Emmanuel Viellard Directeur général de Lisi en mai 2017 : « Il n’y a pas de fatalité : on peut être compétitif en France » Dans notre programme Forges 2020, nous aurons une forge en titane compétitive

, par Christophe Juppin

Le patron du spécialiste des fixations et des systèmes d’assemblage explicite la stratégie qui lui permet d’afficher croissance et rentabilité.

Votre croissance a accéléré au premier trimestre mais vous restez prudent pour le reste de l’année, pourquoi ?

Notre performance du premier trimestre est soutenue, avec une hausse des facturations de 14,5 %, en données publiées, et de 9,9 %, en organique. Elle provient de toutes nos divisions. Mais il ne faut pas tirer des droites pour prévoir notre chiffre d’affaires sur l’ensemble de l’année : nous ne réaliserons pas une croissance de 15 % sur l’exercice ! Et je préfère que l’on s’inscrive sur un rythme de progression moins élevé mais régulier, plutôt que par à-coups. C’est mieux aussi pour les actionnaires, des résultats réguliers sont une assurance de gagner dans la durée.

Quels sont vos objectifs de long terme ?

Notre croissance interne a atteint 4,6 % l’an dernier, ce qui correspond au rythme organique que nous générons sur une période de long terme, retraitée des cycles aéronautiques. Notre feuille de route doit aussi respecter un free cash-flow positif et une marge courante opérationnelle supérieure à 10 %, niveau où nous étions l’an dernier. Les performances de 2016 se sont donc parfaitement inscrites dans la tendance de long terme. Il faut, en outre, considérer le fait que nous enregistrons en compte de résultat tous les coûts de développement et les surcoûts liés à la montée en cadence des nouveaux programmes (stocks supplémentaires et autres). Nous n’activons pas de charges de R & D à notre bilan, contrairement à certains concurrents, ce qui leur permet, conformément aux règles IFRS, de les amortir sur plusieurs années. Nous appliquons les méthodes comptables les plus prudentes possibles qui suivent le cycle des produits avec une rentabilité progressive

Dans l’aéronautique, qui représente les deux tiers de vos activités, ne subissez-vous pas les effets des baisses de cadences de certains programmes d’Airbus ou de Boeing ?

Nos activités sont diversifiées, réparties entre plusieurs marchés et sans dépendance à un programme particulier, même si, évidemment, l’A350 et le moteur Leap sont importants pour nous. Mais notre croissance traduit bien le fait que même si les cadences de certains programmes commerciaux baissent, la montée d’autres compense. Le vrai sujet pour nous est la baisse prévue l’an prochain de la production du moteur CFM56 de Safran et GE. Mais nous sommes confiants car elle devrait être compensée par l’accélération de la production du successeur, le Leap. En outre, notre contenu en valeur sur ce dernier est nettement supérieur à ce qu’il est sur le CFM56.

Dans quelle mesure êtes-vous touché par les difficultés dans les hélicoptères ou les retards dans l’aviation d’affaires ? Par ailleurs, êtes-vous exposé à l’A400M ?

La baisse a déjà eu lieu en grande partie dans les hélicoptères en 2015 et 2016 et nous tablons plutôt sur une stabilisation à des niveaux d’activité bas. Dans les jets d’affaires et l’aviation régionale, nous attendons toujours des signes de reprise. L’aéronautique militaire représente environ 10 % du chiffre d’affaires total de la division. Nous sommes présents sur l’A400M mais le Rafale est plus important pour nous. Nous investissons d’ailleurs actuellement pour suivre la hausse de production du M88, le moteur du Rafale fabriqué par Safran. Nos équipements sur cet appareil représentent environ 750.000 €, mais ce sont les activités de rechange qui comptent plus pour nous que la première monte.

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Emmanuel Viellard, Directeur général de Lisi - Crédits photo : Patrick Lazic -
dans https://investir.lesechos.fr

Quels sont les prochains programmes qui compteront pour Lisi ? Vous préparez-vous déjà pour les prochains monocouloirs d’Airbus et de Boeing ?

Nous avons actuellement des produits en cours de qualification pour le B777X, dont l’entrée en service est prévue à la fin de la décennie, et pour l’A330neo, qui devrait, lui, entrer en service à la fin 2017. Nous sommes aussi présents sur le nouveau CSeries de Bombardier et sur le C919 du chinois Comac. On devrait toutefois observer à court terme une certaine accalmie en matière de lancements. Pour les prochains monocouloirs d’Airbus et de Boeing, nous y serons certainement associés mais ce n’est pas encore une réalité pour nous.

Vous avez indiqué avoir souffert de surcoûts au premier trimestre. Quels risques représentent-ils pour la rentabilité ?

Il existe deux types de surcoûts. Il y a ceux que nous avions connus dans l’automobile il y a quelques années lorsque nous avions dû aller au-delà de nos capacités, avec la mise en place de moyens logistiques exceptionnels pour les livraisons, par exemple. Tout est rentré dans l’ordre depuis et nous sommes aujourd’hui satisfaits de nos performances dans cette division. Ensuite, il y a les surcoûts, comme ceux que nous rencontrons actuellement dans l’aéronautique, qui sont liés à l’arrivée de produits nouveaux : il s’agit de mettre en place de nouvelles lignes de fabrication et de former le personnel. A Marmande (Lot-et-Garonne), par exemple, ce sont 100 personnes qui sont en formation actuellement. Un ramp-up induit des coûts supplémentaires, mais qui sont prévisibles et temporaires.

Vos activités automobiles se portent bien également. Comment vous positionnez-vous dans ce domaine qui pèse environ 30 % de vos facturations ?

Nous déroulons notre plan. Nous disposons d’une marge de progression des résultats grâce à une vraie spécialité dans les systèmes de freinages et de sécurité, dans les tiges de guidage ou les bandes de torsion, par exemple. Or, ce sont des domaines de croissance. De généraliste, nous sommes devenus multispécialistes en clips ou en visserie d’applications. Dans l’automobile, notre objectif de rentabilité est un taux de marge opérationnel de 7 %, ce dont nous ne sommes plus très loin. Nous sommes présents auprès des constructeurs européens, français et allemands notamment, c’est historique, mais nous sommes aussi équipementier d’équipementiers comme TRW, TI Group ou encore Autoliv qui sont parfois de la taille des constructeurs. Notre mission est de simplifier l’assemblage à nos clients grâce à notre capacité à livrer en temps et en heure, avec zéro défaut, des produits de plus en plus sophistiqués.

Quelles sont les synergies entre les activités du médical et les autres ? Quelle est la différence avec les activités cosmétiques cédées en 2011 ?

Dans le médical, nous travaillons les mêmes matières avec les mêmes processus que dans l’aéronautique ou l’automobile : du titane forgé, par exemple. Il existe ainsi de vraies fixations dans le médical comme les vis polyaxiales pour le rachis. Dans les cosmétiques, nous avions un problème de taille que nous n’avons pu résoudre. Dans le médical, avec l’acquisition de Remmele aux Etats-Unis, nous pesons 150 millions d’euros de chiffre d’affaires et sommes numéro quatre mondial. Nous nous approchons de la taille critique. En outre, la problématique du marché était différente, les nouveaux produits étaient nombreux mais beaucoup étaient mort-nés ou avec des durées de vie très courtes.

Comment voyez-vous évoluer votre structure industrielle ?

Nous disposons de capacités en Pologne, en Turquie ou en Inde et environ 15 % de nos effectifs sont situés en zones best cost. Mais nous sommes très présents en France et devons être compétitifs. Nous avons lancé un grand plan de robotisation sur nos sites en 2016, qui s’étalera sur 2017 et 2018. Nous travaillons sur l’usine du futur, connectée, robotisée et permettant d’améliorer les conditions de travail. Nous avons également une usine dédiée à l’impression 3D (en titane, en Inconel, ou avec une base nickel par exemple). Nous avons fait beaucoup d’efforts dans les fixations et les composants d’assemblage pour présenter de nouvelles générations de pièces compétitives. Dans notre programme Forges 2020, nous aurons une forge en titane compétitive, ( Chaumont en Haute-Marne ).

Il n’y a pas de fatalité : on peut être compétitif en France ! Nous avons déjà réalisé par le passé plusieurs grandes campagnes de modernisation de notre parc industriel. On peut le voir sur notre site automobile de Delle (Territoire-de-Belfort), à Villefranche-de-Rouergue (Aveyron) dans l’aéronautique ou à Saint-Ouen-l’Aumône (Val-d’Oise) où les trois tranches, la partie historique du site, celle des années 2000 et, enfin, la partie ouverte en 2016, sont visibles.

La voiture plus électrique et plus plastique ou les avions plus composites représentent-ils un risque pour vos produits qui sont pour l’essentiel réalisés en métal ?

Dans l’aéronautique, les nouveaux appareils sont en fait des mix composites-métaux. Nous avons adapté notre offre à cette problématique et même si les pièces composites sont de plus grande taille, la question de l’assemblage reste stratégique nécessitant des composants plus complexes encore. De même, dans l’automobile, nous avons une offre adaptée à des véhicules qui intègrent plus de parties en plastique. Quant au véhicule électrique, la transformation se fait au niveau du moteur, où notre exposition est faible. Nous sommes, en revanche, très présents sur la visserie d’applications, notamment auprès des constructeurs allemands. La hausse de la demande et la complexification en la matière nous sont plutôt favorables.

La marge dans l’automobile reste inférieure à celle de l’aéronautique. Pour quelle raison ?

On ne peut pas comparer la rentabilité de ces deux divisions. La logique de production est différente : dans l’automobile, il s’agit de séries d’un million de pièces par an pour quelques références quand, dans l’aéronautique, nous livrons quelques centaines de pièces sur des centaines de milliers de références. La complexité des pièces n’est pas, non plus, la même, avec une standardisation poussée des pièces dans l’automobile. En outre, l’aéronautique nécessite d’importants investissements initiaux qu’il faut bien financer. Nous investissons 120 millions d’euros en nouveaux équipements et des dizaines de millions d’euros en R & D chaque année, dont une grande part dans l’aéronautique. C’est aussi pour cette raison que nous nous renforçons dans les composants les plus complexes, porteurs de valeur ajoutée, dans l’automobile aussi.

Après plusieurs années de forte croissance, doit-on s’attendre à une baisse dans l’aéronautique ou bien les cycles n’existent plus ?

Déjà en 2007, on nous avait expliqué que le cycle aéronautique n’existait plus. Aujourd’hui, après une longue phase de croissance de la production, on devrait voir un plateau se dessiner à un niveau élevé, pour les cinq prochaines années. Pour notre part, nous sommes exposés aux grands avionneurs, notamment les commerciaux, dont les carnets sont pleins, mais aussi aux grands motoristes, donc nous devrions profiter de la livraison de ces carnets. Après, je ne sais pas. Mais il existe des cycles aéronautiques et nous devons en tenir compte.

Pensez-vous que la consolidation dans le secteur aéronautique va se poursuivre ?

C’est le sens de l’histoire que le marché continue à se consolider, en particulier au niveau des PME et des entreprises de taille intermédiaire. Mais, en ce qui nous concerne, notre stratégie est d’abord centrée sur la croissance interne, et les acquisitions viennent quand il est nécessaire de conforter une position. Mais il faut se rappeler la règle de base quand il s’agit d’acquisitions, elles détruisent de la valeur à court terme dans 70 % des cas. Il faut donc avoir une approche de la croissance externe qui soit assurée et prudente. Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas en faire, mais nous devons maintenir un certain équilibre entre la croissance interne et la croissance externe.

Qu’attendez-vous du Salon International de l’Aéronautique et de l’Espace (SIAE) de Paris-Le Bourget du 19 au 25 juin 2017 ?

Ce sera un Salon du Bourget certainement encore très actif et dynamique en année 2017. C’est un moment important pour notre image, nous y montrons notre savoir-faire.

Propos recueillis par Delphine Tillaux, publié le 19 mai 2017 dans lesechos.fr


Suite à une fusion avec MANOIR INDUSTRIES (SIREN 403 735 681) LES FORGES DE BOLOGNE (845 420 280, immatriculés le 23-11-1954) changent de dénomination le 12 juillet 2018 pour s’appeler LISI AEROSPACE FORGED INTEGRATED avec un nouveau capital de 3 773 805 €
39 RTE DES FORGES 52310 BOLOGNE
SIRET 845 420 280 00016 (SIRET inchangé)


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