bruno Dumezil
C’est peu vraisemblable, quoiqu’un palais mérovingien ce n’est pas grand-chose. Les Mérovingiens n’ont pas de capitale, le palais c’est l’endroit où vit le Roi, le Roi se déplace régulièrement, tous les deux ou trois mois, et lorsqu’il arrive dans un endroit, il dit que cet endroit est son palais. Alors, est-ce qu’il y aurait un palais à Saint-Dizier ? On n’a pas conservé d’acte, à mon sens il n’y a pas de raison de le suspecter, mais pourquoi pas ? Si on trouvait une belle inscription, on serait tellement heureux.

Vincent Charpentier
Marie-Cécile Truc, vous le cherchez ce palais ?

Marie-Cécile Truc
Moi je ne pense pas qu’il y ait un palais, pour être franche, ici. On a clairement un très gros village, un très gros site d’habitats qui est occupé depuis l’époque antique, on a une villa antique d’importance qui a sans doute dû attirer ces aristocrates Francs ou Mérovingiens mais honnêtement je ne crois pas à la présence d’un palais ici. Ça ne nous empêche pas de le chercher.

Vincent Charpentier
À cette époque, on se revendique de quoi ? De la Gaule romaine ? Des Francs ou tout simplement d’une élite ?

Bruno Dumezil
Tout dépend des moments. Aujourd’hui encore de quoi vous revendiquez-vous ? Est-ce que vous vous sentez habitant de Saint-Dizier, habitant de Haute-Marne, membre de la grande région Grand-Est ou Français ? Tout dépend du contexte et je crois qu’à cette époque-là ça dépend aussi, à certains moments les gens se définissent comme Austrasiens quand ils veulent s’opposer aux autres royaumes de Neustrie et de Burgondie, à d’autres moments ils se désignent comme Francs, lorsqu’il y a un besoin d’une identité globale, notamment pour se défendre face aux ennemies, et à d’autres moments ils doivent sans doute se sentir habitant du site local. J’ignore comment se disait Saint-Dizier à l’époque mérovingienne ? Mais ils se sentent sans doute, les habitants, très locaux à tel point que leurs coutumes funéraires peuvent être différentes de celles que l’on voit à 20 kilomètres. Il faut se distinguer des autres parce qu’on appartient à une communauté.

Vincent Charpentier
Ces individus, pourrions-nous avoir affaire à quelques proches du roi, par exemple Théodoric, Théodebert Ier, ou Théodebald

Bruno Dumezil
Ce sont vraisemblablement des gens qui ont eu accès à la cour, sans doute des gens qui ont eu accès au Roi, si l’on en croit la présence des anneaux sur leurs épées. Les anneaux de dignité sont quand même suffisamment rares pour supposer la très haute élite, et quelques textes, malheureusement un peu postérieurs, mais enfin existants, montrant que cette présence d’anneau est liée à un rapport avec une autorité supérieure. On est à quelques dizaines voire vingtaine de kilomètres des grands palais mérovingiens. Difficile de penser que des chefs n’ont pas été proches du Roi, comme Thierry 1er, Théodebert Ier, Childebert ou Sigebert , tous ces grands fondateurs de l’Austrasie.

Vincent Charpentier
On n’est pas loin aussi de la date de création de l’Austrasie. Quelle est la genèse de ce royaume d’Austrasie ? Par force, bien sûr, Clovis, forcément 511 ?

Bruno Dumezil
Sans doute, mais en 511, on n’a pas de nom de royaume, tout comme aujourd’hui on a beaucoup hésité sur le nom des grandes régions, il faut bien penser que lorsque les entités territoriales apparaissent en 511, à la mort de Clovis, on ne leur trouve pas de nom. Alors les chroniqueurs nous parlent de la Belgique, nous parlent de la Germanie, des vieux noms romains, la terre des Sicans, la terre des Francs, et puis ce n’est que vers les années 560, c’est-à-dire un demi-siècle après la création de ces royaumes que le mot d’Austrasie apparaît, sans doute après un très long débat, une votation populaire comme aujourd’hui.

Vincent Charpentier
En tout cas, c’est Grégoire de Tours qui lance le nom pour la première fois ?

Bruno Dumezil
Il le lance, mais sans conviction, deux mentions dans ces dix livres d’histoire qui couvrent plus de 400 pages, autant dire quelque chose de très rare. Il sait que ça s’appelle l’Austrasie, il préfère d’autres appellations, il parle des Francs de l’Est, il parle du royaume de Sigebert. C’est un nom qui est en train d’être testé et qui aura beaucoup de succès au 7ème et au 8ème siècle où là on a beaucoup de documents qui portent le nom d’Austrasie et surtout beaucoup de mentions des Austrasiens, peut-être que l’Austrasie ce n’est que la somme des Austrasiens.

Vincent Charpentier
Le 6ème siècle est-il une période d’ascension sociale, ou tout au contraire cette élite est déjà totalement imperméable ?

Bruno Dumezil
C’est un moment de grande opportunité. Il faut bien voir que l’Empire romain s’est effondré définitivement en 476, il n’y a plus de chevalier, il n’y a plus de sénateur, il n’y a plus de curiale romains. Désormais il est possible en se mettant au service du Roi mérovingien de monter, parfois de monter très haut. Au 6ème siècle, deux esclaves réussissent à devenir comtes du royaume mérovingien. Le comte, à cette époque-là, c’est un haut fonctionnaire, mais deux esclaves, très cultivés, très bons comptables nous dit-on, excellents mathématiciens deviennent le serviteurs du roi mérovingien parce qu’ils sont capables de percevoir l’impôt. Et sans doute le 6ème siècle est un moment d’opportunité, ces opportunités s’arrêtent à la fin du 6ème siècle. Début 7ème, la naissance de la noblesse médiévale met fin à toutes les ascensions sociales.

Vincent Charpentier
C’est l’histoire par rapport de Conda, qui a été décrite dans un poème de 566 ?

Bruno Dumezil
On a effectivement un récit de ce serviteur du Roi Sigebert qui s’appelle Conda, qui poursuit toutes les étapes d’une carrière en partant de niveau très humble au palais, de serviteur du palais, jusqu’à finir convive du Roi, c’est-à-dire qu’il a le droit de manger à la table du Roi et nous dit-on sans obligation de service, c’est-à-dire qu’il est une sorte de haut fonctionnaire à la retraite.

Vincent Charpentier
En 717, l’Austrasie disparaît. Nous voici donc sur une sorte d’effondrement, la collapse d’un royaume, la cause en serait les Pipinides ?

Bruno Dumezil
L’Austrasie est tuée par les Austrasiens, par les maires du palais d’Austrasie, par ceux qu’on appelle les Pipinides, les membres de la famille des gens qui s’appellent Pépin de père en fils, mais qu’on appellera nous les Caroligiens. Ce sont les maires du palais d’Austrasie qui, Austrasiens de génération en génération, décident soudainement, début du 8ème siècle, de se faire appeler Roi des Francs, qui réussissent et qui fondent une nouvelle dynastie.

Vincent Charpentier
L’Austrasie meurt de son succès presque ?

Bruno Dumezil
L’Austrasie meurt de son succès ou pour être exact du succès de ses élites, elle meurt en tant que royaume, les Austrasiens, eux, vont peupler toute l’Europe.

Vincent Charpentier
François Conut-Gentille, votre région se dénomme désormais Grand-Est. Certains envisageaient même l’Austrasie ?

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François Cornut-Gentille, député-maire de Saint-Dizier

François Cornut-Gentil
Austrasie, oui, c’était un clin d’œil de l’histoire, mais comme chacun sait l’histoire envoie éventuellement des clients d’œil, mais ne revient pas donc c’est très bien Grand-Est, mais c’est pas mal de se demander comment se font et se défont les entités, les régions, les royaumes et finalement si le retour de l’Austrasie était impossible, et c’est sans doute ces tables, se demander pourquoi l’Austrasie, pourquoi l’Austrasie pendant trois siècles ? Est-ce qu’on a encore un lien avec ce pays un peu lointain et est-ce qu’on lui doit quelque chose ? Je pense que ça vaut la peine de se poser ces questions en tout cas.

Vincent Charpentier
En tout cas, à l’heure où notre identité devient centrale dans notre société, pourquoi l’archéologie tient-elle une place si privilégiée à Saint-Dizier ? La recherche d’une identité, d’une origine Austrasienne, de vos ancêtres ?

François Cornut-Gentil
Non, on n’est pas comme au XIXème siècle, où tout le monde essayait de s’imaginer des origines royales ou nobles, c’est pas du tout ça notre sujet, c’est d’essayer de comprendre un peu d’où vient ce territoire, ces régions de l’Est, Saint-Dizier, la Haute-Marne. C’était autrefois des régions très densément peuplées, assez riches, qui sont ce qu’on appelle aujourd’hui un peu la France des oubliés donc on peut se sentir un peu en marge, comprendre d’où on vient nous-mêmes, je pense que c’est utile pour l’avenir et donc voilà, c’est ni pour se valoriser, ni pour se culpabiliser, c’est pour savoir un peu qui l’on est collectivement et pourquoi on est là.

Vincent Charpentier
Aujourd’hui, l’archéologie peut aussi être un outil, un outil identitaire ?

François Cornut-Gentil
Je dirais que c’est un outil politique au sens fort du terme et pas politicien, vous le comprenez bien. On voit, et je pense que les six mois qui s’annoncent vont être assez redoutables en la matière. Tout le monde fantasme ses origines, voilà. Une partie des Français ont l’impression d’être envahis, ceux qui sont loin d’ici ou plus récemment d’ici se sentent les damnés de la terre et tout le monde est paranoïaque, tout le monde se sent agressé, s’interroger sur l’Austrasie c’est découvrir que ces migrations peuplent ces échanges, ça a toujours été difficile, ça a toujours été compliqué, mais c’est toujours à partir de ces rencontres que se sont bâtis des projets, et je crois que l’identité qui est la tarte à la crème actuelle, cette identité ce n’est pas dans le passé, y compris en regardant ce qu’était l’Austrasie. On s’aperçoit que l’Austrasie était un projet en réalité, et donc regarder le passé ce n’est pas trouver notre vérité figée c’est comprendre comment les projets politiques se développent et construisent des identités. Le débat actuel est malsain s’il nous oblige à nous retourner simplement, nous renfermer sur le passé. S’il nous aide à comprendre qu’y compris dans le passé, l’identité c’est des choix d’avenir commun qu’on fait, ce débat sera peut-être utile.

Vincent Charpentier
Je rappelle le titre de l’exposition qui se tient actuellement à Saint-Dizier, « Austrasie, royaume mérovingien oublié ». Carbone 14 était réalisé par Vanessa Nadjar, à la technique Manuel Couturier, avec la contribution d’Anne-Catherine Lechat. Vous pouvez bien entendu écouter ou podcaster cette émission sur la page de Carbone 14 sur le site France Culture.fr, vous retrouvez plus de 300 archives de l’émission sur le site INRA.fr.

Publié le 24 septembre 2016 dans https://www.franceculture.fr

« Austrasie, Le royaume mérovingien oublié » à voir jusqu’au 26 mars 2017 à Saint-Dizier, à l’Espace Camille Claudel, 9 avenue de la République, 52100 Saint-Dizier. Entrée gratuite. Tel : 03 25 07 31 50

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Télécharger le sommaire et le bon de commande de l’ouvrage "Saint-Dizier « La Tuilerie » (Haute-Marne) Trois sépultures d’élite du VIe siècle" (pdf, 854 Ko)

Pour en savoir plus :

 Le Traité d’Andelot le 28 novembre 587
 Découverte de trois tombes exceptionnelles du VIe siècle en Austrasie le 20 février 2002
 D’ACAL au Grand Est, en passant par l’Austrasie le 14 mars 2016
 L’Austrasie, le royaume mérovingien oublié qui refait surface à Saint-Dizier le 09 septembre 2016
 Austrasie, le royaume merovingien oublié le 16 septembre 2016
 Austrasie, le royaume oublié le 23 septembre 2016
 Sous la truelle ...l’Austrasie le 24 septembre 2016
 Saint-Dizier « La Tuilerie » - Trois sépultures d’élite du VIe siècle en Austrasie le 17 février 2020
 Saint-Dizier : Fouilles des Crassées : 2022 aussi exceptionnelle que 2021 ? le 11 mai 2022