LE FIGARO. - Le président souhaite doubler le nombre d’étudiants en intelligence artificielle. Comment procéder ?
Frédérique VIDAL. - Notre objectif est de doubler le nombre d’étudiants à l’université du cycle licence au cycle doctorat. Cela participe de l’attractivité de la France. De nombreuses entreprises s’installent en France justement pour bénéficier de nos talents. La France est bien reconnue à l’international pour ses formations, notamment en science informatique, en mathématiques. Les formations en IA qu’il s’agit de développer prendront des formes différentes : années de spécialité, formations qui intègrent le machine learning dès la première année. Les entreprises doivent aussi jouer un rôle dans la formation. Et celles qui viennent s’installer en France, comme Facebook ou Samsung, se sont toutes engagées à financer des Cifre, un dispositif qui permet aux doctorants de travailler en thèse en entreprise.
Vous annoncez aussi le lancement d’un réseau d’instituts de recherche dans toute la France…
F. V. -Nous voulons installer un maillage de nos capacités de recherche, afin de porter à ces nœuds des projets de recherche. La question géographique est essentielle : il faut amener la recherche au plus près du terrain. Nous ne partons pas de rien, des concentrations de compétences existent déjà à Paris avec l’institut Prairie, annoncé hier, et Saclay, avec l’institut DataIA. Elles incarnent déjà de tels instituts. Les autres nœuds de ce réseau sont à Toulouse et aussi à Grenoble. L’autre dimension importante est celle de l’Europe. Ainsi notre réseau fonctionnera en parallèle et en interface avec un réseau similaire en Allemagne.
Le président n’a pas détaillé le budget pour la recherche et la formation en IA. À combien pourrait-il s’élever ?
F. V. -Rappelons que le président a annoncé un effort global de 1,5 milliard d’euros et précisé que 400 millions seront consacrés à des projets industriels et des défis technologiques et scientifiques et 100 millions à l’innovation de rupture. Au-delà, l’effort global de recherche et de formation sera très substantiel. Nous en préciserons les montants et la mise en œuvre dans les semaines à venir. Cela dépendra aussi des engagements des entreprises privées.
Ce plan IA est-il ambitieux par rapport aux autres pays ?
F. V. -C’est un plan très ambitieux et à hauteur de notre potentiel parce qu’il a été longuement pensé. L’IA se nourrit de deux matières premières : les données et les algorithmes. Prenez la Chine : du fait de sa population, elle peut accéder à un très grand nombre de données. Mais il faut ensuite les comprendre, les classer, les traiter. C’est le même sujet pour les grandes plateformes américaines. En Europe et en France, notre stratégie est de penser l’IA, en lui donnant du sens. Nous devons penser l’intelligence artificielle pour la placer au bénéfice de l’humanité, en s’appuyant aussi sur les chercheurs en sciences sociales et humaines.
Cédric Villani recommandait de doubler le salaire des chercheurs. Avez-vous les moyens ?
F. V. -Il y a effectivement une valorisation attractive à trouver en entrée de carrière, que je prends très au sérieux. Mais cela ne nous empêche pas d’avoir des Médailles Fields ou des Prix Nobel. La qualité de l’environnement de travail compte aussi. Ainsi, 30 % des chercheurs dans les instituts publics sont étrangers. Si des jeunes chercheurs partent, d’autres arrivent. Au final, la balance est équilibrée.
Comment faciliter le passage des chercheurs du public au privé ?
F. V. -La première étape a été la loi Allègre, en 1999, qui a facilité la création d’entreprise par les chercheurs. Nous préparons, avec Bruno Le Maire, de nouvelles dispositions qui seront insérées dans la loi plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises, la loi Pacte, afin d’introduire plus de fluidité. Les chercheurs du public pourront plus facilement travailler dans des entreprises et des chercheurs d’entreprise pourront se replonger dans les laboratoires afin de mettre à jour leurs connaissances. Le but est de faciliter l’innovation qui, en général, se produit à la frontière de deux mondes. Pour innover, les chercheurs doivent pouvoir sortir des labos pour apporter des preuves de concept, puis diffuser leurs découvertes dans le marché. Aujourd’hui, il y a une insuffisance de fluidité auquel nous voulons remédier. L’innovation surgit quand les gens se trouvent physiquement au même endroit.
Annoncer une politique des données au moment du scandale Cambridge Analytica, n’est-ce pas délicat ?
Mounir MAHJOUBI.-Au contraire, ce sujet est crucial. C’est le moment de montrer que les données sont importantes et que leur usage doit être encadré par la légitimité démocratique des gouvernements et pas par l’opacité des relations commerciales. Nous ne pouvons tolérer aujourd’hui que nos données puissent être, comme dans le cadre de l’affaire Cambridge Analytica, transmises à des tiers sans notre consentement. C’est ici qu’intervient le règlement général sur la protection des données personnelles (RGPD), qui entrera en vigueur en mai 2018 et imposera des amendes massives en cas de pratiques de ce type. L’affaire Cambridge Analytica pose la question plus large de la régulation du partage des données, personnelles et non personnelles : acceptons-nous d’abandonner la politique publique de la donnée alors que son importance n’a jamais été aussi grande pour l’avenir et les valeurs de l’Europe ? Il ne s’agit pas de défiance ou de confiance, il s’agit de reprendre légitimement le contrôle de sujets qui touchent aux fondements mêmes de nos démocraties.
Peut-on faire confiance aux Gafa sur la gestion de nos données dans leurs recherches en IA ?
M. M. -Cette question est celle de la transparence de l’utilisation de nos données. Nous avons le règlement général sur la protection des données (RGPD) et la loi de 1978 qui précisent bien que l’utilisation doit se faire avec un consentement éclairé de l’utilisateur. Nous appelons à rendre le consentement réellement éclairé et compréhensible par l’utilisateur. Est-ce que les utilisateurs avaient conscience de Cambridge Analytica ? Si c’était le cas, nous n’aurions pas le scandale actuel. C’est pour cela que nous répétons sans cesse qu’il faut former les citoyens, les sensibiliser à ces sujets. Aujourd’hui, beaucoup ne savent même pas ce qu’est une donnée, comment elle est collectée, comment elle est utilisée. Il faut donc remettre ces questions dans le débat et permettre à chacun de maîtriser ses données.
Publié par Lucie Ronfaut et Enguérand Renault le 30 mars 2018 dans lefigaro.fr
Pour en savoir plus :
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– Cinétech n°32 : « l’intelligence artificielle appliquée aux véhicules autonomes » le 11 avril 2018 Nogent (52)
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– 30 mars 2018, Intelligence artificielle : « Nous créons plus de fluidité entre la recherche publique et les entreprises »
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