Les couteaux de Nogent : quelle histoire ! Nogent-Langres : une histoire à couteaux tirés !

, par Philippe Savouret

Formidable histoire que celle de la coutellerie à Nogent, en Haute-Marne. Aujourd’hui, dans ce registre, le Bassin ne produit plus que des couteaux pour amateurs éclairés. Mais longtemps, les tables et les poches de France ne proposaient que du Nogent…


Singulière histoire que celle de la coutellerie en Haute-Marne ! Car comme le rappelle si bien Philippe Savouret, la coutellerie de Nogent est née à… Langres ! Les historiens situent symboliquement l’événement en 1347. Et donc, plusieurs siècles durant, les meilleurs couteaux et les meilleurs ciseaux du royaume de France étaient fabriqués entre les remparts. Le siècle des Lumières voit l’apogée de cette épopée lingonne. Le propre père d’un certain Denis Diderot, Langrois de son état, est alors coutelier.

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Un ancien atelier d’ouvrier coutelier exposé au Musée de la coutellerie. (photo : Dominique Piot)

Mais pour faire des couteaux il faut…

Le travail du métal, pour se développer, requiert alors beaucoup d’eau. Or la Marne est loin d’irriguer le centre-ville de Langres. La bourgeoisie, aussi, ne goûte guère le bruit de la forge, sans même parler de ces ouvriers qui vont finir par dévergonder leurs filles. Alors ils boutent les candidats couteliers hors des remparts, « à pas moins de quatre lieues » dit le texte.

A une bonne vingtaine de kilomètres, soit approximativement cinq lieues, avec une rivière (la Traire), ils trouvent… Nogent. Et puisque le métier ne suffit pas alors pour nourrir correctement son homme, qu’il faut élever des vaches et cultiver jardin, le Bassigny offre tout l’espace qu’il faut pour ses premiers ouvriers-paysans.

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Philippe Savouret rappelle l’importance de la cisellerie dans l’aventure industrielle du bassin. (photo : Dominique Piot)

Ce sera donc Nogent, ou plutôt le vaste Bassin de Nogent, qui va de Foulain, à l’Ouest, à Breuvannes, à l’Est, soit une bonne quarantaine de villages.

Ces couteliers se regroupent peu ou prou par spécialité : la coutellerie de table à Biesles, les sécateurs vers Vitry-lès-Nogent et Dampierre, la cisellerie vers Romain-sur-Meuse. L’Histoire nous apprend que les premiers couteliers sont arrivés à Nogent vers 1650. L’âge d’or commence au XVIIIe siècle. Il se prolonge au siècle suivant. A cette époque, 6 000 ouvriers travaillent dans la coutellerie à Nogent et autour.

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Philippe Savouret devant l’emblématique roue exposée au Musée de la coutellerie.

Philippe Savouret évoque les dimanches à Nogent : « le matin, les couteliers de la contrée apportaient le travail réalisé durant la semaine pour le livrer aux marchands installés dans la rue principale. Une fois leur labeur payé, ils achetaient des fournitures, du métal, des outils et finissaient au bistrot  ».

Les couteliers étaient très divers. Il y avait des artisans – tel Émile Drouhin – qui réalisaient leur bel ouvrage de A à Z et une pléiade d’ouvriers à domicile qui travaillaient à la tâche, pour plusieurs patrons.

Les premières “vraies” usines apparaissent vers 1850. Ceux qui y travaillent se spécialisent ; c’est le rendement qui est attendu. Mais nombre de ces ouvriers travaillent aussi chez eux ; ils étaient encore 150 à domicile, répertoriés dans les années cinquante.

La coutellerie de Nogent est sans doute passée “à côté de quelque chose”. Edgar Pisani, alors préfet de Haute-Marne, leur avait pourtant conseillé de défendre une marque unique. La transmission des savoir-faire a aussi pâti de l’arrêt des formations. Il n’y eut assurément pas assez de promotion, contrairement à Laguiole où toutes les forces locales s’unirent… et envoyèrent les jeunes se former à Nogent !

Aujourd’hui, des artisans exceptionnellement doués réalisent dans le Bassin de Nogent des couteaux de collectionneurs (Atelier Mongin/, Pascal Hemonnot, Didier Marivet, Adrien Vautrin, etc). Ils sont connus, mais sous leur nom, et que par des amateurs éclairés.

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Philippe Savouret et Frédéric Pruvost, le directeur du Musée de la coutellerie, à l’arrière, encore peu connu, du bâtiment.

Publié par Philippe Savouret dans le JHM (journal de la Haute-Marne) n°10533 du dimanche 09 juillet 2023 en page 7. https://www.jhm.fr/

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Publié par Philippe Savouret dans le JHM (journal de la Haute-Marne) n°10533 du dimanche 09 juillet 2023 en page 7. https://www.jhm.fr/
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Un riche patrimoine industriel et artisanal en Haute-Marne. (photo : Dominique Piot)

Pour en savoir plus :

 Le "made in" Drouhin en juillet 1985.
 Création du musée de la coutellerie de Nogent le le 22 mars 1991
 Champagne-Ardenne : Les couteliers de Haute-Marne affûtent leur image le 06 décembre 2001
 Inauguration de la Médiathèque Bernard Dimey à Nogent le 10 mai 2007
 De la tradition artisanale coutelière aux implants chirurgicaux et au Cluster Nogentech
 Hommage à Renée Landanger, femme visionnaire, décédée le 06 juillet 2017 à Chaumont
 « Haute-Marne : de la coutellerie à la MedTech »
 Monsieur Émile Drouhin, meilleur Ouvrier de France, est décédée le 24 mars 2019.
 Haute-Marne : la mode du “Made in France” peut-elle sauver les couteliers de Nogent ?
 Nogent Trois Étoiles, dernier coutelier industriel et fine lame du bassin nogentais
 Nogent Trois Etoiles perpétue l’industrie coutelière de Haute-Marne
 Le Haut-Marnais Fabrice Liiri, dernier ciselier d’art de France, veut transmettre un savoir faire unique le 18 décembre 2020
 La coutellerie de Nogent, en Haute-Marne, subsiste toujours avec quelques fines lames le 08 janvier 2021
 Jacques Mongin, coutelier d’exception, décédé le 23 avril 2021.
 Étude sur l’accessibilité des musées aux personnes déficientes visuelles le 06 septembre 2021
 Musée de la Coutellerie à Nogent : 31 ans déjà ! le 03 juin 2022
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