Le 1er novembre 1755, un tremblement de terre de forte magnitude, suivi d’un tsunami et d’un incendie, ravageait la ville de Lisbonne, provoquant la mort de quelque 60 000 personnes. Cet événement a été à l’origine d’une dispute philosophique passionnante opposant François-Marie Arouet, dit Voltaire, et Jean-Jacques Rousseau. Pour le premier, cette catastrophe illustrait le caractère ô combien misérable de la condition humaine, exposée aux coups du sort et aux décrets insondables de la Providence. Le second imputait l’étendue du désastre à l’expansion des villes, à la concentration des populations, bref aux excès de la civilisation, désormais trop éloignée de l’état de nature.
Si nos contemporains sont prêts à contester l’analyse de l’auteur de Zadig, ils sont loin de partager la radicalité de la critique du Promeneur solitaire. Tout au plus, font-ils le constat que la fréquence des catastrophes naturelles augmente, que leurs coûts explosent (306 milliards de dollars en 2017, année record) et qu’elles font bien plus de victimes qu’il ne fallut en déplorer à Lisbonne. Ils se satisfont d’une explication univoque : l’activité humaine génère des gaz à effet de serre, lesquels entraînent un réchauffement de l’atmosphère à l’origine des dérèglements climatiques. Il suffirait de modifier nos comportements, de privilégier un nouveau mix énergétique pour que tout s’arrange.
Cette chaîne causale est contestable à plus d’un titre.
• Toutes les catastrophes naturelles ne sont pas imputables au climat. Songeons au tsunami asiatique de 2004 qui fit 250 000 morts, ou au tremblement de terre de 2010 en Haïti, aussi dévastateur.
• Si les cataclysmes provoquent plus de dégâts, c’est aussi parce qu’ils touchent des centres de population plus denses qu’autrefois et qu’ils détruisent des infrastructures et des équipements plus onéreux.
• La pression exercée par l’homme sur son environnement est le produit de deux termes : le nombre des individus concernés et l’action destructrice/prédatrice de chacun d’eux. Si le second terme est corrélé aux nuisances de l’appareil industriel, le premier est traité comme exogène, hors de contrôle. En outre, cette pression "anthropique" occasionne d’autant plus de dommages qu’elle s’exerce sur des zones fragiles : le littoral, les forêts, les zones sismiques, etc. La localisation des populations n’est pas non plus maîtrisée. En quelque sorte, les catastrophes naturelles ne vont pas à l’homme, c’est lui qui, en rangs serrés, se porte à leur rencontre.
- Comment réduire nos émissions de CO2 ?
• L’extinction de nombreuses espèces animales est bien moins liée au réchauffement climatique qu’à l’action de l’homme sur les écosystèmes (l’urbanisation, la surpêche, la chasse, la pollution chimique, etc.). L’espèce humaine, en proliférant, a pris le dessus sur tout le règne animal.
La question démographique est le "point aveugle" de l’écologie politique
(note : Sur l’ensemble de ces questions, on lira avec profit le livre de Jean-Loup Bertaux, "Démographie, climat, migrations, l’état d’urgence", 2107, Fauves Éditions). Pendant que le cerveau droit de la communauté internationale débat d’un seuil de température à ne pas dépasser, son cerveau gauche contemple impassible des projections de population qui s’inscrivent dans la partie haute de la fourchette. La COP21, dont nos gouvernements ont tiré gloire, a complètement ignoré cette problématique. Entre 1990 et 2014, les émissions de CO2 dans le monde ont crû de 58 %, mais seulement de 15 % par tête d’habitant. L’augmentation de la population y a donc contribué environ pour les trois-quarts. La schizophrénie est à son comble.
Les raisons de cette attitude sont multiples, profondément enracinées dans notre inconscient collectif.
• L’injonction biblique du "croissez, et multipliez, et remplissez la terre", valable à l’Âge du Fer, quand la planète était à conquérir et que les régimes de retraite restaient à inventer, reste prégnante.
• Une population nombreuse a toujours été synonyme de puissance pour les monarques de l’Ancien monde, une force de travail pour l’agriculture, un réservoir de main-d’œuvre pour l’industrie et le moyen d’étoffer les rangs de l’armée.
• La guerre des utérus fait encore rage : pourquoi un pays adopterait-il une politique antinataliste, si ses voisins, pas toujours bienveillants, ont une pratique inverse ? Il est de bon ton de s’enorgueillir de la bonne performance de la France, tout en s’apitoyant sur le sort de l’Italie et de l’Allemagne, menacées de déclin ; sans voir que, collectivement, les peuples européens ont déjà perdu la partie.
La démographie est, par excellence, le domaine des externalités. Longtemps elles ont été positives, du fait que la coopération d’un plus grand nombre d’hommes, rassemblés dans les villes et les usines, décuplait les forces productives. Mais il en est de négatives : la venue au monde d’un enfant affecte l’existence future d’autres individus. Dans notre État social, ses concitoyens se voient assigner, quoiqu’il advienne, un devoir de solidarité à son égard. Devenu adulte, il contribuera à l’augmentation de la pression anthropique, pas seulement dans son voisinage, mais partout sur la planète. Aujourd’hui, on a sans doute atteint le point d’inflexion à partir duquel les externalités négatives l’emportent.
Pour lutter contre elles, deux issues sont possibles : l’interdiction assortie de pénalités ou l’incitation.
La Chine n’a pas hésité à emprunter la première voie. La politique de l’enfant unique n’est pas étrangère à son essor économique. L’Inde s’y est aussi essayée dans les années 70, mais avec un succès moindre : 1,350 milliard d’habitants aujourd’hui, soit un triplement en 50 ans ! Ailleurs dans le monde, on se contente d’attendre que l’élévation du niveau de vie dissuade les couples de multiplier les naissances. Ce mécanisme est effectivement à l’œuvre, puisque les taux de fécondité ont diminué de façon spectaculaire, en Occident depuis des décennies et, depuis peu, en Asie et au Moyen-Orient. Mais grande est l’inertie des phénomènes démographiques. L’Afrique reste à la traîne, et elle contribuera à près de 60 % de l’augmentation attendue de la population mondiale à l’horizon 2050 (+1,3 milliard). Les politiques de planning familial y restent notoirement insuffisantes.
Le droit à la procréation est-il un droit de l’homme imprescriptible ? La Déclaration Universelle éponyme n’en dit mot, se limitant à l’énoncé vague d’un droit au mariage et à la fondation d’une famille (Art. 16). Faut-il laisser les États décider souverainement de leur politique familiale ? Aujourd’hui, ces deux questions politiquement incorrectes méritent d’être posées.
Dans la vaste négociation qui se noue autour du climat, un plus juste partage du fardeau serait souhaitable. Les pays développés, qui ont trop pollué la planète dans le passé, sont prêts à réduire drastiquement leurs émissions de gaz à effet de serre. En contrepartie, les pays en développement, dans leur intérêt bien compris, devraient contenir avec la plus grande énergie la progression de leur population. Un calcul de coin de table montre que si chaque pays parvenait dès aujourd’hui à stabiliser ses émissions de CO2 par tête d’habitant, leur volume global progresserait encore de 16 % d’ici 2050, sous l’effet du croît de la population mondiale. Inversement, pour maintenir ce volume à son niveau actuel, il faudrait que les pays en développement maintiennent inchangées leurs émissions par tête, tandis que les pays développés consentiraient à une baisse de 40 % des leurs. C’est dire que la gageure est de taille, et qu’une meilleure maîtrise des variables démographiques serait la bienvenue !
Cette politique du donnant-donnant n’a même pas été esquissée. Il eût fallu conditionner les facilités accordées aux pays en développement, notamment africains, (Art. 7 de l’Accord de Paris), à l’adoption de politiques familiales rigoureuses, peu coûteuses au demeurant au regard des 100 milliards de dollars mis sur la table. Un tel système d’incitation suffira-t-il ? Des mesures plus coercitives seront-elles nécessaires pour éviter l’explosion de la "bombe démographique" et ses retombées en termes de guerres et de mouvements migratoires incontrôlables ?
À défaut de relever ce défi, les générations futures ne pourront que constater amèrement que la surpopulation aura été "la mère de toutes les catastrophes".
Publié par Gérard Maarek le 9 avril 2018 dans https://www.lesechos.fr
- Aymeric Pontier @aympontier · 23 oct. 2022
L’Inde et le Bangladesh vont probablement passer sous les 2 enfants par femme, dès cette année. La moyenne mondiale bientôt aussi, vers 2023/2024.
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Hannah Ritchie
@_HannahRitchie
The average number of children per woman has fallen rapidly across many countries.
1950 → 2021
🇰🇷 S Korea : 6 → 0.9
🇧🇩 Bangladesh : 6.3 → 2
🇮🇳 India : 5.7 → 2
🇮🇩 Indonesia : 5.2 → 2.2
🌍 Global : 4.9→ 2.3
🇿🇦 S Africa : 6.1 → 2.4
🇱🇾 Libya : 7 → 2.5
🇿🇼 Zimbabwe : 7.1 → 3.5
- France Culture @franceculture · 20 dec 2022
Pour ne pas surpeupler la planète et épuiser les ressources naturelles, certains font le choix de ne plus avoir d’enfants. Ce sont les ginks.
➡️ https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/lsd-la-serie-documentaire/d-une-apocalypse-a-l-autre-pas-de-futur-pas-d-enfant-9622275
GINK est l’acronyme de Green Inclination No Kid, terme anglais pour désigner les personnes qui font le choix, pour des raisons écologiques, de ne pas avoir d’enfant.
- UNESCO Abidjan @UnescoAbidjan · 20 janvier 2023
« Agir pour le droit universel à l’éducation des filles et des femmes, c’est agir pour la dignité de toutes sur tous les continents. C’est permettre à chacune de choisir son destin. » - @AAzoulay , DG de @UNESCO_fr Le 24 janvier c’est la JournéeDeLEducation ! #LeadingSDG4
Pour en savoir plus :
– Surpopulation et environnement, le débat interdit le 9 avril 2018
– « On n’a pas trouvé mieux que le nucléaire pour produire de l’électricité sans trop polluer »
– Il faut Maîtriser la démographie pour maîtriser le réchaufement climatique, pour Jean-Marc Jancovici le 10 mai 2019
– Vive la décroissance… démographique !
– Climat, nucléaire, homéopathie… Pourquoi nous maltraitons la science
– La révolution énergétique allemande dans l’impasse en décembre 2019
– Jean-Marc Jancovici : « L’Allemagne est le contre-exemple absolu en matière de transition énergétique »
– Jean-Marc Jancovici : "Fermer une centrale nucléaire au nom du climat : l’imposture du gouvernement le 22 février 2020."
– Jean-Marc Jancovici : « Le temps du monde fini commence » le 24 février 2020.