« Hommes et femmes : égales devant l’évolution ? » à la Sorbonne à Paris le 16 février 2018. Le mâle aurait interdit les nourritures les plus riches aux femelles

, par Christophe Juppin

France Culture a organisé un Forum le vendredi 16 février 2018 dans le Grand Amphithéâtre de la Sorbonne à Paris, consacré à « L’année vue par les savoirs » et intitulée « Sexe (s) et pouvoir (s) ». Au cours d’une table-rondes, avec Pierre-Henri Gouyon, Edith Heard et Yves Coppens, a été évoqué la question : « Hommes et femmes : égales devant l’évolution ? » .


Les forums France Culture font venir un large public trois fois par an pour proposer au cours de table-rondes, des clés de compréhension de l’actualité grâce aux savoirs – philosophie, histoire, sciences - a été remporté.

La coupole du Grand Amphithéâtre de la Sorbonne a vu se succéder à la tribune les plus grands noms des disciplines de la connaissance devant un auditoire nombreux et captivé. Cette initiative a permis en outre de sceller dans des évènements récurrents un partenariat de grande proximité de France Culture avec les universitaires et les chercheurs.

A quel moment voit-on apparaître le dimorphisme chez les animaux ? Est-ce chez tous les animaux ? Celui des hommes est-il relativement petit ou grand ? Que se passe-t-il au niveau génétique et épigénétique ? Comment se fait-il que l’on est différent ?
Avec
 Pierre-Henri Gouyon Biologiste, professeur émérite au Muséum National d’Histoire Naturelle
 Edith Heard Généticienne, professeur au Collège de France, directrice générale du Laboratoire européen de biologie moléculaire (EMBL)
 Yves Coppens Paléontologue et paléoanthropologue, professeur émérite au Collège de France (décédé le 22 juin 2022)

Hommes et femmes : égales devant l’évolution ? du Vendredi 16 février 2018, Forum France Culture "Sexe(s) et pouvoir"

Sur l’antenne de France Culture consacré à « L’année vue par les savoirs ». Le Vendredi 16 février 2018, autour des questions des questions sexe(s) et pouvoir, nous allons parler d’anthropologie, de génétique, de paléontologie, avec nos invités. dans le Grand Amphithéâtre de la Sorbonne à Paris.

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Nicolas Martin de France Culture a organisé un Forum le vendredi 16 février 2018 dans le Grand Amphithéâtre de la Sorbonne à Paris, consacré à « L’année vue par les savoirs » et intitulée « Sexe (s) et pouvoir (s) ».

Nicolas Martin
La principale différence, disons d’ordre physiologique entre la femme et l’homme, c’est un petit bout de truc en plus ou en moins... enfin, ça dépend évidemment de l’endroit où on regarde. Et ce petit bout de truc, c’est bien sûr un petit bout de chromosome. Je ne sais pas à quoi vous pensiez d’autre. Eh oui, deux X ou un X, et un Y pour les variantes les plus courantes, et tout change. Pourtant… et pourtant, il existe dans la nature d’autres façons de faire : les lézards, les tortues, par exemple, n’ont pas de chromosomes sexuels différenciés. C’est une première chose.

Par ailleurs, et si tout était aussi simple, il suffirait de lire les gènes qui s’expriment sur X, en l’absence d’allèle sur Y, pour coder la petite ou la grosse voix, la pilosité, la différence de taille, la pomme d’Adam, sans oublier évidemment les parties génitales, bref, tout ce que l’on inclut dans le dimorphisme sexuel, c’est-à-dire les traits physiomorphologiques qui distinguent dans une même espèce la femelle du mâle. Mais c’est évidemment bien plus compliqué que cela : la génétique ne fait pas tout. L’épigénétique y est également pour quelque chose.

Le mâle aurait interdit les nourritures les plus riches aux femelles

La sélection naturelle, les mécanismes évolutifs, et même les habitudes culturelles si l’on en croit Françoise Héritier pour qui ce dimorphisme est le résultat d’une pression de sélections imposées dès Néandertal par le mâle qui auraient interdit les nourritures les plus riches aux femelles pour les garder pour eux, de façon à avoir le maximum d’énergie pour aller chasser. C’est donc ce vaste problème, vaste, en effet, que nous allons tenter d’examiner tout au long de cette heure avec les prestigieux invités qui sont devant vous, que je remercie infiniment d’avoir accepté de participer à ce forum.

Bonjour et merci, Édith Heard.

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Edith Heard Généticienne

Vous êtes généticienne, professeure au Collège de France. Titulaire de la chaire épigénétique et mémoire cellulaire. Et lauréate du Grand Prix de l’INSERM, en 2017, pour vos travaux en épigénétique.

Bonjour et merci, Yves Coppens.

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Edith Heard Généticienne, Yves Coppens Paléontologue et paléoanthropologue, Pierre-Henri Gouyon Biologiste.

Je rappelle que vous êtes les parrains de la Méthode scientifique. Nous sommes pas peu fiers, vous êtes évidemment paléoanthropologue de renom. Professeur émérite au Collègue de France. Vous venez de publier vos mémoires Origines de l’Homme, Origines d’un homme, aux Éditions Odile Jacobs.

Et bonjour et merci, Pierre-Henri Gouyon.
Biologiste et évolutionniste. Professeur au Muséum d’Histoire Naturelle à Agro Paris Tech, à l’École Normale Supérieure et à Science Po. Et chercheur à l’Institut de Systématique Évolution et Biodiversité. Peut-être est-il bon, pour commencer, eh bien, de faire un petit rappel d’ordre génétique.

Nicolas Martin
Édith Heard, il n’y a pas que X et Y dans la vie pour déterminer le sexe et le dimorphisme sexuel.

Édith Heard
Oui, on peut commencer en parlant des chromosomes sexuels ou les gènes impliqués dans la détermination du sexe. Donc il y a, effectivement, dans la nature, des espèces où on ne trouve même pas de chromosomes sexuels, il s’agit d’un locus. Et parfois, le déclenchement de la différence sexuelle peut être environnemental. Ça peut être la température, comme vous avez évoqué, pour certains reptiles. Et puis il y a des espèces où on n’a même pas de sexe. Il y a certains lézards, par exemple, où on se reproduit de manière parthénogénétique, donc c’est que les femelles qui se reproduisent. On n’a même pas besoin de mâles. C’est important de garder en tête qu’au cours de l’évolution, et là je pense que mes collègues vont pouvoir élaborer beaucoup plus que moi, la recombinaison ou la combinaison des jeunes hommes, et la variété génétique, qui peut provenir de la reproduction sexuelle, est très importante. Cette variation qui peut être produite quand un male et une femelle se combinent pour produire des nouveaux êtres, est important pour s’adapter à des environnements qui peuvent changer, etc.

Donc, pour revenir à l’homme et la femme, effectivement, la grande différence, on va dire, de départ, au niveau génétique, c’est la présence du chromosome Y et, en particulier, le gène SRY qui est sous le chromosome Y. Et c’est la présence de ce gène qui déclenche surtout la différenciation entre les axes au cours du développement. Et donc, on peut dire, même si c’est pas tout à fait vrai, qu’on est tous des femmes par défaut. Sans un Y, on va développer plutôt comme des femmes, mais il faut ce petit chromosome Y qui n’a pas grand-chose à part quelques gènes importants pour le développement de la lignée germinale mâle. Et donc, effectivement, il y a une importance pour cette différenciation sexuelle d’avoir un chromosome Y. Mais il y a des mammifères qui ont par… perdu leur chromosome Y, aussi.

Nicolas Martin
Et peut-être que ça risque de nous arriver. D’ailleurs, on y reviendra tout à l’heure. Ce chromosome Y, on le verra... qui est une sorte d’anomalie en termes d’évolution, on y reviendra. Comme le dit, Édith Heard, Pierre-Henri Gouyon, c’est vrai que si on regarde en termes d’évolution, finalement, on va souvent parler, au cours de cette heure, de la dépense énergétique, hein, que constitue les traits... un certain trait sexuel secondaire et dans la reproduction. Si on regarde en termes d’évolution, finalement, les mâles sont une sorte d’aberration évolutionniste. On pourrait être une population de femelles, exclusivement. Les mâles, ça dépense beaucoup d’énergie pour pas grand-chose.

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Pierre-Henri Gouyon Biologiste.

Pierre-Henri Gouyon
Juste deux petites remarques, d’ailleurs par rapport à votre introduction, Nicolas Martin. Vous avez dit que, premièrement, il y avait un petit truc en plus chez un par rapport à l’autre. En fait, il faut bien voir que c’est un truc en moins chez les hommes. C’est-à-dire que le Y, vous voyez, en lettre majuscule, c’est un X à qui il manque une branche. Et le Y, c’est effectivement essentiellement un X très atrophié avec juste quelques gènes en plus : le CRY, en particulier. Mais donc, en réalité, il y a effectivement beaucoup moins de gènes chez un homme que chez une femme. C’est déjà le premier point à dire.

Et la deuxième remarque, c’est que vous avez fait toute une liste de différences entre les hommes et les femmes, mais vous avez juste oublié un détail, c’est que c’est les femmes qui font les enfants, voilà. Et je pense que c’est un peu important, que ça veut dire quelque chose. Que c’est quelque chose… Alors, puisque vous avez cité Françoise Héritier, elle et d’autres anthropologues ont vraiment montré à quel point toutes les sociétés avaient créé des mythes pour essayer de redonner à l’homme la primauté dans la fabrication des enfants. C’est vrai que quand on regarde les choses simplement... Et d’après Françoise Héritier, c’était une des premières choses qu’avaient constatées les humains, dès qu’ils ont commencé à se projeter dans l’avenir, mais... c’est que d’une part, les seules qui font des enfants c’est les femmes, et d’autre part, en général, on fabrique des descendants qui nous ressemblent. D’où la question : « Comment se fait-il que les femmes fassent des fils ?  » D’où une terreur fondamentale des hommes qu’un jour, elles arrêtent ; voilà l’idée qu’a développée Françoise Héritier. Et du coup, eh bien, il ne faut pas les laisser faire ce qu’elles veulent, ces femmes, sinon ça risque d’arriver. Et donc on va les contraindre. Voilà donc une origine possible de la contrainte générale des femmes dans les sociétés humaines.

Moi, c’est là-dessus que je l’ai rencontrée, parce qu’effectivement, c’est une question que je me pose en tant qu’évolutionniste : « Pourquoi les femelles font-elles des mâles ? Pourquoi s’accouplent-elles avec des mâles pour faire des descendants, alors qu’elles ont tout ce qu’il faut pour faire les descendants toutes seules ? » En réalité, du point de vue d’un évolutionniste, un mâle, c’est une sorte de parasite de la femelle. Eh ouais ! Comment vous appelez un organisme qui vous injecte ses gènes pour que vous les reproduisiez sans rien faire lui-même ? Eh oui, vous l’appelez un parasite ou un mâle, selon les cas.

La chose extraordinaire pour nous, biologistes, c’est que quand vous attrapez la grippe, bon, vous attrapez un parasite, il se reproduit à cause de… grâce à vous, tant pis pour vous et tant mieux pour lui. Mais quand vous attrapez un mâle, c’est plus compliqué parce que… et c’est là qu’il y a une surprise, d’une certaine façon les femmes font exprès de se faire parasiter. Vous voyiez ce que je veux dire ? Elles ont des organes rien que pour ça. Vous n’avez pas d’organes qui sont faits pour attraper la grippe, mais les femmes ont des organes qui sont faits pour se faire féconder par les mâles. Et donc, comment l’évolution a-t-elle pu fabriquer chez les femelles une… un système qui les amènent à faire exprès de se faire parasiter ? Effectivement, comme l’a déjà dit Édith, il arrive qu’elles arrêtent de faire ça. Et donc on a des tas d’espèces chez lesquelles les femelles ont arrêté d’accepter les mâles. Elles se débrouillent toutes seules. Elles font des descendants qui sont des clones d’elles-mêmes. Et ça marche plutôt pas mal. On peut penser que ça ne marche pas très longtemps. C’est-à-dire que ça a…

Édith Heard
Oui, c’est moins drôle aussi.

Pierre-Henri Gouyon
Voilà. Ah, alors ça ! Là, attention, parce que chez les lézards, par exemple, les plus célèbres de ce point de vue-là, les lézards qui s’appellent « fouette-queue  », bon, ce n’est pas… eh bien, il y a plus que des femelles. Effectivement, elles se sont débarrassées des mâles, mais elles n’arrivent pas à démarrer l’ovulation sans une… sans un accouplement. Et donc elles s’accouplent entre elles. Donc, c’est tout aussi rigolo. Bon, enfin.

Nicolas Martin
Allons, venons… revenons-en, Yves Coppens, peut-être sur ce sujet du dimorphisme chez le lézard où chez Homo sapiens.

Yves Coppens
Oui, je voulais ajouter un mot sur le lézard. En plus, comme tu sais, quand on leur coupe la queue, elle repousse.

Nicolas Martin
Voilà, on est partis pour 45 minutes de sous-entendus plus ou moins inspirants. On va en venir. C’est intéressant chez les primates, chez les homininés pour arriver jusqu’à Homo sapiens. On va commencer encore peut-être un peu par poser tout de même la question de ce qui fait le dimorphisme sexuel : pourquoi, finalement, y a-t-il besoin quand il y a deux, voilà, genres : mâle et femelle, deux sexes, deux différences entre le mâle et la femelle ? Et puis, en bout de course : « Pourquoi chez l’homme, c’est l’homme qui est plus gros, plus fort que la femelle, alors que ce n’est pas le cas dans d’autres types d’espèces ? » Pierre-Henri Gouyon et Édith Heard.

Pierre-Henri Gouyon
Alors, primo, il n’y a pas besoin d’un dimorphisme sexuel. Il se produit souvent, mais pas toujours, il existe des tas d’espèces dans lesquelles il y a de dimorphisme. D’ailleurs, je vous défie de reconnaître un mâle d’une femelle chez un chat, par exemple, juste en le regardant. Donc, il y en a plein d’espèces qu’on connaît chez lesquelles le dimorphisme est très limité. Deuxièmement, en termes de taille, eh bien, tout existe. C’est-à-dire des espèces chez lesquelles les femelles sont plus grandes que les mâles. C’est le cas, par exemple, chez beaucoup de poissons. Au fond, c’est logique. Comme la femelle doit faire les petits, il est assez logique qu’elle soit plus grosse que le mâle qui fait juste des spermatozoïdes minuscules. Ça n’a aucun sens ! Il y a même... Chez certains poissons des profondeurs, le mâle est un… vous voyiez, si la femelle faisait… fait 50 centimètres de long, le mâle, il fait 3 centimètres. Il vient se coller sur la femelle. Il fusionne avec elle. Il se nourrit à travers elle, et il envoie ses spermatozoïdes, tout le temps. Comme ça, ça marche. Donc vous voyiez qu’il existe des dimorphismes tout à fait dans l’autre sens. Et d’ailleurs, je veux vous dire que le plus gros mammifère de la planète est une femelle, puisque chez les baleines bleues, les femelles sont plus grandes que les mâles. Et que les baleines bleues étant les plus gros mammifères, eh bien, la plus grosse mammifère de la planète est une femelle, voilà.

Alors, pourquoi il y a des dimorphismes ? Il y a plein de raisons. Mais il y en a un qui est très courant et qui a été montré par Darwin, c’est le fait qu’il y a une compétition entre les mâles pour obtenir les faveurs des femelles avec deux grandes méthodes : l’une, c’est de se battre. Et dans ces cas-là, ça va faire des mâles plus gros, parce que la sélection est forte sur les mâles pour dominer, pour être plus forts pour tenir les femelles. Et d’autres… l’autre solution... Ça, c’est quand c’est les mâles qui se battent pour obtenir les femelles. Quand c’est les femelles qui choisissent, malheureusement, ce n’est pas le cas chez nous, le résultat, c’est que du coup les mâles sont plus beaux que les femelles.
C’est-à-dire que chez beaucoup d’oiseaux, par exemple, les canards, etc., les femelles ont des plumages relativement ternes qui leur permettent de se cacher vis-à-vis des prédateurs, et puis les mâles ont un plumage brillant. Le... la queue du paon, c’est très beau évidemment. C’est ridicule si on veut se sauver quand un prédateur arrive, mais c’est… mais pour plaire aux femelles il faut ça. Et dans ce cas-là, tant pis. Donc on voit que c’est deux grands modes. Et chez les humains…

Nicolas Martin
La taille et l’ornementation qui sont les deux grands variants de dimorphisme.
Édith Heard, peut-être qu’on peut redire aussi, tout de même, que ce qui est intéressant, c’est que… dire un mot de la variance du succès reproductif. C’est-à-dire que chez la femelle, il y a quel que soit le nombre de partenaires, elle aura de toute façon un nombre d’enfants, de descendants limités. Alors que chez l’homme, il peut avoir un nombre de descendants illimité. Il y a donc d’une part la femelle qui, elle, va choisir qualitativement, tandis que le mâle va choisir quantitativement.

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Edith Heard Généticienne

Édith Heard
Oui, il y a cet aspect, mais ça dépend aussi des espèces. Mais… Et puis, par rapport à cette question de dimorphisme sexuel, je pense que... et là, je ne suis pas la spécialiste, mais, par exemple, parmi les primates et parmi les singes... les singes pour lesquels les femelles sont plutôt monogames, il y a beaucoup moins de différences de taille entre les mâles et les femelles que ceux où il y a la polygamie. Mais au niveau de cet avantage de la reproduction sexuelle, je pense que le point le plus important, c’est que même cette capacité de vraiment générer des nouvelles combinaisons et des nouvelles variations génétiques dans la progéniture. Et si on revient sur le cas des mammifères, comme nous, placentaires, où il y a donc chez les femmes deux chromosomes X et chez les mâles un Y et un X, la présence de deux chromosomes X chez les femelles peut aussi donner beaucoup plus de variétés, ou variations, dans l’expression des gènes sur le X. On a deux copies par rapport à une copie. Et ça, ça peut avoir un impact, on le sait maintenant, sur certains aspects du système immunitaire. Par exemple, les femmes sont plus fortes en défense aux infections, mais ont une tendance beaucoup plus importante à des maladies auto-immunes. Donc nous savons qu’effectivement, cette différence de chromosome sexuel peut avoir un avantage pour se reproduire, pour la varié et l’évolution de l’espèce, mais peut avoir un impact aussi sur les individus et leur manière de se comporter face à leur niche écologique, on va voir.

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Edith Heard Généticienne

Yves Coppens
Je vais vous raconter quelque chose de simple : les… il y a des préhumains avant les humains. Ça, c’est simple. Et les préhumains et les humains descendent d’ancêtres communs : chimpanzés et hommes Paninés. Ça s’appelle des Paninés et des Homininés. Donc on part de 10 millions d’années. Dix millions d’années en Afrique tropicale, il y a un coup de sec. Mais un coup de sec qui va découvrir un peu la forêt, mais la découvrir un peu seulement.

De dix millions d’années à quatre millions d’années, le dimorphisme sexuel n’est pas très important chez les préhumains

Et ce qui est très intéressant, c’est qu’entre dix millions d’années et trois millions d’années, il y a deux phases : une longue qui va de dix millions à quatre millions, et une courte qui va de quatre millions à trois millions d’années. Eh bien, dans la longue de dix millions d’années à quatre millions d’années, les préhumains que l’on découvre sont peu nombreux, mais on a quand même suffisamment d’éléments pour savoir que le dimorphisme sexuel n’est pas très important. Et il n’est pas très important... C’est un petit peu le type gibbon, probablement parce que ces êtres, ce sont déjà des préhumains, sont monogames. Et puis aussi parce qu’ils sont encore, même si la forêt est claire, abrités par la forêt.
Donc il y a l’abri de la forêt qui fait qu’ils ne sont moins vulnérables... qui sont moins vulnérables que ceux qui vont suivre.

A partir de quatre millions d’années ? le dimorphisme sexuel devient extrêmement important.

Or, ce qui est fantastique, c’est qu’à partir de quatre millions d’années jusqu’à trois et au-delà, et au-delà, c’est une autre histoire, les… le dimorphisme sexuel devient extrêmement important. C’est là que se situe Lucy. Lucy est une… non seulement une femelle, mais une petite femelle par rapport… On a, aujourd’hui, suffisamment d’éléments pour savoir ce que sont les mâles. Et les mâles sont gros, sont importants, sont puissants. Et on fait évidemment de l’actualisme. C’est-à-dire qu’on projette ce que l’on sait aujourd’hui sur ce que l’on ne sait pas dans le passé. Et c’est pour ça qu’on projette l’histoire, le modèle des gibbons sur la première partie et le modèle des babouins sur la deuxième partie.
Et les babouins, qu’est-ce que c’est ? Ce sont des bêtes qui vivent en paysage découvert. Comme ils vivent en paysage découvert, les femelles et les petits sont protégés par des mâles plus gros avec des grosses canines, des fortes canines. Un petit peu pour la sélection entre mâles dont a parlé Pierre-Henri, mais aussi parce qu’ils protègent. Ils protègent, ce sont des protecteurs. Entre eux… ils protègent le troupeau des femelles et des petits. Et ce sont des bêtes qui vivent en grosse… grande société.

Donc c’est très intéressant de voir : succession d’un dimorphisme faible, un dimorphisme fort avec un milieu encore un peu couvert et un milieu beaucoup plus découvert. Et quand c’est beaucoup plus découvert, on est beaucoup plus vulnérable, quand on est beaucoup plus vulnérable, il vaut mieux se protéger de la dent du prédateur.

Nicolas Martin
Un mot justement peut-être, Yves Coppens ? On va parler justement des homininés, du rapport et des différences entre les différents homininés : les primates et nous. Il y a, effectivement, comme vous venez de le dire, une grande différence. Il y a certains primates où il n’y a quasiment aucun dimorphisme, comme les strepsirrhiniens, les lémuriens, les léloris qui sont quasiment identiques, et d’autres primates, comme chez le gorille, où il y a… où les gorilles mâles peuvent faire jusqu’à deux fois la taille de la femelle. Finalement, où se situerait Homo sapiens dans cet éventail-là ? Et est-ce que, finalement, le dimorphisme d’Homo sapiens, du nôtre, est un dimorphisme assez limité ? Si on s’en tient à notre ossature, à notre squelette, à part le bassin, on a du mal à distinguer un squelette d’homme d’un squelette de femme.

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Yves Coppens Paléontologue et paléoanthropologue (9 août 1934 - 22 juin 2022)

Yves Coppens
Vous peut-être, moi, ça va. Oui, mais vous avez raison, les strepsirrhiniens... il est savant, hein, les strepsirrhiniens se sont des Adapiformes, vous ne m’aurez pas, hein.
Et les lémuriformes... et, en effet, ceux-là n’ont pas un grand dimorphisme. Et au contraire, il y a un grand dimorphisme chez les gorilles. Vous m’embêtez parce que les gorilles, c’est justement l’exception de ce que je racontais tout à l’heure. C’est-à-dire que bien qu’en forêt, ils ont ce dimorphisme. Ce n’est pas énorme, ce n’est pas considérable par rapport à d’autres bêtes comme les babouins, dont je parlais tout à l’heure. Ceci étant dit, l’homme est en effet entre les deux. Pourquoi est-il entre les deux ? Peut-être parce que la lutte entre mâles n’est pas tout à fait la même, peut-être parce que la culture a apporté un autre élément, peut-être que la vie en société… enfin, tous les primates sont sociaux, mais la vie dans une société organisée d’une autre manière apporte un autre équilibre. La preuve, entre hommes et femmes, c’est un grand sujet aujourd’hui, c’est un sujet important. Et donc ce dimorphisme est moins important ; ceci étant dit, il demeure. Et je vais vous dire une chose abominable : les anthropologues constatent que la taille des canines... comme les babouins, la taille des canines chez les mâles, chez les hommes, chez les humains mâles, est un petit peu plus forte que la taille des canines des femmes.

Nicolas Martin
Un mot peut-être aussi, Édith Heard ou Pierre-Henri Gouyon, sur cette évolution ? Puisque Yves Coppens vient de parler d’une composante culturelle. Je le citais dans cette introduction... dans l’introduction de cette émission. Et Pierre-Henri Gouyon, vous en parliez tout à l’heure, les thèses de Françoise Héritier. Est-ce qu’on peut penser qu’il y a eu dans l’évolution d’Homo sapiens, dans l’évolution du genre Homo, une composante culturelle qui, sortie de la pression évolutive dont on parlait tout à l’heure pour le dimorphisme, c’est-à-dire la nécessité de compétitions intra et intersexuelles entre les mâles pour être le plus fort et la sélection par les femelles qui choisissent le plus fort pour la descendance... en dehors de cette pression évolutive-là, il y aurait eu une composante culturelle qui fait qu’effectivement les femelles, au bout d’un moment, Homo erectus, sapiens, peu importe, vous allez me dire votre avis là-dessus, auraient moins eu accès à de la nourriture, pas de la nourriture aussi… enfin, chargé en protéines, en éléments nutritifs forts, et que ça aurait, du coup, eu une influence sur le développement et sur l’accentuation de ce dimorphisme ? Édith Heard, qu’en pensez-vous ? Et Pierre-Henri Gouyon, après.

Édith Heard
Alors, moi, je pense que les échelles de temps ne sont vraiment pas compatibles. On a pour l’évolution, on va dire, du génome et de la séquence de l’ADN qui va faire qu’il y a des développements différents. L’échelle de temps n’est absolument valable. Enfin, je pense que vous, vous pouvez mieux répondre sur ça. Par contre, je suis absolument convaincue que l’évolution culturelle peut aller beaucoup plus vite et peut avoir une influence sur la manière que les dimorphismes sexuels, soi-disant de comportements et autres, peuvent changer. Donc, là, je pense qu’effectivement, il y a des changements. Par exemple, la manière que nous sommes nourrit. Ça, c’est quelque chose de culturel. On a qu’a regardé la taille moyenne des gens, pas des femmes ou des hommes, mais de tout le monde dans certains pays où le lait est donné pendant une période beaucoup plus importante au cours de la croissance de l’enfant. Là, on voit que la taille moyenne de l’humain a vraiment grandi. Donc, je pense que ce n’est pas une évolution dans le sens, on va dire, génomique, mais une évolution culturelle qui peut beaucoup changer. Et par ailleurs, je pense qu’aussi l’attitude des hommes par rapport aux femmes, et vice versa, peut changer très vite aussi. On a qu’à regarder le mouvement Me Too pour voir à quel point on peut basculer très vite dans des comportements et des appréciations très différentes.

Pierre-Henri Gouyon
Alors, on vient d’aborder énormément de choses, là. Je pense qu’il va falloir clarifier un tout… Premièrement, les dimorphismes sexuels, c’est toutes les différences qu’on trouve entre les hommes et les femmes. Par exemple, en gros, en moyenne, très nettement, les femmes ont les cheveux plus longs que les hommes. Évidemment que cette différence fait partie du dimorphisme sexuel, mais qu’elle est très directement fonction du milieu culturel dans lequel on se trouve, et que dans d’autres milieux, les mêmes différences sexuelles donneront des différences autres. D’ailleurs, même quand j’étais jeune, moi, croyez-le ou pas, mais on avait des cheveux très longs, voilà. Donc, ça, c’est un premier point. Effectivement, culturellement, vous pouvez changer des tas de trucs, et vous pouvez imaginer tout changer. On m’a déjà dit : « Mais... enfin, même… il n’existe aucun milieu dans lequel les hommes courraient moins vite que les femmes. » Ce n’est pas vrai ! Si vous fabriquez une culture dans laquelle les garçons n’ont pas le droit de sortir du lit avant l’âge de 15 ans, pendant que vous faites faire du sport à fond aux filles, eh ben, les filles courront plus vite que les hommes. Donc on peut changer tout culturellement. Ça, c’est un premier point.

Bon, aspect particulier du dimorphisme, c’est le dimorphisme de taille. Et là, il se trouve que le travail d’une collaboratrice de Françoise Héritier, qui s’appelle Priscille Touraille, a été intéressant, parce qu’elle a mélangé les deux, justement. Donc c’est à la fois du culturel et du biologique. La question est la suivante : «  Comment se fait-il que les femmes restent si petites ?  » Au fond, la question n’est pas tellement de savoir pourquoi les hommes sont grands ! Bon, ben, voilà, il y a eu… c’est intéressant pour se bagarrer, pour tout ce qu’on voudra. Seulement pour les femmes aussi ça serait intéressant d’être plus grandes. Pourquoi ? Parce que les humains ont une grosse tête. Ça, c’est une particularité de notre espèce, pour le coup. Et que, du coup, la naissance est un moment difficile. Or, on a pu montrer que jusqu’à une époque récente dans nos sociétés les morts en couche étaient très largement augmentées par la petite taille des femmes. C’est-à-dire que les femmes petites meurent plus en couche que les femmes grandes. Donc ça aurait dû sélectionner pour des femmes plus grandes. Qu’est-ce qui a empêché que cette sélection fonctionne ? C’est ça la question que s’est posée Priscille Touraille. Donc, ce n’est pas la question de savoir pourquoi les hommes sont plus grands que les femmes, mais pourquoi les femmes n’ont pas augmenté leur taille, étant donné qu’il existe cette pression de sélection.

Et il y a que deux réponses qui tiennent la route. L’une, c’est effectivement que dans toutes les sociétés, les hommes ont eu tendance à conserver les nourritures riches, pas la nourriture en général, mais les protéines, les choses qui permettent de croître. Eh bien, ces parties-là de la nourriture ont été capturées par les hommes, et souvent pas laissées aux femmes. Ça, c’est le premier point.
La deuxième hypothèse qui reste… Ça, c’est la première, c’est celle qu’a développée Priscille Touraille au départ. Et ensuite, elle en a rajouté une deuxième. Et je pense que c’est les deux seules qui tiennent la route.

La deuxième, c’est simplement que les hommes choisissent des femmes plus petites qu’eux, et du coup les femmes plus grandes ont plus de mal à trouver des partenaires. Et ça s’est vérifié aussi, je peux vous dire, et statistiquement, hein. Et la raison, ben, c’est simplement que les hommes ont envie de garder le pouvoir dans le foyer, bien entendu. Mais le résultat, c’est que ça crée une sélection pour des femmes plus petites. Alors qu’elle… Parmi... Ces deux hypothèses, d’ailleurs, sont complémentaires, mais effectivement, on peut imaginer que des… Vous voyiez que, là, ce n’est pas seulement le social qui change la différence entre les hommes et les femmes, c’est le social qui change les conditions biologiques de sélection, et du coup, le social crée les conditions d’une sélection différentielle entre les hommes et les femmes.

Nicolas Martin
Yves Coppens, ce que dit, justement, l’étude des homininés à ce propos et leur organisation sociale ou, en tout cas, ce que l’on peut en déduire... Par exemple, vous parliez évidemment de Lucy tout à l’heure et du fait qu’il y était… qu’il était, aujourd’hui, incontestable que Lucy soit une femelle. Or, pendant… on a douté, à un moment donné, parce qu’on s’est dit : « Quels sont les deux éléments ? » C’est la gracilité, la taille du bassin. Or, Lucy, c’est... les Australopithèques sont… font un peu plus d’un mètre, difficilement. Et compte tenu du volume crânien qui est de moins de 500 cm3, le bassin n’a pas besoin d’être extrêmement plus large pour précisément pouvoir accoucher. Est-ce qu’on est sur aujourd’hui à 100 % que Lucy n’est pas Lucien ?

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Edith Heard Généticienne, Yves Coppens Paléontologue et paléoanthropologue, Pierre-Henri Gouyon Biologiste.

Yves Coppens
Oui, c’est pire que ça, en fait. J’ai un collègue suisse qui s’était attaqué à ce problème. Il a fait un très joli article, d’ailleurs. Excellent article. Il s’appelle Schmit. Et le mâle de Lucy, il l’appelait Lucifer. Pas gentil, hein ? Donc, c’est vrai qu’à l’origine, on s’est appuyés, toujours les mêmes choses, toujours la même histoire d’actualisme, sur le fait que si Lucy était une humaine d’aujourd’hui, son bassin ressemble plus à un bassin de femme qu’à un bassin d’homme. Et on est partis là-dessus. Et puis au lieu de trouver 52 morceaux, comme ceux de Lucy, on en avait déjà trouvé l’année précédente. On en a trouvé d’autres, l’année suivante. Les fouilles ont été reprises à partir de 90. On en a ajouté encore d’autres, donc on en a plusieurs centaines aujourd’hui. Et sur les plusieurs centaines, on a les deux courbes de Gausse classiques qui se croisent. C’est-à-dire qu’on a des petits mâles et des grands mâles, puis des mâles moyens. Et puis on a des femelles moyennes, des petites femelles, et puis des femelles moyennes. Or, il se trouve que dans ces deux courbes populationnelles, quand on a une population on peut mieux juger, Lucy est incontestablement une femelle, c’est même une petite femelle. Alors qu’il y a des mâles qui au lieu d’un mètre dix font un mètre 50 quoi. Donc, c’est bien différent, bien différencié. Et on ne peut pas dire... on peut jamais dire, en science, qu’il n’y a pas de doute, mais on peut dire que tout à l’air de ce passer comme si Lucy étaient vraiement Lucy et n’était vraiment pas ni Lucien ni Lucifer. Donc... voilà.

Alors, je voulais ajouter autre chose. Évidemment, en paléontologie, pour le moment… en paléontologie humaine, pour le moment on ne peut pas dire grand-chose sur… On projette des idées, simplement. Par exemple, le fait qu’entre Lucy préhumaine, on y était là tout à l’heure, on était à trois millions d’années tout à l’heure, et puis l’humain, il y a un changement climatique. Un changement climatique qui a sûrement un rôle dans l’émergence de l’humain, en général. Et... Au point que... Moi, j’ai travaillé là-dessus, et ce… cette limite de trois millions d’années, c’est le moment de l’englacement de l’Arctique. Et l’englacement de l’Arctique entraîne de la sécheresse aux tropiques. Et la sécheresse aux Tropiques entraîne une obligation pour toute la faune de se transformer pour survivre. Y en a qui ratent, comme les mastodontes. Y en qui réussissent, comme la plupart des autres vertébrés mammifères, dont les humains.

Et les humains réussissent par quel moyen, si on peut dire ? Mais c’est de la sélection naturelle banale, par le changement de la respiration : le larynx descend. Par le changement des dents : n’ayant plus assez de végétaux, ils mangent de la viande. Et le changement de la tête : le cerveau devient plus important, plus plissé, plus riche, plus irrigué, etc. Donc trois éléments. Et qu’est-ce qu’on dit à ce moment-là ? On dit que se trouvant dans un milieu très découvert où la viande est devenue une part du menu... Comme la viande est devenue une part du menu, la viande, il faut la chasser. Comme d’autre part... mais c’est purement spéculatif, comme d’autre part la femme a des enfants, les enfants dans le ventre ou les enfants sur le dos, ou les enfants avec elle, on pense que c’est le début d’une certaine sélection sexuelle du travail. C’est-à-dire que la femme cueille plus volontiers ce qui reste de l’alimentation végétale, végétarienne, alors que l’homme chasse plus volontiers. Aucune preuve !

C’est une histoire logique, mais on n’a pas les moyens de la prouver. Ce qui est extrêmement intéressant sur le plan social, sociétal, c’est qu’à ce moment-là, les hommes, les humains vivent sur des territoires, se déplacent, bien sûr. Ils sont nomades pour des questions opportunistes. Et comme ils ont des terrains, des endroits où ils se stabilisent... Et que c’est là que l’on trouve les quantités d’ossements des animaux chassés, tués, rapportés. On trouve, en effet, que les gibiers sont rapportés. C’est-à-dire que les gibiers sont partagés. Et ça, c’est intéressant. Alors, pour venir à votre idée...A partir du moment où il y a des sépultures, et c’est un moyen de voir comment les sexes sont traités, on trouve, ce qui est agréable, un traitement pratiquement identique. Quand on dit : « À partir de cent mille ans, l’homme enterre ses morts  », ce n’est pas vrai. À partir de cent mille ans, l’homme enterre certains de ses morts, certains ! Puisque d’autres quelquefois, ils les ménagent. Alors, vous voyiez, c’est pire. Et ils enterrent certains de ses morts. Et c’est très intéressant, parce que dans notre mentalité d’aujourd’hui, on se dit : « Il enterre sûrement les chefs. » Alors, on a une société hiérarchisée. En fait, on n’en sait rien, d’abord. Et quand on ouvre ces sépultures, on trouve soit des hommes, des mâles, soit des femmes, soit des femmes et des enfants, soit des couples et des enfants. Et on trouve quelque fois, ce qui est encore mieux... Et par contre, on trouve aussi, ce qui est très intéressant sur le plan de la compassion, on trouve beaucoup de tombes, je dis bien, cent mille ans ou un peu moins, ou un petit peu plus, ça va jusqu’à cent quarante milles, on trouve beaucoup de tombes avec des gens qui ont subi soit des maladies, soit des traumatismes, soit des problèmes qui ont fait qu’ils ont survécus malgré quelques difficultés. Autrement dit, son… enfin, on pourrait dire de manière un peu rapide, un peu grossière, que sont enterrés de manière préférentielle, à 25 %, au moins un quart, les gens qui ont subi des problèmes dans leur existence, quoi.

Nicolas Martin
Pierre-Henri Gouyon, Édith Heard, sur ce que viens de dire Yves Coppens, sur cette théorie de Françoise Héritier, sur l’organisation sociale du travail qui aurait pu fonctionner comme une forme de pression évolutive ? Pierre-Henri Gouyon, Édith Heard ?

Pierre-Henri Gouyon
Non, moi je pense qu’effectivement, il nous reste pas mal de choses à découvrir. Mais ce qui est intéressant, c’est que je pense qu’effectivement, il y a beaucoup de gens qui croient que notre société, parce qu’elle protège les gens contre les maladies, etc., a supprimé la sélection. En réalité, les sociétés ne suppriment la sélection, elles en changent les règles. C’est-à-dire que si jamais vous ne nourrissez pas de la même façon les hommes et les femmes, vous changez les règles de la sélection par rapport à ce qui se passerait s’il n’y avait pas ce genre de choses. Et ça, si on veut le comprendre, ben, il faut coopérer entre les gens qui font de l’anthropologie, de la paléoanthropologie, de la génétique. Et c’est seulement une démarche pluridisciplinaire qui permet de voir ça, parce qu’il y a des éléments de génétiques, des éléments d’anthropologie. C’est d’autant plus difficile que ce sont des sciences qui ont du mal à se parler. La génétique a été très mal vue par les sciences humaines pendant très longtemps. C’est vrai que la génétique a servi de base à l’eugénisme, et voire même au nazisme, mais il y a eu toute une période, dont je me souviens très bien, où dès qu’on osait dit qu’il y avait des gènes qui pouvaient avoir des influences chez les humains, on était carrément catalogué cryptonazis par la plupart de nos collègues des sciences humaines. Alors, heureusement, c’est de moins en moins le cas.

Et du coup, ça a créé une réaction en retour. Et il y a toute une série de généticiens qui considèrent que les gens qui font des sciences humaines ne sont pas des vrais scientifiques. Et donc on a une vraie difficulté structurelle à monter des recherches comme ça. Et du coup, par exemple, quand quelqu’un comme Brigitte Touret propose ce genre d’hypothèses, il y a une volée de bois vert qui vient de la part de généticiens pas tentés qui n’ont pas du tout étudié la question, et qui considèrent que comme c’est une anthropologue, ça ne peut pas être sérieux. Et ça, c’est un peu pénible.

Édith Heard
Je suis assez d’accord. Ce sont des questions extrêmement complexes. On n’a vraiment pas tous les éléments pour pouvoir déduire quelle pression culturelle, fonctionnelle ou autre, fait qu’il y a des différences de tailles ou autre chose. Donc, en fait, je pense qu’effectivement, c’est des questions passionnantes, et il faut un dialogue entre les anthropologues, les généticiens, les historiens. Et je pense que les contributions, par exemple, de Françoise Héritier étaient extrêmement intéressantes et importantes pour stimuler ce type de débat, et nous ne venons que de commencer. Parce que nous commençons maintenant à comprendre un petit peu les gènes impliqués sur certains types de comportements ou sur la physiologie de la femme, sur la manière qu’une grossesse va se passer. Donc les contraintes au cours de l’histoire sont tellement complexes. Je pense que c’est difficile… Alors, c’est pour ça que moi, particulièrement, je ne travaille pas sur l’homme, mais plutôt sur les modèles miren et autre, où là on peut essayer de distinguer le… l’influence culturelle, environnementale de l’influence génétique sur la manière que les animaux se reproduisent et les différences phénotypiques entre eux. C’est extrêmement difficile avec l’homme. Voilà, ça, c’est ma conclusion.

Pierre-Henri Gouyon
Oui, juste un petit mot : y a pas que la différence de taille, comme dimorphisme sexuel. Et quand vous avez commencé, vous avez d’ailleurs parlé du fait d’avoir des poils ou pas. C’est intéressant parce que le dimorphisme sur les poils, c’est une minorité d’humains. Il y a beaucoup de populations humaines dans lesquels il n’y a pas de différences de pilosité quasiment entre les hommes et les femmes. Donc on a une vision aussi, encore une fois, très occidentale de toutes ces questions. Et si on essaie de regarder à l’échelle de l’ensemble de l’humanité, on découvre un autre paysage. Y a d’ailleurs des gens qui ont sorti l’hypothèse, je ne sais pas s’il elle tient encore, mais que l’histoire de la différence de pilosité, ça venait du Néandertal. Parce que c’est justement les populations qui ont été exposées aux croisements avec le Néandertal qui ont eu une différence de pilosité entre les hommes et femmes. Donc, si ça trouve, voilà, le fait qu’on soit fiers d’être poilus, nous, ben, ça veut dire qu’on est juste plus près de Néandertal que le sapiens, quoi.

Nicolas Martin
Ça veut dire qu’on est entre 2 et 4 % de patrimoine génétique de Néandertal. Une opinion, Yves Coppens, sur cet exemple ténu de la pilosité de Néandertal ?

Yves Coppens
Oui. Moi, ce que je pense, c’est que la division depuis Carl von Linné , cette division superbe de la hiérarchie zoologique du classement de la systématique, elle est belle, elle est commode. Et si on la supprime, on sera bien embarrassés, donc on la garde. Mais l’histoire des genres, des espèces, des sous-espèces, etc., c’est presque un petit peu artificiel, c’est-à-dire que les limites sont quand même poreuses. Et d’autre part, dans une certaine mesure, je pense aussi que toujours, l’histoire culturelle, l’apparition de l’environnement culturel a vraiment un effet de retour, de feed-back, comme on dit en français, sur l’évolution naturelle. Et en ce sens, je me demande si les espèces successives d’humains ne sont pas une sorte de manière agréable, pour nous, paléoanthropologues, de classer les choses. Parce qu’on adore classer, en sciences naturelles. En science de la vie et de la terre, on adore classer, on adore ranger. Or, n’est pas une manière un peu facile de mettre les gens dans des tiroirs, alors qu’il y a plein de trous dans les tiroirs, quoi. Ce qui veut dire qu’entre les espèces dites « espèces successives » d’humains, il y a peut-être au moment de leurs mutations, de leur transformation, des hybridations, des interfécondités possibles. Et donc l’interfécondité légère, quand même, mais intéressante entre Néandertal et Homo sapiens, est maintenant joliment prouvée par la génétique… la paléogénétique. Et en ce sens, à la limite ne m’étonne pas, quoi. Mais c’est tout. Moi, je ne suis pas compétent. Mais je pense que d’autres types d’échanges, d’hybridations ont du se faire, et qu’on en aura la preuve un jour ou l’autre.

Songez qu’un ami que tout le monde connaît bien, David Lordkipanidze, ce collègue qui fouille en Géorgie, a trouvé un crâne, en 1991, qu’il appelle le crâne n°5. Ce crâne est embêtant. Nous avons fait des séparations

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Les différentes espèces d’hominidés telles qu’on les concevait jusqu’à aujourd’hui.
De subtiles différences morphologiques entre les différents fossiles (à partir des crânes notamment) retrouvés sur les sites de fouilles avaient conduit les paléoanthropologues à penser que toutes ces espèces étaient bien distinctes.

Homo habilis, Homo ergencis, Homo ergaster, Homo erectus. Et bien ce crâne là, il est habilis "par devant", rudolfensis "par derrière", ergaster "d’un coté" (j’exagére) et erectus "de l’autre". Alors, il se dit, « est-ce que nous avons eu raison de faire toutes ces différences ? » .

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Yves Coppens Paléontologue et paléoanthropologue (9 août 1934 - 22 juin 2022)

Alors, moi, l’histoire de la relation entre humains, je l’explique de la manière suivante. J’ai vécu beaucoup en brousse, et j’ai vu bien des animaux s’ignorer. Les animaux sont dans leur groupe et regardent vaguement ceux d’à coté, mais seulement vaguement. C’est à dire qu’une troupe d’éléphants en croise une autre, ils se donnent des coups de trompe, quand même, mais presque en s’ignorant. Alors les humains, qu’est-ce qu’ils ont les humains ? Ils ont la langage articulé. Ils se rencontrent. Première réaction, vigilance : on fait attention. Puis ensuite on se rapproche, et si cela ne va pas, on se tape dessus. C’est bien connu chez tous les humains de la terre. Si cela va a peu prés, on s’arrête et on échange des propos agréables. Encore une fois avec de la méfiance, mais agréables. On échange, en Afrique on boit le thé ou un verre d’eau, ou je ne sais quoi. Et au bout d’un certain temps, on raconte des histoires sur le temps qu’il fait, on raconte des blagues d’ailleurs, sur le fait qu’il y a un peu plus de gibier ailleurs, mais cela, on triche, ou bien un peu plus d’alimentation végétale ailleurs, etc. Et puis on échange des alliances, on échange des femmes et des hommes. Imaginez (bien sûr c’est du rêve) qu’habilis rencontre un rudolfensis, et bien cela ferait le crâne n°5 de Lordkipanidze.

Nicolas Martin
On va avancer un peu, sortir doucement de la préhistoire, pour arriver jusqu’aujourd’hui. On l’a dit, Lucy, les Australopithecus afarensis, il y a un grand dimorphisme. On a tendance à voir que le dimorphisme se réduit progressivement jusqu’à sapiens. Ce qui m’amène à vous demander, Édith Heard : est-ce qu’aujourd’hui, on a une échelle de temps suffisante pour se dire que petit à petit compte tenu de la modification du mode de vie de sapiens, on arrive vers une forme de nivellement de ce dimorphisme, c’est-à-dire des caractères sexuels secondaires, évidemment pas primaires, ou c’est trop tôt pour le dire ? C’est difficile ?

Édith Heard
Oui, je pense qu’ il y a quand même dimorphisme sexuel. On n’a même pas évoqué le mot hormone. Mais clairement, il y a des différences entre ceux de sexe masculin et ceux de sexe féminin, donc il y a un dimorphisme sexuel. Alors, est-ce qu’on est en train d’estomper ces différences ? Je pense que puisqu’on ne connaît pas forcément les sources, et comme je l’ai dit tout à l’heure, souvent, il y a, finalement, plus des sources plus culturelles qu’autre chose, mais au niveau de nos corps, je pense que ces dimorphismes ne vont pas s’estomper tout de suite. Mais on commence à les observer, parce que, par exemple, on vit beaucoup plus longtemps. Il y a quelques centaines d’années, on était mort à 30-40 ans. On ne pouvait pas imaginer de regarder, observer le fait que les femmes vivent en moyenne beaucoup plus longtemps que les hommes. Donc pourquoi ? Quelles sont les raisons de ces dimorphismes sexuels, alors qu’il s’agit d’une phase de la vie où on se reproduit plus ? Donc pourquoi cette prolongation de vie ? Là, je reviens sur cette histoire de question complexe. Et il y a donc, bien sûr, des gènes sur les chromosomes sexuels qui déclenchent aussi les différences hormonales que nous avons, mais qui peuvent aussi contribuer à cette différence génétique entre hommes et femmes.

Comme la dit Pierre-Henri tout à l’heure, les hommes, ils ont moins de gènes que les femmes. Et en plus, la présence de deux chromosomiques qui sont deux grands chromosomes, et il y en a un des deux qui est exprimé, en général, chez les femmes, et il y a cet processus épigénétique qui est l’inactivation du X, nous réalisons de plus en plus que les femmes, non seulement sont des mosaïques, mais entre femmes, il y a des différences d’expression de gènes liées aux chromosomes X. Et ça, ça peut donner des différences qu’on n’a même pas réalisées jusqu’à récemment d’expression génique dans le système immunitaire, dans le cerveau, etc. Donc je pense qu’il y a beaucoup de différences qu’on n’a même pas réalisées encore.

Nicolas Martin
On peut peut-être justement préciser ça, parce que c’est intéressant. Effectivement, sur les deux chromosomes X chez la femme, il faut qu’il y ait l’un des deux chromosomes qui soit désactivé ; alors, pas totalement, en partie. Parce que sinon, ça produit trop de protéines, ça serait de l’auto-intoxication, en quelque sorte.

Édith Heard
Oui, comme l’a dit Pierre-Henri au départ, les chromosomes sexuels, en fait, le Y, c’est un chromosome X dégénéré, en fait. Au départ, il y avait deux chromosomes identiques. C’était comme les autres chromosomes en couple. Et petit à petit, avec l’évolution de ce chromosome Y qui porte les gènes clés pour la masculinité, le chromosome X est resté intact, mais avec beaucoup de gênes et de taille très différente du Y. Donc, ce déséquilibre, d’avoir deux X chez les femmes et un X chez l’homme, a demandé un processus de compensation. Et dans différents organismes ça se passe différemment, mais en tout cas, chez nous, chez les mammifères, c’est un des deux X qui est inactivé au cours du développement chez les femmes.

Pierre-Henri Gouyon
Mais pas le même dans toutes les cellules, hein.

Nicolas Martin
Et alors, autre question : ce fameux Y dégénéré, comment se fait-il en termes de génétique... c’est une aberration qu’il se maintienne, comment se fait-il qu’il n’ait pas tout simplement quasiment disparu, en fait ?

Édith Heard
Ben, dans certains mammifères, c’est disparu. Mais en fait, ce qu’on voit, ces espèces, ils ont quand même des mâles, donc l’idée, c’est que le Y disparaît, mais ailleurs dans le génome apparaît un gène qui va déterminer le sexe masculin, donc un autre facteur qui va pouvoir faire cette différence sexuelle. Mais non, ce n’est pas du tout une aberration, c’est une conséquence de la manière que les chromosomes sexuels ont évolué pour maintenir le locus qui est essentiel pour déterminer le sexe mâle ; dans le cas de l’homme, c’est SRY. En fait, le reste du chromosome dégénère autour. Il faut empêcher la combinaison avec le X pour pouvoir maintenir justement ce locus un peu unique. Mais la conséquence c’est que, effectivement, ça peut disparaître. Et donc il y a Jenny Grace, qui est une grande généticienne en Australie, a prévu que le Y chez l’homme pourrait disparaître dans un ou deux millions d’années. Alors, il y a des gens qui ne sont pas d’accord. Bien sûr, c’est souvent les hommes qui ne sont pas d’accord, comme par hasard.

Pierre-Henri Gouyon
Ce n’est pas que je ne suis pas d’accord. C’est que je trouve que les gens qui font des prévisions à un million d’années manquent beaucoup de courage, parce qu’évidemment…

Nicolas Martin
Pierre-Henri Gouyon, sur ces questions de modification de di… du dimorphisme et de la génétique aujourd’hui.

Pierre-Henri Gouyon
Oui, mais le problème, c’est quand on dit qu’un gène détermine quelque chose, il faut bien comprendre que ce qu’on veut dire, c’est que les variations de ce gène déterminent les variations qu’on regarde. Quand on dit que le gène est déterminé par les chromosomes sexuels, ce qu’on veut dire, selon quel chromosome sexuel vous avez, vous avez un sexe ou un autre. Quand on dit que le sexe est déterminé par la température, ça veut dire qu’effectivement, chez certains reptiles, par exemple, eh bien, la température d’incubation des œufs va faire qu’on fait un mâle ou une femelle. Mais évidemment qu’il y a des gènes, derrière. Il y a des gènes qui produisent des protéines qu’on dit « thermosensibles », et qui vont réagir différemment en fonction de la température. Donc, évidemment que chez ces reptiles, les gènes jouent un rôle dans la détermination du sexe, sauf que le rôle qu’il joue, c’est de fabriquer une protéine qui, selon la température, fera un mâle ou une femelle.

Donc, vous voyiez, le dimorphisme sexuel, c’est pareil. Quand on va parler de génétique, il va y avoir des gènes qui vont jouer et qui vont produire des hormones, par exemple. Et il va y avoir une réaction au fait de produire ces hormones qui va être une réaction en termes de développement de telle ou telle partie du corps : du fait de perdre ses cheveux. La testostérone, ça fait tomber les cheveux, bon, voilà. Mais ces réactions à l’action d’une hormone, elles sont elles-mêmes dépendantes de gènes. Donc vous pouvez très bien, tout en gardant les mêmes différences hormonales, avoir des différences sur le dimorphisme sexuel qui se mettent à s’exprimer. Donc je pense que c’est très difficile de prédire. Vous voyez de dire : « Voilà, on observe actuellement un certain dimorphisme sexuel.  » On est dans une société qui a certaines caractéristiques avec un environnement qui est-ce qu’il est, donc pour nous, Occidentaux, avec une culture, avec une nourriture, avec des médecines, etc., qui sont ce qu’ils sont. Il est évident qu’on peut imaginer changer le dimorphisme sexuel à plein de points de vue. Le dimorphisme sexuel, moi, je dis que c’est toutes les différences entre hommes et femmes, y compris les différences de salaires. Donc ça veut dire quoi ? Ça veut dire que, étant donné que toute l’expression des gènes est toujours dépendant de l’environnement, eh bien, de deux choses l’une, je suis content de la situation et je dis : «  Ben, c’est très bien comme ça ! Ne changeons rien !  », voilà. Ou bien je trouve qu’il a certains dimorphismes, comme les différences de salaires, qu’il faudrait changer, et je peux toujours essayer de changer l’environnement de façon à changer la façon dont ce dimorphisme va s’exprimer dans l’environnement tel qu’il est. Les gens qui disent : «  C’est comme ça parce que c’est naturel  », sont des gens qui n’ont rien compris, parce qu’il n’y a rien de naturel là-dedans. De toute façon, l’expression des gènes se fait dans un environnement. Et cet environnement, chez les humains, il est de toute façon social.
Donc les gens qui disent : « C’est naturel », c’est juste des gens qui ne veulent pas que ça change et qui trouvent un argument idiot pour dire que ça ne doit pas changer.

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Pierre-Henri Gouyon Biologiste.

Mais moi, le point sur lequel je voudrais insister maintenant, c’est de dire : « Voilà, toute différence génétique va donner des résultats très variables. Ça va de la longueur des cheveux aux salaires, en passant par la vitesse de la course à pied ou le poids. Mais tout ça, ça peut être changé en fonction de l’environnement. À nous de décider ce qui nous convient ou pas, et de changer notre environnement social en fonction de ce qu’on veut changer sur ce dimorphisme. » Et ça, je pense que c’est très important, voilà.

Nicolas Martin
Alors, une question à tous les trois : est-ce qu’on constate, par exemple, en paléoanthropologie ou en ethnologie des sociétés qui soient des sociétés un peu plus isolées sur une base matriarcale, ou polyandre, où on pourrait trouver des dimorphismes atténués, voire inversés, par exemple ? Yves Coppens.

Yves Coppens
Je n’en sais rien, mais tout existe, quoi. Les gens qui ont étudié certaines sociétés à travers le monde ont trouvé tous les cas de figure. Et je suis très heureux de… d’avoir entendu Pierre-Henri Gouyon parler de l’environnement sociétal. Et c’est ce que j’appelais de manière un peu grossière, « l’environnement culturel ». Mais évidemment que ça serait un rôle. L’environnementale, tout court, l’environnement naturel a un rôle essentiel dans toute l’histoire de l’évolution. Et l’environnement culturel s’y ajoute à partir de trois millions d’années ou quelque chose de ce genre. Donc c’est extrêmement intéressant. Et en effet, dans l’histoire de l’ethnologie mondiale, on doit trouver tous les cas de figure, sauf qu’il y a quand même des cas qui sont majoritaires par rapport à d’autres. Encore une fois, je ne suis pas compétent, alors ça m’est difficile de répondre. Et vous avez parlé de polyandrie ; en effet, ça existe. La polygamie semble être plus fréquente, mais je ne suis pas compétent, encore une fois. Que la polyandrie qu’est-ce que ça veut dire ? Je n’en sais rien. Et le patriarcat que le matriarcat, qu’est-ce que ça veut dire ? Je n’en sais rien. Mais c’est aussi une question de tradition. Et ça se modèle et se modère aussi, se transforme aussi en fonction de ce que l’on veut, puisque l’environnement fait la descendance, finalement. Et cet environnement, une grande partie, est à notre disposition. C’est nous qui modelons la société, puisque l’homme à toute liberté pour agir, désormais. Et il en a aussi la responsabilité, et j’y tiens. Donc je suis un peu empêtré dans mes réponses, parce que je ne suis pas compétent.

Et en ce qui concerne la préhistoire, bon, on regarde ça, mais on ne comprend pas grand-chose, quoi. Ce n’est pas simple. Peut-être que la génétique fera des progrès, la paléogénétique fera des progrès, et peut-être qu’on comprendra mieux qui a fait quoi et comment. Ça, on le sait un peu. Et pourquoi. J’ai une chose à vous dire, quand même, à cet égard : dans des grottes de Sumatra, les grottes d’Indonésie, il y avait des quantités de traces de main, d’empreintes de main à la fois positives et négatives. Et on s’est demandé, comme on se demande partout dans toutes les grottes peintes ou bien les affleurements peints ou gravés, qui a fait ces peintures ? Qui a fait ces gravures ? C’est intéressant à connaître. Moi, je ne trouve pas que ce soit essentiel, mais c’est intéressant. Et donc, il semble que les doigts des hommes et les doigts des femmes n’aient pas tout à fait les mêmes proportions. Autrement dit, sur une main, on peut voir, paraît-il, si c’est une main de femme ou une main d’homme. Et quand on a fait ça en Indonésie dans ces grottes de Sumatra, on s’est aperçus, et c’est un résultat et en même temps un manque de résultats qu’il y avait autant d’hommes que de femmes, quoi. Alors, qui a fait quoi ? Est-ce que ce sont les mains des femmes qu’on a appliquées et que les hommes ont dessinées ? Est-ce que ce serait l’inverse, ou est-ce que ce sont les deux ? On ne sait pas. Pas de dogmes, pas de conclusions. Sinon, il y a une option intéressante, c’est que là, n’y a pas du tout de sexe majoritaire dans cette histoire de peinture, et de gravures.

Pierre-Henri Gouyon
Alors, c’est assez controversé, mais l’idée, c’est que les hommes, en général, ont un annulaire plus long que l’index, et inversement pour les femmes. Alors, faites la statistique parmi vous pour voir si ça marche. Les… C’est tout à fait controverser, voilà.

Nicolas Martin
Édith Heard, alors on arrive au bout de cette table ronde. Est-ce qu’on peut dire un mot peut-être, aujourd’hui, sur une échelle plus courte que l’échelle de l’évolution, sur l’influence des facteurs épigénétiques, sur l’atténuation des caractères dimorphiques entre l’homme et la femme, ou est-ce que c’est compliqué ? Il y a une question qu’il ne faut surtout pas me poser, c’est « l’influence d’un facteur épigénétique sur l’épimorphisme. » Donc évidemment, pour conclure, je vous la pose.

Édith Heard
Les facteurs épigénétiques sur le dimorphisme sexuel. Tout ce que je peux vous dire, c’est encore venant de mes propres compétences, c’est, effectivement, le bagage génétique est différent entre homme et femme. Et l’environnement peut influencer jusqu’à un certain point, mais pas tellement sur ce bagage. On a deux X chez les femmes. Et donc, du coup, effectivement, l’extinction d’un des deux X, qui est associé avec des facteurs épigénétiques, ça, ça peut varier. Donc, une des caractéristiques des phénomènes épigénétiques, c’est une certaine variabilité, une certaine réversibilité, métastabilité. Et effectivement, comme je le disais tout à l’heure, il y a beaucoup plus de variabilités chez les femelles qui ont une X inactif et l’autre actif. Cet X inactif, il peut se défaire un petit peu, donc il y a des gènes qui peuvent s’exprimer en double dose chez les femmes, alors que dans d’autres femmes, elles sont exprimées en simple dose. Donc, ça, c’est clair que ça peut avoir un impact sur les différences, au moins moléculaires. Donc, on a beaucoup parlé de comportements, etc., mais si on regarde moléculairement qu’est-ce qui se passe dans les cellules d’une femme ou dans les cellules d’un homme, en général, les variations sont un peu plus importantes dans les cellules d’une femme. Donc, ça, ça peut être un avantage ou un désavantage, mais en tout cas, c’est un constat. Je ne sais pas si j’ai répondu à votre question ?

Nicolas Martin
Si, tout à fait. Alors, je vais la prendre par un autre angle. Que nous enseignent, aujourd’hui, des cas très particuliers comme des enfants qui naissent avec un double X et qui ont des appareils génitaux masculins ?

Édith Heard
Alors, ce n’est pas de l’épigénétique. Ça, c’est de la génétique. C’est des gènes. Donc, en fait, un individu qui a deux X ni Y, ça, c’est le syndrome de Klinefelter. Il y a quand même des symptômes qui sont liés au fait d’avoir deux X avec peut-être des gènes, effectivement, qui ont double dose, peuvent influencer la manière que ces individus développent. Et des individus qui ont deux X et pas de chromosomes Y peuvent avoir donc un gène SRY qui a été transloqué sur le chromosome X. Donc, pour moi, ce n’est pas de l’épigénétique, je suis désolée.

Nicolas Martin
Il y a ce cas, Pierre-Henri Gouyon, je vais vous donner la parole, il y a ce cas intéressant du… de la ville de Salinas, qui est un village isolé en République dominicaine, où un enfant sur 50 naît avec des organes génitaux féminins avant de développer un pénis à la puberté, vers 12 ans. Il a un patrimoine génétique XY. Est-ce que ça nous dit que tout n’est pas qu’une affaire de génétique, Pierre-Henri Gouyon, tout n’est pas lié à ce petit chromosome dégénéré Y à qui l’on prête tant de vertus ou de dégénérescence, d’ailleurs.

Pierre-Henri Gouyon
Non, mais il y a… il peut y avoir des variations d’expression des gènes, et puis il peut y avoir des variations génétiques qui font que les autres gènes ne s’expriment pas de la même façon. C’est ça... Si un village comme ça, probablement, il y a une spécificité génétique qui fait que le chromosome Y et le SRY ne s’exprime pas.

Édith Heard
Et il faut quand même dire que c’est des jeunes aussi sur des autres zones qui influencent le développement des… de l’appareil génital, de… Et donc, en fait, on peut avoir des mutations ailleurs dans les génomes que sur les chromosomes sexuels qui vont influencer la manière que les gonades vont se former dans des individus.

Pierre-Henri Gouyon
Et d’ailleurs, réciproquement, je vais vous dire que les individus qui sont X0, c’est-à-dire un individu qui a un seul chromosome X, eh bien, ressemblent à une femme. Ce qu’on voit, c’est une femme. Mais quand même, le fait d’avoir un seul X, ça fait que c’est des femmes qui sont stériles, le syndrome de Turner. Et on a dit, alors, c’est… ça aussi, c’est controversé, que selon que X qu’elle a vient de son père ou de sa mère, bien que ça soit le même chromosome, ça ne donne pas le même résultat. Parce qu’il y a là, des effets épigénétiques qui vont faire qu’un chromosome X qui vient du père ou un chromosome X qui vient de la mère, ça ne donne pas le même résultat sur plein de choses. On a dit que ça changeait le caractère, etc. Je pense que ce n’est pas assez avancé pour que je veuille développer ça.

Édith Heard
Il y a de la vérité, là. Parce qu’il y a des gènes, effectivement, qui sont soumis à l’empreinte, ne sont pas exprimés quand ça vient du X paternel.

Pierre-Henri Gouyon
Absolument. Donc, c’est là qu’on voit qu’il y a des effets épigénétiques indéniables sur les chromosomes mixtes. Ça le voit dans le cas des X0.

Nicolas Martin
Et ce sera le mot de la fin. Merci beaucoup Édith Heard, Yves Coppens, Pierre-Henri Gouyon. Merci beaucoup d’avoir participé à cette table ronde.


Publié le Vendredi 16 février 2018 dans https://www.radiofrance.fr/franceculture/

Hommes et femmes : égales devant l’évolution ? (radiofrance.fr)
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France Culture @franceculture · 16 févr. 2018
Pourquoi les femmes sont-elles plus petites que les hommes ? Réponse du biologiste Pierre-Henri Gouyon, qui était présent au forum France Culture "Sexe(s) et pouvoirs" à la Sorbonne pour l’émission @lamethodeFC #sciences
Pour écouter l’intégralité : https://franceculture.fr/emissions/la-methode-scientifique/hommes-et-femmes-egales-devant-levolution
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Julien Cabioch @vivelesSVT · 25 juin 2020
Pourquoi les femmes sont-elles plus petites que les hommes ? Un documentaire pour la dernière séance avec les 2nde #SVT http://cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2015/03/03032015Article635609630989269420.aspx
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Faculté des Lettres Sorbonne Université @LettresSorbonne · 5 mars 2021
#Projection 🎥 Pourquoi les femmes sont elles plus petites que les hommes ? La réalisatrice Véronique Kleiner donne la parole à de nombreux experts du dimorphisme sexuel de taille.
📅 Jeudi 11 mars, 17h-19h (en ligne)
✅ Inscription obligatoire
👉 https://lettres.sorbonne-universite.fr/evenements/pourquoi-les-femmes-sont-elles-plus-petites-que-les-hommes
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Christine Adamo - Auteure @cadamo3 · 21 juin 2021
En réponse à @AmptGoncalves Intéressante égale la polémique autour de la théorie Du « #patriarcat du #steak », controversée. Cf « Pourquoi les #femmes sont-elles plus petites que les #hommes ? »
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Pourquoi les femmes sont-elles plus petites que les hommes ?
ù la recherche révèle un pan méconnu de l’évolution qui, pour une fois, met les femmes en vedette.
https://boutique.arte.tv/detail/pourquoi_femmes_plus_petites_hommes
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Kâplan @KaplanBen_Fr · 14 sept. 2022
Je mets ici la critique du documentaire d’Arte "Pourquoi les femmes sont-elles plus petites que les hommes" par @nikitakarachoi, avec toute cette histoire du patriarcat et de la viande que colporte Rousseau et Cie... 🙄
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Si les femmes sont plus petites que les hommes, ce n’est pas à cause du steak - Peggy Sastre — 22 décembre 2017
Cette histoire de différence de taille à cause d’une privation de protéines a des fondements scientifiques plus que légers. Spoiler : elle déprime même les plus grands spécialistes du dimorphisme sexuel.
https://www.slate.fr/story/155300/patriarcat-steak-existe-pas
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La Science, CQFD @ScienceCQFD · 29 nov. 2022
[#Documentaire] 2014 > Pourquoi les femmes sont-elles plus petites que les hommes ? http://bit.ly/2BWPm3S via @ARTEfr #ScienceCQFD
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UNESCO Abidjan @UnescoAbidjan · 20 janvier 2023
« Agir pour le droit universel à l’éducation des filles et des femmes, c’est agir pour la dignité de toutes sur tous les continents. C’est permettre à chacune de choisir son destin. » - @AAzoulay , DG de @UNESCO_fr Le 24 janvier c’est la JournéeDeLEducation ! #LeadingSDG4
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Facebook - National Geographic 08 mars 2023
De nouvelles preuves de l’existence de femmes dans les rangs des guerriers vikings invitent les archéologues à reconsidérer leur interprétation de l’histoire du peuple scandinave.
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L’un des plus grands guerriers vikings était une femme
De nouvelles preuves de l’existence de femmes dans les rangs des guerriers vikings invitent les archéologues à reconsidérer leur interprétation de l’histoire du peuple scandinave. de Michael GRESHKO
https://www.nationalgeographic.fr/histoire/lun-des-plus-grands-guerriers-vikings-etait-une-femme?fbclid=IwAR38J9IicTJRtFj6szfxl12oJmmH2CvuN8AItVQHyJZCSwovFMOdZfKVIZU
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Facebook - National Geographic 12 mars 2023
Disparus il y a près de 40 000 ans, ces anciens hominidés étaient autrefois réduits au statut de brutes épaisses, mais les récentes découvertes suggèrent une plus grande proximité avec notre espèce.
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Qui étaient vraiment les Néandertaliens ?
Disparus il y a près de 40 000 ans, ces anciens hominidés étaient autrefois réduits au statut de brutes épaisses, mais les récentes découvertes suggèrent une plus grande proximité avec notre espèce.
https://www.nationalgeographic.fr/sciences/qui-etaient-vraiment-les-neandertaliens?cmp=soc-fb-o%3Alnk%3AEDITORIAL%3ANGLocalSites%3A%3Amovhp%3A%3A19000100%3A%3Angfr&fbclid=IwAR048h9ysYhmI338eu0V1bGYE2sxM-u86wetjYt1dPk9JdgmYy2KbdnvK-o
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france•tv arts @francetvarts · 12 mai 2023
Mais qui étaient les femmes de la Préhistoire ?
« Lady Sapiens, à la recherche des femmes de la Préhistoire » est disponible en replay sur @francetv ➡️ https://www.france.tv/documentaires/science-sante/2777765-lady-sapiens-a-la-recherche-des-femmes-de-la-prehistoire.html#xtor=CS3-1040-[francetvarts]-[ladysapiens]

Pour en savoir plus :

 « Hommes et femmes : égales devant l’évolution ? » à la Sorbonne à Paris le 16 février 2018.
 Surpopulation et environnement, le débat interdit le 9 avril 2018
 « Et oui, une Miss qui évolue dans l’industrie, c’est possible ! » le 01 septembre 2020.
 Huit milliards d’humains : la planète va-t-elle craquer ? le 15 novembre 2022
 Les femmes au coeur de la préhistoire le 05 mars 2023
 Cinétech n°48 : « Demain tous crétins » le mardi 28 mars 2023 à 18h à Nogent (52)
 Cinétech n°50 : « Pourquoi les femmes sont-elles plus petites que les hommes. » le mardi 10 octobre 2023 à 18h à Nogent (52)