La prothèse d’un oculariste lui permet de relever la tête

, par Fabienne AUSSERRE

Enfant, Juliette a perdu l’usage d’un œil. Au collège, au lycée, elle a essuyé tant de moqueries qu’elle a appris à baisser la tête. Le monde a changé quand, jeune adulte, un oculariste lui a fabriqué une prothèse. Si Juliette évite encore de croiser le regard des autres, elle reprend peu à peu confiance en elle.

« J’ai reçu une petite voiture dans l’œil ». Juliette* a mis du temps à dire précisément quelle affaire lui avait valu, à l’âge de 3 ans, de perdre définitivement un œil. Qui imaginerait pareille issue dramatique à des « chamailleries » ? En lui faisant un pied de nez, le sort a saboté le démarrage de sa vie. Une pitrerie au début, une tragédie à la fin. Dans l’entourage de la fillette, la dizaine d’enfants du village vont se montrer « gentils », voire précautionneux avec leur copine, tout le monde se connaît ici, son accident a été une déflagration, ils participent à prendre soin d’elle. Mais Juliette va entrer au collège, puis au lycée. Dans l’un puis l’autre établissement, elle devient l’objet de « moqueries ». Jusqu’à ses 18 ans. Aujourd’hui mère de famille, elle reste incapable de les répéter. «  Je baissais la tête  », se contente-t-elle de résumer.

Franchise salvatrice

« Maintenant, je baisse (juste) le regard… ». Celui des autres l’a longtemps crucifiée. À sa majorité, Juliette, qui reste convaincue qu’un rendez-vous chez l’ophtalmologiste est proprement inutile puisque son œil « ne voit définitivement plus rien » va au CHU de Nancy. Elle veut y «  enterrer tout, en se faisant poser un œil de verre  ». Par hasard, on lui parle d’une alternative à cette intervention. « Vous pouvez toujours tenter une prothèse… ». Bref, elle peut toujours consulter l’avis d’un oculariste. La jeune femme tente le coup. «  Pour consulter, je faisais 3 h de route aller… et retour. Bref, ma journée était bouffée ». Toutefois, elle tient le coup. La demoiselle suit l’oculariste Cyrille quand il prend son indépendance. Ils se rencontrent pour de vrai. «  Elle avait une prothèse décentrée, je lui ai dit que ça n’allait pas du tout, qu’il fallait recommencer ». En lui parlant sans détour, Juliette « rigole tout de suite », sa franchise lui va bien. Elle tranche avec le silence de ses proches. Juliette ne le quittera plus.

« Très peu savent pour ma prothèse »

«  L’œil bouge, change, et au bout d’un moment, on supporte mal la prothèse ». Aujourd’hui, Juliette, qui a en a déjà changé « une dizaine de fois  » traverse la phase que Cyrille décrit. Elle convient dans un murmure que oui, maintenant qu’elle n’est plus adaptée, sa prothèse la fait souffrir. Cyrille confirme : «  elle manque de stabilité  ». Aussi va-t-il tout reprendre : forme, couleur, confort. Dans le milieu médical dans lequel Juliette travaille, «  très peu de personnes savent pour ma prothèse  », elle « y a tenu ». Si celle-ci lui rend la vie autrement acceptable, elle est stupéfaite de ne jamais entendre parler du métier d’oculariste.

« Un magicien » qui veut s’installer à Chaumont

« On se parle de nos expériences, complètement différentes ». Juliette est de toutes les sorties que Cyrille met sur pied pour ses patients. Une journée à Paris hier, un voyage lointain demain. « Entre gens qui vivent une expérience semblable, on se donne des conseils. Par exemple sur le mascara  ». Les discussions se prolongent au sein d’un groupe Facebook privé, précise Juliette. « Pour moi, Cyrille est un magicien ». Ledit magicien, qui, salarié, a exercé à Chaumont veut y revenir, maintenant qu’il est son propre patron – il exerce aujourd’hui à Saint-Dizier. «  Je serai alors à Chaumont deux fois par mois  ». Il s’est en effet promis de ne pas être « à plus d’une heure de route  » de ses patients.

Fabienne Ausserre

f.ausserre@jhm.fr

* Juliette est un prénom d’emprunt pour l’article


Publié par Fabienne Ausserre le samedi 22 avril 2023 dans le JHM quotidien n° 10457 (Journal de la Haute-Marne) en page 05

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