Covid-19 : Les usines de masques auboises déjà en panne de commandes La France produit 20 millions de masques par semaine le 25 mai 2020

, par Bruno Dumortier

La secrétaire d’État est venue à Troyes le lundi 25 mai 2020 pour féliciter les entreprises qui se sont engagées dans la production de masques. Une production dont l’avenir, déjà, s’assombrit


« En France, on peut être fier de nos industries !  », se réjouit Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État auprès de Bruno Le Maire, ministre de l’Économie.

Le pays produisait 3,5 millions de masques par semaine avant la crise. Il en produisait 10 millions à la fin avril et même, désormais, 20 millions par semaine. Un tour de force dans lequel l’Aube a pleinement pris sa part.

Tout d’abord avec son industrie textile et, plus récemment, avec la start-up BioSerenity qui a monté de toutes pièces une usine de campagne à Rosières-près-Troyes capable de fabriquer jusqu’à 500 000 masques par jour. Des masques exclusivement destinés aux hôpitaux et, pour cause, tout le projet a été rendu possible par une commande de l’État à un prix, 47 centimes d’euros, qui permet d’amortir l’investissement.

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Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État auprès de Bruno Le Maire, ministre de l’Économie., ministre de l’économie, le lundi 25 mai 2020 après-midi dans l’usine de campagne de BioSerenity qui produit des masques chirurgicaux et FFP2 jetables. (Photos Jérôme BRULEY)

Les belles coopérations public-privé

Une belle histoire de coopération public-privé – « nous n’avons subventionné personne », souligne la secrétaire d’État, soucieuse à chaque instant de respecter le marché et les entreprises – qui se retrouve dans l’aventure du masque textile. « Seuls deux pays en Europe disposent de normes qui garantissent la filtration pour les masques textiles : la France et le Portugal  », rappelle Agnès Pannier-Runacher. Des normes établies dans l’urgence, mises très vite à disposition des industriels et dont les produits ont aussi vite que possible été testés par la Direction générale de l’armement. « C’est le seul laboratoire capable de le faire », s’excuse la ministre devant les professionnels qui, aujourd’hui, constatent un petit engorgement pour obtenir leurs certifications.

Tout a très bien fonctionné. Dix entreprises auboises aujourd’hui sont certifiées. Autour de la table, à la préfecture, la ministre veut savoir comment elles envisagent l’avenir. Les plus grands, comme Petit Bateau, Le Coq sportif ou Lacoste, vont arrêter tout doucement. Pour eux, ça a été une belle aventure, surtout humaine.

En revanche, pour celles qui se sont engagées de toute leur force dans la bataille, le retournement de la demande fait peur. « Les gros volumes ne sont plus là », s’inquiète Véronique Granata, de L’Atelier d’Ariane. L’entreprise de Lavau a investi et a même embauché vingt personnes pour produire jusqu’à un million de masques par semaine, notamment en intissé. L’arrivée des masques chinois plus compétitifs l’inquiète sur la pérennité de cette production.

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Pierre-Yves Frouin, Le fondateur et Président du conseil d’administration de BioSerenity

« Le consommateur final sera-t-il un consommateur éthique ? »

Chez Chanteclair, l’atelier de Saint-Pouange, qui a eu l’honneur d’équiper le président de la République, même inquiétude : « Le marché s’est complètement effondré  », observe Thomas Delise, son président. Avec le déconfinement, le flux de commandes s’est arrêté. Or, avec ses partenaires, il est en mesure de fabriquer 450 000 masques par semaine.

Et tous d’espérer une solution que l’État pourrait mettre en place. La ministre n’en offrira pas vraiment.

Bref, un retour au monde d’avant que le textile ne connaît que trop bien. Chez Chanteclair, on y est prêt : « On va ouvrir les ventes aux particuliers ». Et, finalement, le ruban bleu-blanc-rouge présidentiel, sera bien sur tous les masques !

Quand l’État imposait le made in Vietnam

La Poste, avec sa plate-forme de distribution de masques pour les professionnels, propose des maques textiles fabriqués... au Vietnam. Ce qui fait bondir Denis Arnoult, le président des industries textile de Champagne-Ardenne. Ce qu’il ignorait, c’est que la ministre était à l’origine de ce choix « pour ne pas surcharger » l’appareil productif français qui était, au moment de la décision, totalement débordé par la demande.

Les deux pistes de la ministre

Aux demandes de soutien, la ministre a préféré évoquer deux pistes de rebond. La première, c’est la mise en place d’une norme européenne. Les Allemands et les Autrichiens en veulent une : la secrétaire d’État espère imposer celle, déjà prête, de la France et du Portugal. Ce qui pourrait ouvrir de nouveaux marchés aux industriels français. L’autre, c’est une évolution des usages des Français.

«  On peut espérer qu’ils vont s’approprier le masque et que, l’hiver prochain, pour protéger leurs proches, ils porteront plus facilement un masque ». Certes, mais un masque lavable à 5 € ou un jetable à quelques centimes venus de Chine ? « Le consommateur a une responsabilité. Un masque lavable 50 fois est au même prix. Ce sera plus une question d’usage que de prix  ». Et d’interroger les industriels : « Mettez-vous en avant que c’est fabriqué en France ? »

« Oui, mais il y a une différence entre prendre des commandes qui affluent toutes seules et monter un service commercial pour aller chercher les clients », observent les professionnels qui espéraient plutôt des quotas de masques français dans les commandes publiques futures. « C’est impossible  », répond la ministre. Elle invite néanmoins les industriels à se saisir des clauses sociales et environnementales des appels d’offres. « Ne serait-ce que sur le prix du carbone, ils peuvent vous permettre d’être compétitif en prix ». Un conseil qui vaut pour les masques comme pour toutes les autres productions.

Publié par Bruno DUMORTIER le mardi 26 mai 2020 dans L’Est Eclair : https://abonne.lest-eclair.fr


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