Tante Guite, Sœur Elisabeth

, par Claude JUPPIN épouse VIARD

Visite à tante « Guite » dans son monastère en Belgique, par une douce après-midi d’avril ou de mai 1950.

Il faisait déjà bon, les primevères apportaient une touche de tons pastels parmi les massifs fraîchement nettoyés. Serrant la main de mon père, ma sœur lui tenant l’autre main, j’avançais sur les gravillons de l’allée qui menait au corps de bâtiment central.

Nous allions voir tante « Guite  » dans son monastère, une grande bâtisse en brique qui se déployait autour d’un jardin très entretenu. Ma mère nous suivait, portant dans ses bras, mon petit frère endormi dans un nid d’ange. Il était encore tout petit, c’était une de ses premières grandes sorties, par une douce après-midi d’avril ou de mai 1950.

« Tante Guite  », «  monastère », ces mots, tout en m’étant familiers, m’intriguaient.

- « Guite » , dit mon père, c’est le diminutif de Marguerite, mais elle porte maintenant le nom de sœur Marie Elisabeth. Elle est ma tante, votre « grande tante », la sœur aînée de ma maman. Elle a consacré sa vie à Dieu et vit dans ce monastère avec d’autres religieuses trappistines.

Papa nous avait dit le matin même que nous irions à Chimay en Belgique rendre visite à tante Guite à la Trappe pour lui présenter notre petit frère.

Je n’avais pas osé demander ce qu’était « La Trappe », ce mot me faisait un peu peur mais il semblait naturel à mon père, sans doute l’avais-je déjà entendu.
Mon père semblait heureux et ma mère souriait, fière de porter dans ses bras un trésor, le petit garçon tant attendu.

La porte d’entrée franchie, une grande salle s’ouvrait devant nous. Des banquettes en bois accueillaient les visiteurs le long des murs.

Un grand crucifix nous faisait face. Il ne m’étonnait que par sa taille, il ressemblait en plus grand à celui, en ivoire, qui était accroché au-dessus du lit de mes parents, ou à celui, en cuivre, qui était posé sur le bureau de mon père.

J’étais très émue par le silence du lieu. J’avais un peu froid avec ma petite robe à smockes, malgré mon gilet.

Des bruits de pas rompirent le silence. Une religieuse en longue robe blanche et chasuble noire s’avança. Mon père se leva et la salua à voix basse, puis elle vint vers nous, émerveillée par la vue de jeunes enfants. J’avais un peu plus de quatre ans et ma sœur à peine trois. Maman lui présenta mon petit frère en entr’ouvrant le nid d’ange. La religieuse posa sa main sur son front, heureuse.

- Venez, dit-elle, sœur Elisabeth vous attend.

C’est très impressionnée que je parcourus un long couloir et franchit le seuil d’une salle séparée en deux par un mur. Au-dessus de ce muret, s’élevaient des grilles en fer forgé encadrées par trois arcs. Sous les grilles, une longue tablette permettait de s’accouder ou de poser quelque chose, comme à la poste.

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Elle apparut, une femme habillée de blanc, souriante, son doux visage entouré de blanc, elle portait un voile noir rejeté en arrière.

C’est derrière la grille centrale que nous aperçûmes une femme habillée de blanc. Elle apparut, souriante, son doux visage entouré de blanc, elle portait un voile noir rejeté en arrière.

Il y eut des mots affectueux échangés entre elle et mes parents. A tour de rôle, ma sœur et moi, nous lui fûmes présentée, portées par mon père face à la clôture.

- Qu’elles ont changé en si peu de temps !

Soudain, ahurie, je vis mon père saisir mon petit frère et l’installer dans un tourniquet qu’il fit tourner vers la clôture. Derrière les grilles, la dame en blanc, d’un geste brusque, releva ses longues et larges manches blanches pour prendre à son tour l’enfant dans ses bras. Elle le serra contre elle, le bénit sur le front et l’embrassa.

  Il a été baptisé il y a huit jours dans la Basilique de Mézières, dit mon père.
  Oui j’étais en communion avec vous.

Je ne fis pas attention à la suite de la conversation, bouleversée par la scène. Il était passé de l’autre côté de la pièce par ce tourniquet, mais allait-il revenir ?

Trop de mots inconnus étaient prononcés par les grandes personnes. Mais au mot « Baptême », je revis quelques images de la cérémonie. La longue robe que portait mon frère ce jour-là avait été lavée, elle était encore pendue, chiffonnée, dans notre chambre le long de l’armoire, une longue robe blanche brodée. Je me souvins de ma tante Monique, la demi-sœur de papa, sa marraine, coiffée d’un petit chapeau bleu marine, mais surtout de son parrain, officier, en grand uniforme. Ma tante, la sœur de maman m’avait portée pour que je puisse voir le prêtre faire couler de l’eau sur le front du bébé. Puis, j’avais eu le droit de porter un cierge allumé.

Dans cette salle, point de bougie, point de musique ni de lumière mais une grande austérité, un silence paisible et beaucoup de douceur sur le visage de cette religieuse.

Le petit frère refit un autre trajet dans le tourniquet, réservé habituellement aux paquets, puis revint dans les bras de maman.

- Que Dieu vous bénisse, dit la religieuse.

Mon père se signa puis il prit ma main pour faire le signe de croix avec moi, sur mon front, mon ventre et mes épaules : «  Au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit ».
  Soyez fidèles à la prière !

Longtemps, enfant, je songeais à cette rencontre. Elle ne devait pas être la première et ne fut sans doute pas la dernière, mais elle fut celle dont je garde un souvenir très vif et aujourd’hui, soixante-six ans plus tard, retrouvant la force de la prière et la joie de l’étude de la Parole, elle trouve tout son sens.

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Mére Marie Elizabeth, Religieuse soeur choriste au monastère de l’ordre Cistercien de la Stricte Observance. (Margueritte, Marie, Clémentine Hanotel) est décédé le 14 janvier 1952 à Chimay et enterré à l’Abbaye Notre-Dame de Scourmont.

Mére Marie Elizabeth, soeur choriste, est décédé le 14 janvier 1952 à Chimay et enterré à Scourmont.

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Le Pensionnat des Religieuses Sainte-Chrétienne de Chimay.
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Abbaye de Chimay (Trappistines de Chimay).
Abbaye Notre Dame de la Paix
Trappistines de Chimay
1, Chaussée de Trélon
6460 Chimay (Belgique)
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Abbaye Notre-Dame de Scourmont. L’abbaye Notre-Dame de Scourmont, sur le territoire de Forges, à sept kilomètres au sud de la ville de Chimay, appartient à l’ordre cistercien de la stricte observance et s’inspire des règles de vie trappistes définies au 17e siècle par l’Abbé de Rancé en son abbaye de « La Grande Trappe », en Normandie.

Publié par Claude Juppin épouse Viard ( petite fille de Marie Léontine Charlotte HANOTEL ) le lundi 12 novembre 2018 sur https://innovationaustrasie.com/ecrire/


Pour en savoir plus :

 La famille Hanotel 1719-1952 sur sept générations le 14 janvier 1952.
 Tante Guite, Sœur Elisabethle le ‎12 ‎novembre ‎2018.
 Parrainé par le Champagne le 04 novembre 2019