La paille en paille, l’alternative écolo au plastique À partir du 1er janvier 2020, il sera interdit de mettre sur le marché des pailles en plastique en France.

, par Christophe Juppin

L’un est designer, l’autre, agriculteur. Ensemble en Normandie, dans le Perche ornais, ils anticipent la fin du plastique, en développant une idée unique et écologique, qu’ils ont appelée « la perche » : une paille en paille, écolo et bio.


Une paille en paille, produite dans le Perche qui, très simplement, s’appelle « la perche ». L’idée a germé dans l’esprit de deux hommes qui ne se connaissaient pas il y a un an. Jeff Lubrano, 50 ans, est designer. Mike Sallard, 26 ans, agriculteur. Tous deux passionnés de sports de glisse, ils se sont aussi trouvé des valeurs communes autour de la protection de l’environnement.

Un duo fertile

L’histoire commence à Saint-Julien-sur-Sarthe, dans l’Orne, là où le Parisien s’est enraciné il y a dix ans. « J’ai des chevaux, j’utilise de la paille… et j’ai eu cette idée.  » La réflexion de Jeff Lubrano ne vient pas de nulle part. Surfeur, il a écumé les océans et vu le plastique gangrener les plages du globe. Designer, il est spécialisé dans l’économie circulaire et a baptisé sa boîte Studio Fertile.

De fertilité, il est aussi question dans la vie professionnelle de Mike Sallard qui produit « des céréales pour l’alimentation humaine et animale, ainsi que de la viande bovine  ». Il vient de succéder à son père, Gilles, agriculteur bio depuis vingt-cinq ans. À La Besnarderie, à Courgeoût, dans l’Orne, on trouve des céréales sans glyphosate, de belles vaches salers dans les prés et des panneaux solaires…

La perche, en seigle

Au printemps dernier, lorsque Jeff Lubrano évoque son projet, on lui suggère d’en parler à Mike Sallard. Ils se rencontrent à la ferme et le projet démarre.

«  On a fait des tests avec toutes les céréales que je sème, du blé jusqu’au triticale, détaille Mike. On a choisi le seigle pour sa résistance et sa taille.  »

Un hectare et demi a alors été semé à l’automne. Il sera récolté en juin. « Et je conserverai les graines pour l’année suivante. »

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En France, plus de 3 milliards de pailles en plastique sont utilisées et jetées chaque année. Elles mettent 450 ans à se détruire. (Photo : capture d’écran La Perche / Facebook)
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Dans la ferme de Mike Sallard, une parcelle d’un hectare et demi a été semée de seigle qui sera récolté en juin. (Photo : Ouest-France)

Une marque est aussi trouvée en novembre : la perche. « Ça s’est imposé tout de suite, s’amuse Jeff Lubrano. On est dans le Perche et on tend la perche pour abandonner le plastique à usage unique. »

Le designer planche également sur un logo qu’il grave au laser sur les pailles dans le Fab Lab (laboratoire de fabrication) de l’Elabo de Bellême. «  On réfléchit encore à ajouter un colorant naturel pour l’améliorer », précise-t-il.

Zéro déchet

La paille en paille, « c’est un coproduit de l’agriculture », argumente Jeff Lubrano. D’un côté, les grains de seigle bio récoltés serviront à fabriquer de la farine. De l’autre, le chaume deviendra des pailles biodégradables.

« Nous réfléchissons également à l’utilisation que l’on pourra faire des chutes de paille. Peut-être du rembourrage pour des coussins ? On veut arriver à zéro déchet.  »

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Jeff Lubrano et Mike Sallard, dans le « Fab Lab » de l’Elabo de Bellême, où ils ont fait de multiples tests pour leur projet de pailles en paille. (Photo : Ouest-France)
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Sur les pailles, les créateurs ont gravé au laser le nom de leur marque : la perche. (Photo : La Perche)

À partir du 1er janvier 2020, il sera interdit de mettre sur le marché des pailles en plastique en France. Or, «  aucune alternative n’est proposée dans l’Hexagone , constate Jeff Lubrano. Les pailles en bambou viennent d’Indonésie. Celles qui sont faites en papier ne résistent pas longtemps. L’inox, ça ne fonctionne pas avec le chaud…  »

Les créateurs percherons, eux, seront prêts. Ils s’y emploient en tout cas.

Une démarche solidaire

« On espère produire 3 millions de pailles la première année, 15 la deuxième et 70 la troisième, annonce Jeff Lubrano. On pense les vendre par boîte de 100 à moins de 9 €. »

Qu’on ne se méprenne pas, « le but du jeu, ce n’est pas de faire fortune  ». Leur démarche est sociale et solidaire. L’Institut médico-éducatif du Perche est partie prenante du projet depuis le début. « Et ce serait bien qu’on puisse embaucher quelques jeunes à terme. »

Tout près de l’Elabo, où les deux hommes ont mûri leur projet, ils viennent de louer un local de 160 m². De quoi donner à cette folle idée un cadre adapté. « Pour financer nos investissements, nous allons lancer une campagne de crowdfunding le mois prochain, sur la plateforme KissKissBankBank, informe Jeff Lubrano. On pourra nous verser de l’argent ou acheter des pailles en prévente. »

« On sent un engouement, de l’enthousiasme autour de nous », se réjouit Mike Sallard. « On avance en marchant », philosophe Jeff Lubrano qui rêve même de semer du seigle à Paris.

Paris où un chef étoilé le sollicite déjà pour utiliser ses pailles. Mike Sallard, lui, pense à 2020 où il récoltera son seigle avec deux chevaux de trait percherons et une moissonneuse lieuse McCormick des années 1930 qu’il s’emploie à restaurer.

Pour en savoir plus : la page Facebook La Perche

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(Photo : La Perche)
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Jeff Lubrano, qui ne manque pas d’humour, affiche son message sur des tee-shirts et totebags vendus dans la boutique en ligne de Studio fertile. (Photo : La Perche)

Publié par Fabienne GÉRAULT le vendredi 8 février 2019 sur https://www.ouest-france.fr


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