Bio-inspiration : S’inspirer du vivant pour penser demain le biomimétisme en tant que démarche et méthodologie d’innovation est transversal par nature et d’intérêt pour presque tous les secteurs d’activités industriels

, par Christophe Juppin

Quel est le point commun entre le velcro, l’Eastgate Building au Zimbabwe et la peinture autonettoyante Lotusan ? Toutes ces innovations technologiques ont été conçues en s’inspirant de phénomènes naturels : les fleurs de bardane pour le velcro, le système de thermorégulation des termitières pour l’Eastgate Building et les pouvoirs hydrophobes de la fleur de lotus pour la peinture.

Comme l’écrivait il y a 500 ans, Léonard de Vinci « scrute la nature, c’est là qu’est ton futur  ». C’est à partir de ce précepte qu’est née la bio-inspiration et le Toscan est l’un des premiers à s’être inspiré des êtres vivants pour concevoir des machines comme l’ornithoptère, une aile volante issue de l’observation du vol de l’oiseau.

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Un des premiers dessins que Léonard de Vinci ait consacré à ses machines volantes. Il préfigure d’autres versions de l’ornithoptère, cet aéronef dont la sustentation est assurée par des battements d’ailes suivant le principe du vol des oiseaux. Un système de levier transforme des mouvements alternés des pieds et des mains en battements d’ailes. Le dessin est extrait du Codex Atlanticus.

Aujourd’hui, la bio-inspiration est un véritable phénomène qui inspire à la fois les chercheurs – qui inventent de nouveaux matériaux, de nouveaux procédés, de nouvelles structures – et les entreprises en quête d’innovations leur permettant d’être les plus compétitives possibles.

Pour preuve, de grands groupes ont décidé d’investir ce domaine – l’Oréal, Renault ou Dassault Systèmes et la Nouvelle-Aquitaine est une des régions françaises en pointe sur le sujet, à travers une recherche stimulante et de nombreuses entreprises impliquées (51 acteurs professionnels et du de la recherche ont été identifiés en 2018 par VertigoLab et le CEEBIOS).

Les grands enjeux liés à la bio-inspiration.

1 - La bio-inspiration : observer la nature pour innover

Domaine en pleine émergence, à mesure que les découvertes scientifiques sur le vivant progressent, la bio-inspiration peut être définie comme un mode de pensée opérationnelle qui cherche dans le vivant, dans sa capacité de résilience et dans ses propriétés d’adaptabilité, les moyens permettant à l’homme d’innover. Ce nouveau paradigme part du postulat que la nature, forte de 4 milliards d’années d’évolution, est aujourd’hui un exemple à suivre. En décodant et en imitant certaines propriétés du vivant, les chercheurs et les ingénieurs cherchent des réponses et des solutions à des défis technologiques.

L’exemple le plus parlant est celui du nez du train japonais à très grande vitesse, Shinkansen. Ce dernier a été copié sur le bec du martin-pêcheur afin de réduire les pertes de vitesse et les nuisances sonores dues à la compression de l’air lors du passage du train dans les tunnels.(1)

La bio-inspiration s’incarne dans trois grands domaines :
 dans celui des formes et des structures (architecture,design),
 dans celui des procédés et des matériaux et
 dans celui des organisations et des systèmes.

L’objectif est de proposer des innovations performantes répondant aux enjeux du
marché et de la compétitivité. Une deuxième voie est apparue à la fin des années 1990 suite aux travaux d’Otto Schmitt en bioingénierie médicale (2) :

Le bio-mimétisme est défini par Janine Benyus du Biomimicry Institute comme une philosophie dont l’ambition est de prendre la nature pour modèle afin de relever les défis du développement durable (3). En introduisant cette notion de soutenabilité, l’auteur replace au centre des recherches sur le vivant le respect et la protection de ce dernier. La responsabilité incombe alors aux chercheurs de mettre en œuvre des innovations bio-inspirées qui ne mettent pas en danger la survie de leurs sources d’inspiration.

En septembre 2015, le CESE (Conseil économique, social et environnemental) rendait un avis à propos du biomimétisme dans lequel plusieurs préconisations étaient avancées : donner une meilleure visibilité aux initiatives, lever les obstacles aux applications, ancrer le biomimétisme dans le paysage éducatif et enfin progresser vers la durabilité.

En 2015 toujours, était lancé le Centre Européen d’Excellence en Biomimétisme de Senlis (CEEBIOS) dont les missions sont d’œuvrer pour la reconnaissance, le développement et le recours de plus en plus régulier au biomimétisme dans le monde in-dustriel autour du triptyque : forma-tion – recherche – industrie. En juillet 2018, le CEEBIOS a publié un Etat des lieux du biomimétisme en France.

2 - La bio-inspiration concerne tous les secteurs d’activités

Comme le signale le CEEBIOS dans son rapport, « le biomimétisme en tant que démarche et méthodologie d’innovation est transversal par nature et d’intérêt pour presque tous les secteurs d’activités industriels ».

L’observation et l’utilisation des pro-priétés du vivant se retrouvent donc dans l’univers des formes et des structures. La société eel energy basée à Boulogne-sur-Mer a ainsi développé une hydrolienne fluviale inspirée de la nage des anguilles : l’hydrolienne prend la forme d’une membrane de grande envergure qui ondule, comme un poisson, au rythme du courant, dès que celui-ci atteint 0,5m/s4. L’objectif est de produire jusqu’à 30kW d’énergie.

Toujours dans le domaine maritime, les néo-aquitains de S-Wings repensent le surf grâce à des dérives inspirés de la forme des nageoires de poisson. Le but est d’offrir une meilleure propulsion à la planche tout en permettant au surfeur d’en garder un très bon contrôle. Velox est un robot proposé par la société Pliant Energy Systems qui est capable de se déplacer sous l’eau comme sur terre, sans rupture et avec un même mode de locomotion, grâce à une seule paire d’ailerons. « Ces ailerons peuvent être décrits comme des objets à quatre di-mensions avec une géométrie hyper-bolique qui permet au robot de nager comme une raie, de ramper comme un mille-pattes, de jaillir comme un calamar et de glisser comme un serpent. (5) » Ce robot pourrait, à l’avenir, venir équiper des véhicules d’intervention amphibie.

Le monde des insectes inspirent également la recherche, avec des enjeux divers. Le
Wiss Institute d’Harvard a réalisé un petit robot (le RoboBee ) inspiré de l’abeille : le robot possède deux ailes bioniques dont les mouvements sont inspirés du mouvement réel des ailes des abeilles et d’un système visuel lui permettant d’adapter en temps réel son vol à son environnement. A terme, ce robot pourrait intervenir sur les zones sinistrées pour recueil-lir facilement les informations sur des terrains inaccessibles à l’homme, mais aussi comme pollinisateur ou encore comme station de contrôle de l’environnement.

En observant le cafard des chercheurs de l’Université de Californie à Berkeley ont créé DASH (Dynamic Autonomous Sprawled Hexapod), un robot répliquant cer-taines caractéristiques du cafard (rapidité, solidité, dextérité) lui permettant d’intervenir à la place de l’homme dans des zones à risques comme les sites contaminés, les éboulements, etc.

CurvACE est un projet d’œil artificiel inspiré par celui de la mouche. L’objectif est de parvenir à créer un « œil » électronique à champ de vision panoramique non déformé. Soute-nu par la Commission Européenne, le projet ambitionne d’équiper les futurs robots autonomes liés à la navigation, tout comme les français de Prophesee qui s’inspirent de l’œil humain pour améliorer la vision dans la robotique industrielle.

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Les français de Prophesee s’inspirent de l’œil humain pour améliorer la vision dans la robotique industrielle.

Le monde de la matière s’inspire également du vivant. Les équipementiers automobiles jouent pleinement la carte de la bio-inspiration notamment dans l’univers du pneumatique : Goo-dyear s’est ainsi inspiré de la peau et des muscles humains pour produire un pneu autorégénérant quand Michelin propose un pneu biodégra-dable et imprimé en 3D.

La peau de requin, par ses propriétés antibactériennes, a permis à Sharklet de proposer Sharkskin un pansement antibactérien permettant une cicatrisation ultra-rapide, notamment pour les blessés sur les zones de combat, ou encore de produire un film adhésif sur la surface duquel les bactéries ne peuvent se fixer. Ce film serait particulièrement intéressant dans le domaine de la santé puisqu’il permettrait de réduire le risque d’exposition aux maladies nosocomiales dans les hôpitaux par exemple.

Dans l’univers médical, les crustacés peuvent apporter beaucoup à l’innovation. Des chercheurs du Wyss Institute ont créé un plastique bio-dégradable en s’inspirant de la structure des carapaces de crevettes qui pourrait être utilisé dans le cadre des sutures et de la médecine régénérative.

Hemarina, entreprise française, est spécialisée dans les transporteurs d’oxygène universels inspirés par les vers marins présents sur les plages. Une découverte qui sert aujourd’hui de substitut sanguin universel utilisé notamment pour la transplantation sanguine et permettant de conserver les organes plus longtemps en les oxygénant.

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Ce flacon contient du sang extrait de ver marin. Les molécules qui le constituent ont un extraordinaire pouvoir d’oxygénation. (photo : OUEST-FRANCE)

Dans un contexte de raréfaction des ressources naturelles et réchauffement climatique, en s’inspirant des mécanismes du vivant, la recherche (qu’elle soit fondamentale ou opérationnelle) pourrait offrir des innovations plus efficaces – donc plus rentables - et plus respectueuses de l’environnement.

Alexandre Bertin, Responsable Veille et Prospective

(1) L’aérodynamisme est un domaine dans lequel la bio-inspiration est très utilisée, comme par exemple, l’utilisation des propriétés des écailles de la peau du requin pour faciliter l’écoulement laminaire des avions, ou l’écoulement de l’eau sur un maillot de bain.
(2) Qui aurait forgé le néologisme biomimétisme pour décrire la notion de transfert de processus de la biologie à la technologie.
(3) Selon elle, la nature a déjà résolu bon nombre des problèmes auxquels l’homme fait face aujourd’hui.
(4) Contre 2m/s pour les hydroliennes à pales.
(5) Benjamin Filardo, fondateur et PDG de Pliant Energy

Publié par Alexandre Bertin le 15 janvier 2019 dans la Note de veille UNITEC

Télécharger la note de veille UNITEC complète publiée en janvier 2019


Pour en savoir plus :

 Laure Manaudou teste la combinaison d’Arena en "peau de requin"en juillet 2008
 Les fleurs de bardane inspirent le velcro, c’est un exemple de biomimétisme en 2016
 Le bec du martin pécheur solution pour le Shinkansen
 Prix de l’entrepreneur EY. Avec les vers marins, Hemarina révolutionne la médecine le 19 juillet 2018
 Bio-inspiration : S’inspirer du vivant pour penser demain en janvier 2019
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