Les difficultés des constructeurs se répercutent mécaniquement sur leurs fournisseurs locaux qui font le dos rond ou commencent à licencier.
Le gros trou d’air de l’industrie aéronautique, Marcel Ferreira sait bien ce que c’est, puisque son groupe AGS, dont l’entreprise principale ATS, à Sézanne, le subit.
« L’aéronautique représente 50 % de notre activité, il nous en reste 10 %, tout n’est donc pas annulé mais il ne reste que des miettes ». Le spécialiste de la découpe laser ou jet d’eau, de la soudure laser, de l’usinage et de la tôlerie, se voit touché directement par la chute de l’activité de ses grands clients, comme par exemple, le motoriste Safran.
« C’est compliqué, on essaie de se battre », confie Marcel Ferreira, dont les ennuis avaient commencé dès la fin 2019. Les problèmes du 737 Max de Boeing, cloué au sol pour des raisons de sécurité après deux crashs, avaient déjà pénalisé son activité.
Six licenciements dans le groupe AGS
Pour faire face, ATS a arbitré sur ses CDD et ses intérimaires, et a eu recours au chômage partiel en fonction de l’évolution de son carnet de commandes. Actuellement, entre 70 et 75 personnes embauchent chaque matin à Sézanne, quand elles étaient une centaine il y a un an. ATS a dû même se résigner à licencier six personnes dans sa filiale d’Argenteuil, dédiée à 99 % au marché aéronautique.
ATS a contracté un prêt garanti par l’État (PGE). Mais l’entreprise à capitaux familiaux née en 1971 n’y a pas encore touché. Comme beaucoup de patrons, Marcel Ferreira a bien compris le côté piégeux du plan de sauvetage des entreprises. « Le décalage des leasings et de certaines charges, c’est bien mais on va les retrouver dans quelques mois. Si on ne dégage rien, qu’on ne retrouve pas de boulot, cela posera un problème », prédit-il.
ATS essaie d’aborder de nouveaux marchés.
« On était déjà un peu diversifiés, mais ce n’est pas suffisant, on ne peut pas rattraper tout d’un seul coup », sait le dirigeant. L’entreprise se développe dans le ferroviaire et les machines spéciales, mais paradoxe, elle n’arrive pas à suivre sur certains types de pièces, le savoir-faire de son personnel n’étant pas forcément adapté aux besoins. « Il nous manque des soudeurs et des chaudronniers, on va reformer mais pour combien de temps ? » Pas forcément bien vue par des acteurs du secteur avant la crise, la diversification aide donc le groupe sud marnais à résister. « Ceux qui sont mono-marché sont plus mal que nous », tente de se consoler Marcel Ferreira.
Mécanyvois, à Carignan, dans les Ardennes, une entreprise est tournée vers l’aéronautique
Marc Bielous, patron de Mécanyvois, à Carignan, dans les Ardennes, tient le choc. « Les marchés sont plus difficiles, il y a plus de monde dessus, mais on tire notre épingle du jeu pour le moment », explique l’industriel. Spécialiste des structures métalliques qui maintiennent les pièces d’avions pendant leur montage, Mécanyvois a fait un effort sur ses prix et sacrifié ses marges afin de sauver son effectif. « Ce sera une année blanche, l’objectif est de garder nos emplois et nos compétences pour le moment où ça redémarrera. Il faut laisser passer l’orage, mais il ne faudrait pas que cela dure trop longtemps quand même. »
“Tout est gelé en ce moment”
Pour l’heure pas de licenciement ni de chômage partiel pour les 35 salariés de Carignan. « On arrive à avoir de la charge pour occuper tout le monde mais la rentabilité n’est pas là », confie le patron. Mécanyvois bénéficie notamment de son statut de « fournisseur stratégique » d’Airbus. « Ils jouent le jeu et maintiennent nos commandes ». Mécanyvois est dans le sillon des usines Bombardier du Canada rachetées par l’avionneur européen.
La préparation d’un nouveau modèle d’avion d’affaires de Dassault est pourvoyeuse d’activité également. Si les filiales de Tunisie et du Canada ont du travail, le projet d’usine au Portugal, porté par Mécanyvois pour accompagner son grand client européen, est en stand-by. « Tout est gelé en ce moment. Tant qu’Airbus ne dit pas “on y va”, je ne bouge pas. » La prudence est de mise chez les sous-traitants dans l’attente d’un décollage dont le top départ n’a pas encore été donné.
Joseph Puzo (Axon’Cable) : « Les fabricants ont beaucoup de projets »
En tant que fournisseur de câbles et de connecteurs pour l’aéronautique, comment voyez-vous la situation de ce secteur ?
Le nombre de vols a été divisé par deux et par conséquent la fréquentation des avions. Par contre, tous les fabricants d’avions ont beaucoup de projets d’études. Nos bureaux d’études Axon sont chargés, même si les commandes en production ont baissé. Quand on est en crise, tout le monde essaie d’innover et de s’en sortir par de l’innovation. Les fabricants ont réduit les cadences mais ne les ont pas supprimées, sinon ils perdent le savoir-faire des salariés de production. Il y a peu de télétravail chez Airbus, dans les bureaux d’études. En télétravail, la créativité est moins bonne qu’en face-à-face. Quand vous croisez votre collègue dans le couloir, vous pouvez échanger sur un petit sujet. S’il faut un rendez-vous téléphonique pour discuter, tout ce qui est spontané disparaît.
Pensez-vous que c’est une crise conjoncturelle ou structurelle ?
Il y a une tendance dans le grand public à essayer d’éviter l’avion. Mais dans les affaires, au niveau international, on a besoin du face-à-face. On ne peut pas tout faire en visioconférence. Au niveau professionnel, je pense donc que les choses retourneront comme avant. Il y aura peut-être des avions qui consommeront moins de kérosène mais on aura besoin de voyager. Je ne vois pas l’aéronautique ralentir. Quand le Covid sera arrêté, je pense que l’on reviendra au même niveau qu’avant. On va peut-être supprimer quelques vols petite distance si la SNCF augmente son nombre de TGV.
La relocalisation de certaines industries ne peut-elle pas réduire aussi l’usage de l’avion pour les affaires ?
Il y a une petite tendance à la relocalisation, qui veut dire plutôt choisir des fournisseurs de proximité que des fournisseurs à l’autre bout du monde. Les salaires chinois augmentent de 10 % l’an, les salaires français de 2 ou 3 %, donc progressivement l’écart de salaire diminue. Si on automatise suffisamment la main-d’œuvre de production pour qu’elle représente moins de 15 % du coût final, cela veut dire que l’on peut produire n’importe où, y compris en France.
Publié par Julien Bouillé le 23 novembre 2020 dans le journal l’Union Economie en page II-III
Pour en savoir plus :
– Haute-Marne, Silicon Valley, Haute-Garonne... qui fait quoi et où chez Airbus ? le 17 juin 2019 dans LeParisien.
– Les Forges de Bologne (Groupe LISI) peaufinent leur déménagement sur Chaumont
– Journee Technologique n°22 : « Les Innovations dans le secteur AERONAUTIQUE » le jeudi 03 octobre 2019 à Nogent
– Covid-19 : Joseph Puzo « L’important, c’était de ne pas s’arrêter » le 11 juin 2020
– Covid-19 : Les sous-traitants subissent la crise de l’industrie aéronautique le 23 novembre 2020