Charles Juppin passe un mois en zone Russe en 1945

, par Charles Juppin

Charles Juppin a été fait prisonnier le 16 juin 1940 et interné à l’Oflag IV D, à Hoyersverda, en Silésie, puis à Colditz et Zeithain. Il a été libéré par des cavaliers cosaques à cheval le 23 avril 1945 et emmené en zone russe. Il n’a retrouvé Charleville que le 30 mai 1945.


L’Oflag IV-D est un camp d’officiers prisonniers de guerre essentiellement français, de 1940 à 1945 en Allemagne. Il était situé sur le territoire de la commune d’Elsterhorst (Nardt), à 4 km de la petite ville d’Hoyerswerda en Saxe, à la limite basse de la Silésie. On est là au coeur de l’Allemagne orientale entre Elbe et Oder, dans le quadrilatère Dresde (60 km au sud-ouest), Leipzig ( 130 km à l’ouest), Berlin (130 km au nord-ouest), Breslau (200 km à l’est).

C’est dans ces parages qu’ au lendemain du désastre de Russie, au printemps de 1813, Napoléon a un moment rétabli la situation par des victoires mineures mais brillantes, Lützen et Bautzen.

Le pays est terne, vert-de-gris comme l’uniforme de la Wehrmacht. Le camp est situé dans une vaste clairière. Autour, sur deux côtés, au sud et à l’ouest s’étale un bois dense de pins tristes, entrecoupés de quelques bouquets de bouleaux plus aimables. Au nord se devinent les premières maisons du village à travers un rideau d’arbres. A l’est, seul côté ouvert sur l’horizon, se déroule à perte de vue la grande plaine de l’Europe centrale qui court d’un trait à travers la Pologne et l’Ukraine jusqu’à l’Oural. Le sol est pauvre. A l’intérieur des barbelés toute végétation a disparu. L’herbe s’est usée en quelques semaines sous les pas innombrables, révélant un sable galeux.

De part et d’autre d’une longue allée axiale goudronnée, qui court sur six cents mètres d’ouest en est, s’alignent symétriquement dix Blöcke, cinq au nord, cinq au sud. Chacun forme un rectangle d’environ 250 mètres nord-sud et 100 mètres est-ouest. L’ensemble constitue donc un carré approximatif de 500 mètres sur 500 mètres soit 25 hectares.

Le camp est constitué de 10 blocs, de 4 baraques chacun.

Chaque Blöcke se compose de quatre baraques massives de 70 mètres de long et 15 mètres de large, disposées nord-sud, serrées les unes contre les autres, de teinte brou de noix foncé, lugubres. Sur les quarante quatre baraques, quelques unes sont vouées pour partie aux activités collectives : « chapelle », « université », « salle de travail », « théâtre », « intendance », etc. A l’ouest le camp se prolonge des bâtiments des gardiens. Le périmètre des prisonniers s’orne aux quatre angles de hautes tours de guet en bois, de style mérovingiens, les « miradors », dotés de projecteurs mobiles et mitrailleuses vigilantes.

L’effectif du camp varie entre 5 437 prisonniers (officiers et leurs ordonnances) en juin 1940, 4 054 en 1943 et 5 992 en janvier 1945.

La nourriture y est constamment "planmässig", inférieure au minimum biologique nécessaire à l’homme non grabataire. De 1300 ou 1200 calories jour à la belle époque du grand Reich triomphant, à 1000 voir 900 à compter de janvier 1945. Pas un seul pensionnaire des oflags n’eût survécu sans l’appoint régulier, de l’automne 1940 au printemps 1944, des colis "Familiaux", inégaux selon la provenance, les "Collectifs" ( les "Pétain", les "Américains",...).

Un tiers de la ville de de Dresde fut détruite du 14 au 15 février 1945 par la Royal Air Force, avec l’appui de l’aviation américaine. La ville a été incendiée au phosphore. En raison de ces bombardements de Dresde, les autorités allemandes firent évacuer le camp du 15 au 19 février 1945. L’Armée Rouge n’est plus qu’à 70 kilomètres du camp d’officiers prisonniers de guerre.

Ce sont les Blocks II, V et VII qui ouvrent le ban. Trois colonnes de 500 hommes environ quittent le camp.

La majorité d’entre eux furent amenés à l’oflag de Colditz, oflag IV-C . Certains y resteront jusqu’à la libération du camp par les troupes alliées le 14 et 15 avril 1945, d’autres seront redéplacés au camp de Zeithain au bord de l’Elbe au Nord de Riesa.

Le texte ci-dessus est constitués d’extraits du livre des pages 13 à 207.
Silésie, morne plaine. Cahier dans un grenier de Jacques De La Vaissière (Né en 1915, il a le même âge que Charles Juppin)

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Silésie, morne plaine. Cahier dans un grenier de Jacques De La Vaissière
Ecrit en août 1986. Edité par France-empire (1991) raconte une histoire très proche.
ISBN 10 : 2704806659 ISBN 13 : 9782704806652
Lecture proposée par Jean Deglaire à Christophe Juppin, leurs deux père ont été internés à l’Oflag IV D.

Après plus de cinquante mois sinistres de captivité à l’Oflag IV D, à Hoyersverda, l’animation, le mouvement revient.
Charles Juppin nous raconte cette période riche en imprévus.

Partis l’Oflag IV D, à Hoyersverda, en Silésie, le 15 février 1945, Charles Juppin arrive à Colditz en 4 ou 5 étapes à pied.

Les sentinelles marchaient à leur côtés sur le bord de la route, n’avaient pas le droit de s’asseoir pendant les haltes (10 minutes toutes les deux heures). Ils montaient la garde de nuit, et ne mangeaient guère mieux que les prisonniers de guerre. Aussi, cinquantenaires, elles étaient très fatiguées.

Une sentinelle, à une halte, s’assis contre un arbre malgré l’interdiction et s’assoupt. Réveillé en sursaut, il rejoignit sa place en urgence.

Après 3 kilomètres, un officier prisonnier de guerre luit fait remarquer qu’il avait oublié son fusil.
"C’est grave, tu es bon pour la prison, ou tu seras peut-être fusillé, c’est dommage car tu es sympathique, mais on n’y peut rien."
Quand il fut bien affolé, on lui remis son fusil qu’un autre prisonnier avait emporté. Mais il ne pouvait plus guère leur refuser quoi que ce soit.

En arrivant au Schloss (château) de Colditz, ils marquérent une halte. Charles Juppin avait alors un fort eczema, avait laissé pousser sa barbe et se soignait au violet de gentiane.
Le voyant, deux filles de vingt ans éclatèrent de rire. Il leur dit :
"Der lachte der beste, der, lacht der letze", c’est à dire "Rira bien qui rira le dernier". Elles se confondirent en excuses sous l’oeil méprisant de la sentinelle.

Le soir, ils examinent leurs pieds : « De quoi sont les pieds ? » - « Les pieds sont l’objet de soins constants » , dit le catéchisme réglementaire.(Silésie, morne plaine : p.216)

Colditz est un vieux château construit tout en hauteur au carré autour d’une cour pavée exigue avec de profondes douves naturelles.

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Les indomptables, écrit par le général le Brigant. Le livre a été publié en 1948 pour la première fois et donne une bonne impression de la vie à Colditz

A lire "Les indomptables" du Général Le Briant, ex-Colonel Cdt en second de la 3e Division Cuirassée.


En 1945, on trouve à Colditz
 des Anglais, ex-évadés ou prisonniers récents (après le débarquement en Normandie), quelques Free French (Français libres) qui sont assimilés aux Anglais et sont en chambre et popote avec eux.
 des Polonais, en particulier le Général Bor-Komoroski, et les officiers de la défense de Varsovie.
 Quelques Français dont le Général Feydenberg, ex Cdt du Corps d’Armée colonial et le Général Buisson, ex Cdt la 3e Division Cuirassée

Leur groupe venant d’Hoyersverda avait un certain nombre de postes de T.S.F. Un seul échappa à la fouille.
Le préposé à l’écoute alla voir le Colonel Anglais. Celui-ci affirma qu’ils n’avaient de nouvelles que par les journaux allemands et français. Le français mit le poste en service, fit une écoute, et porta au Colonel anglais le communiqué.

"I’s the same" - "C’est le même" dit l’anglais.
Interdiction fut donnée d’utiliser notre poste - à camoufler en réserve. Et chaque jour, les Anglais nous donnèrent le communiqué de la B.B.C.

Trois Free French leur contèrent les conditions de leur capture.

 Le premier avait été déposé avec un commando par un sous-marin au pied d’une falaise corse. Ils devaient faire sauter les pièces d’artillerie se trouvant en haut de la falaise. Ils purent faire sauter la principale mais, alerte donnée, ne purent approcher les autres. Alors, ils se précipitèrent dans le dortoir des soldats allemands et "les servirent au couteau".

 Le second commandait un bombardier descendu au dessus du Rhin. Ses camarades et lui tentèrent de jeter en parachute un des leurs, blessé et coincé. Sans succés. Alors, ils se jetèrent en parachute. Il sauta le dernier et fut sauvé par la briéveté de la chute. Les autres furent tués pendant la descente. Il estimait normal la réaction allemande, car, disait-il, ils restaient très dangereux au sol vu l’importance des moyens destructeurs avec lesquels ils sautaient en parachute.

 Le troisième avait débarqué en Normandie et était chargé de la liaison entre les maires français et Anglais. Pour être bien identifié, il portait un képi. Puis il reçut l’ordre de foncer sur Paris que Leclerc allait libérer. Il arriva trop tôt et fut arrêté par les Allemands. Grâce à de faux papiers et à son képi, il allait être libéré comme membre de l’Armée d’armistice quand les Allemands découvrirent que son chauffeur portait un poignard allemand. Ils les fouillèrent et découvrirent leurs identitées. L’officier fut transféré à Matz qu’il traversa les menottes aux mains et interrogé par un Général. Le Général le félicita et le fit classer "prisonnier de guerre". Il était sauvé de la Gestapo.

A Colditz, le groupe eut vraiment faim : un seul repas par jour avant de se coucher.

Le contraste est saisissant entre le régime des Anglais, dodus, roses et sereins (ils ne manquent de rien, venant de recevoir 1000 colis pour 300 prisonniers de guerre ) et celui des Français et Polonais. (Silésie, morne plaine : page 267)

Les Anglais leur donnèrent leurs épluchures de rutabaga à rééplucher. Ils durent, sur ordre de la Croix-Rouge, leur laisser un arrivage de colis suédois (de beaux jambons) à charge de remboursement à l’arrivée des prochains colis américains. Les colis américains arrivèrent. Il s’ensuivit une sévère discussion à base de savants calculs de calories. Les Anglais exigeaient les cigarettes. Le Général Feydenberg se mit en colère : "Prenez ce que vous voulez ! Nous nous contenterons du reste. Vous êtes et vous resterez une race de mercantiles !". Les Français eurent les cigarettes.

Quelques Free French invitèrent à dîner des prisonniers de 40, amis retrouvés. Si la popote était de quatre Anglais et un Free French, le popotier anglais faisait cinq parts et le Free French partageait sa part avec l’invité.

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Colditz est un vieux château construit tout en hauteur au carré autour d’une cour pavée exigue avec de profondes douves naturelles.

Vu l’exiguité de la cour intérieure, les appels anglais, français et polonais étaient successifs et les non appelès étaient interdits de sortir et de communiquer.
Un jour, à l’appel français du soir, toutes les fenêtres anglaises s’ouvrirent et nous reçument une quantité de petits drapeaux et de guirlandes. Les sentinelles allemandes tirérent quelques coups de feux. Un anglais resté debout derrière une fenêtre fut touché. Les Allemands se précipitèrent pour l’identifier...et le soigner...ils ne le trouvèrent pas...car c’était un mannequin !

Vers le 1er avril 1945, un groupe important de plus de mille officiers français fut transféré en camion de Colditz à Zeithain.

Zeithain est un camp allemand situé sur la rive est de l’Elbe à environ 50 kilomètres au Nord-Ouest de Dresde, à 10 kilomètres de Torgau (prononcez Torgao) où Américains et Russes firent leur jonction le 25 avril.

En avril 1945, s’y trouvaient de très nombreux prisonniers Russes et environ 2 000 officiers Français prisonniers depuis 1940.

Ce camp était particulièrement infâme : baraques sales, paillasses plates pleines de puces et punaises, plafond en carton sur lequel courraient les rats. De temps en temps, il en tombait un dans un trou : ploum sur le lit !

Le Block de Zeithain se compose de quatre lourdes baraques plus larges et plus basses encore qu’au IV D. Leur seule qualité est d’être en briques. Elles sont réparties sur une sorte de terrain vague mal nivelé où pousse une herbe folle parsemée de plaques de sable galeux. Dans un coin, le poste d’eau unique se signale par une pompe à levier du XIXe siècle.

Le presse française de l’été 45 : « On a découvert près de Zeithain de gigantesques fosses communes, dissimulées sous des champignonnières, contenant les cadavres de 200 000 prisonniers russes morts de faim, de misère et d’épidémie (typhus), dont beaucoup enterrés vivants comme le prouve la présence de terre dans les poumons de nombre de ces malheureux. »
L’eau du puits est polluée et même corrompue. Les quelques toubibs égarés dans cette géhenne confirment qu’il est impératif de faire bouillir l’eau au moins quinze minutes...et encore !
(Silésie, morne plaine : page 284)

Le paysage est à l’unisson : les miradors bas sur pattes n’ont pas la relative élégance mérovingienne haut perchée d’Elsterhorst. Et les bois de pins sont encore plus serrés, plus noirs, plus menaçants. (Silésie, morne plaine : page 285)

Petit réconfort. Ils y a ici maints camarades du IV D dispersés en février. Ils viennent de tous les points d’éclatement : Colditz, Bendorf, Altenburg, Burgstadt...D’heure en heure on redécouvre des tas de types très bien, quelques vedettes même. D’être si nombreux - et de si bonne qualité - dans la débine noire rassure inexplicablement, sans doute parce que la pire détresse c’est le malheur solitaire. (Silésie, morne plaine : page 286)

Le camp est à 10 kilomètres au Nord de Riesa, à 2 kilomètres à l’Est de l’Elbe, près du village de Jacobsthal. Zeithain est le typonyme général qui désigne l’ensemble des camps du secteur confiés à la Wehrmacht avant-guerre. (Silésie, morne plaine : page 287)

Ivan Koniev (armée d’Ukraine) entre à son tour dans la danse au sud, sur la Neisse, en direction de Dresde, pour épauler Gueorgui Joukov (armée de Biélorussie) qui s’évertue côté Berlin. (Silésie, morne plaine : page 297)

Le camp comptait quatre Blöcke. Celui de l’est, peuplé de Hongrois qui ont déplu au Reich à des titres divers....le Français...Un troisième à l’ouest : le russe très dégarni par la famine et la maladie, déversé il y a quelques jours dans un quatrième extrême occidental, invisible. (Silésie, morne plaine : page 299)

Une information circule (...) . Il parait que les Allemands n’organisent aucune défense sur le rive droite, face aux Américains, ce qui signifie clairement qu’ils n’ont pas l’intention de leur résister. Par contre, ils s’établissent solidement de l’autre côté pour barrer la route aux Russes S’ils surgissent. (Silésie, morne plaine : page 300)

L’ultime poussette d’Eisenhower vers l’Elbe, la formidable offensive frontale russe donnent à nouveau le sentiment qu’il y a compétition entre les armées de l’Est et de l’Ouest, chacune voulant arriver la première, mais que la ligne de rendez-vous c’est bien le fleuve, au bord duquel la Wehrmacht, et un peu le hasard, ont amenés les prisonniers de guerre. Ils vont se trouver au balcon de l’Histoire. La finale va se jouer sous leurs yeux. (Silésie, morne plaine : page 301)

Tandis que les Américains se rapprochent par l’Ouest et les Russes par l’Est, les Allemands évacuent le camp de Zeithain dans la nuit du 21 au 22 avril.

Une voix surexcitée explose soudain à l’aube : « Les Boches ont filé ! ». C’est vrai : les miradors sont vides. Aux barbelés : pas le moindre "Posten" en vue ! On se frotte les yeux : les "Verts" ont décampé dans la nuit, sans crier gare, laissant les officiers prisonniers de guerre à l’adversaire...qui n’est pas arrivé ! Le voilà l’instant inouï, indicible. Et il survient à l’improviste...

Tout de suite l’envie irrésistible prend à chacun d’aller faire un petit tour à l’extérieur pour célébrer la liberté retrouvée. La hiérarchie brusquement résurgente s’y oppose formellement. Le colonel-doyen (« Baudrier » pour les foutriquets impertinents ), plus que jamais bardé de cuirs impeccables, est dans une forme éblouissante. Le pouvoir exalte, c’est connu. Il est partout, interroge, décide, tonitrue. Il vient en deux coups de cuillère à pot de se constituer une « police » d’officiers supérieurs laconiques et péremptoires. Il rassemble les commandants de baraque et les capitaines de chambrée afin d’exorciser la pagaille qui pointe : « Interdiction absolue de sortir du camp. » Il faut admettre que c’est sagesse. La situation est formidablement équivoque. Les "Verts" ont levé le pied mais les Russes ne sont pas là. (Silésie, morne plaine : page 303)

Le 22 avril matin, c’est dimanche, plus d’Allemands, le drapeau français fut hissé, les miradors furent occupés par des officiers français occupant les miradors avec des Mauser (avec munitions ?). Discipline stricte : interdiction de sortir du camp.

Du camp russe, face à celui des Français, sortirent deux officiers russes aux tenues impeccables (sic !) qui se dirigèrent vers le camp français. Le colonel français le plus ancien - ancien du 91e - fut désigné comme Commandant International.

Il paraît qu’un Général italien des Bersaglieri avec "la ploume au capello" fut récusé.

Journée calme...

Le soir arrivait, une compagnie Allemande en armes qui avait perdu ses chars au combat, du côté d’Hoyersverda, se présente discrètement. Elle demande l’autorisation au Colonel français de passer la nuit. Comment refuser ? Ils dormirent (avec toujours les officiers français en mirador) et partirent à 5h du matin vers l’Elbe se faire faire prisonniers par les Américains !

Les cosaques russes qui précèdent les avant-gardes de l’armée régulière de quelque 30 à 50 kilomètres atteindront Zeithain le 23 avril 1945 vers 7 heures du matin.

« Les cosaques ! »
Tumulte. Les voilà les vainqueurs de la Volga, du Don, du Dniepr, de la Vistule, de l’Oder...et dans quelques minutes de l’Elbe. Quelle allure ! Quel panache ! C’est du grand cinéma, du vrai ! En rang serré, par trois ou quatre, ils passent au trot enlevé. Les chevaux sont petit, rustiques, poilus, ardents...les hommes vêtus d’un blouson kaki épais, ouatiné à piqûres, très court, qui dégage le haut de la culotte collante, serrée en bas dans de courtes bottes légères qui font pense à celles des jockeys ? Etonnamment ils ne portent pas de casques mais de chapskas de fourrure (quelques-uns de simples calots fortement inclinés sur l’oreille). L’arme individuelle, le mousqueton ou la mitraillette, ils la portent en sautoir, ballottante à l’horizontale contre la poitrine, la courroie passée derrière le cou. Ce sont bien des cosaques, à preuve, disent les connaisseurs, ces quelques grands diables qui les entraînent : les « hetmans » .
La cavalerie a recruté dans les steppes d’Asie centrale. Il y a beaucoup de hautes pommettes saillantes et d’yeux bridés dans le défilé.
Les images défilent, inoubliables. C’est prodigieux, fascinant. ça dure. Plusieurs escadrons passent.

Voici maintenant l’intendance qui colle hardiment à l’échelon de combat. Elle est napoléonienne : pas de camions mais de longs chariots découverts à quatre roues et hautes ridelles, emportés au trot rapide de deux ou trois chevaux attelés de front. Dessus s’empilent en désordre des caisses de munition et des cubes de foin pressé. Au sommet de l’amoncellement incertain, des Popofs roupillent benoîtement ou rigolent en nous regardant. (Silésie, morne plaine : page 310)

C’était la libération le matin de la Saint Georges par les cosaques russes à cheval !

Leur chef se présentait au Colonel français....

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Les cosaques russes qui précèdent les avant-gardes de l’armée régulière de quelque 50 kilomètres atteindront Zeithain le 23 avril 1945 vers 7 heures du matin. Reconstitution d’un cosaque du Don

A cheval, dotés d’un armement léger sur véhicules hippomobiles à deux roues, ils procèdent par incursions, vivant sur le pays, ravitaillés seulement en pain noir et vodka. Chaque petit cheval tirait une charette à deux roues de foin ou portait une mitrailleuse lourde, une orgue de Staline...

Il est toujours interdit de sortir, sauf patrouille ouganisée comportant un "spécialiste" (alimentation - automobiles, etc...) avec interprète de russe, interprète d’allemand et ordre de mission.

Un camarade, hôtelier à Bordeaux, perdit ses interprètes et fut reçu par un commandant de cosaques. Celui-ci lui offrit lard et vodka. Il manifesta sa satisfaction par gestes. On lui apporta un kilo de lard et un litre de vodka. Il comprit que "le sens de l’hospitalité" exigeait qu’il mange et boive tout (sauf ce qu’il put jeter sous la table). Tandis que le commandant russe dansait autour de la table en tirant à la mitraillette alternativement au sol et au plafond...
Quand il rentrât, il n’y eut qu’à le coucher.

Un lieutenant de cavalerie me raconta être sorti clandestinement. Il fut reçu par une "Capitaine de cosaques" qui lui exprima en bon allemand son plaisir de voir un officier français, sa surprise qu’il soit parvenu jusqu’à elle sans se faire descendre par une sentinelle et lui offrit une crotte de chocolat dans une belle boite. Style Saint-Germain en somme !

Un dernier souvenir de Zeithain. Les officiers prisonniers de guerre n’ont quasi rien à manger et rien à boire sauf la "pipiflorine" du matin et un peu d’eau bouilli. Pour faire la moindre cuisine sur un réchaud de fortune en boites de conserve, il fallait ramasser des petits morceaux de bois (1 à 3 cm dans le camp et faire des boulettes de papier de 4 mm de diamètre).

Ils ont la chance d’une distribution de colis américains par la Croix-Rouge. Ils auraient bien partagé avec les Russes affamés, mais ils étaient trop nombreux..., et les anciens prisonniers français avaient faim. Ils leur donnèrent le thé et des cigarettes.

Et le soir, un choeur vint face à eux chanter pour les remercier. Des choeurs folkloriques avec des solos sur le même thème et improvisés. C’était superbe et émouvant.

Charles Juppin eut droit à deux patrouilles pour réunir le matériel d’une "unité de transport". Ils trouvèrent des camions mais ni essence, ni fuel. Les russes faisaient la razzia des chevaux et le soir, j’avais quelques véhicules hippomobiles et un cheval.

Vers 19h, avis de contre-attaque allemande.

Le colonel-doyen « Baudrier » se fend d’un énième mandement (par dérision on dit encore Oflagbefehl). Il tombe comme un coup de hache au milieu du festin des officiers prisonniers tout juste libérés : « Les Allemands contre-attaquent de l’ouest, du nord, du sud. En conséquence, l’Armée Rouge ordonne l’évacuation immédiate du camp. Direction est. Rassemblement en colonne pour le départ dans un quart d’heure ». La fête s’éteint sous la douche glacée. On s’empiffre en toute hâte. Impossible, malgré le contretemps, d’abandonner la moindre molécule alimentaire sous prétexte de soubresaut boche. C’est le moment ou jamais, plus que jamais, de prendre des forces. Que leur réservent les heures inattendues qui viennent ?.

La nuit tombe. un grand bruit sur la route, des attelages hippomobiles pénètrent en trombe dans le camp, tirant d’étranges engins faits de faisceaux en tubes ouverts aux deux bouts, assemblés de façon qui semble sommaire. Les servants les mettent en batterie en vitesse entre les baraques, approvisionnement, règlent les hausses en un clin d’oeil et tirent ; ça part avec des sifflements stridents. C’est spectaculaires en diable, un feu d’artifice prodigieux. Les voilà ces fameuses katiouchas, diminutif tendre Catherinette en russe, les « orgues de Staline », dont parlaient les communiqués et dont nos artilleurs disaient d’un air un peu dégoûté qu’elles étaient impressionnantes mais imprécises....
L’ennui c’est que les Boches de la rive gauche ne vont pas être longs à situer les départs. Le camp va avoir droit, dans les deux ou trois minutes, aux coups courts et aux coups longs de l’encadrement rituel de l’artillerie classique. Panique.
(Silésie, morne plaine : page 318)

Les russes mettent les orgues de Staline en batterie, tirent dix minutes et se sauvent en laissant un seul mot d’ordre : "Nach Odessa !".

Charles Juppin forme un détachement de ving personnes avec dix jeunes tringlots volontaires et une dizaine d’officiers âgés, heureux et mettre leurs valises et colis dans la voiture. Ils attellent leur cheval, sous un tir de 77 . Ils sont en queue de colonne "Nach Odessa !".

Les prisonniers français quitteront Zeithain le 24 vers 20 heures, prenant la route à pieds, en colonne, en direction d’Odessa...

C’est la vie de ce groupe que nous raconte Charles Juppin, dans une région récemment libérée par les Russes et totalement désorganisée.

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Un mois en zone Russe en 1945
1.- 15 avril 41 au 19 février 45 interné à Oflag IV D, à Hoyersverda
2.- 25 février 45 au 01 avril 45 interné à Colditz
3.- 01 avril 45 au 23 avril 45 interné à Zeithain et arrivé des cosaques russes
4.- 12 mai 45 au 22 mai 45 250 kilomètres pour arriver à Bunzlau
5.- 24 mai 45 au 26 mai 45 train pris à Torgau
6.- 26 mai 45 au 27 mai 45 échange "nombre pour nombre" à Polenz
7.- 30 mai 45 retour en France par Wissembourg.
(Carte réalisée en décembre 1974 a partir d’une carte Michelin par Christophe Juppin sur les indications de son père Charles Juppin)

Les rapports furent constants tant avec la population Allemande, peu nombreuse et terrorisée, qu’avec l’Armée Rouge et ses officiers.

Les voilà partis...A la sortie de Zeithain, on arrête leur carriole hippomobile pour y charger trois blessés graves : un russe avec problème de colonne vertébrale, un russe avec une jambe cassée et un déporté politique français avec une balle explosive dans l’épaule (balle américaine).

Vers 11h du soir, ils parviennent au bord de l’Elbe noire. Le pont est détruit.

Le groupe couchera dans une maison abandonnée. Ils y trouvent des conserves de légumes, rutabaga compris ! mais aussi deux sacs de sucre cristallisé. Ils mangeront le sucre au quart ! Puis sommeil mérité.

Le matin, vers 9h1/2, ils examinent le pont sauté. Il manque une travée, mais la ligne ferrée et ses traverses existent toujours. Avec du temps et des précautions, ils passent les blessés, les valises...et le cheval ! Inespéré ! De l’autre coté, beaucoup de voitures hippomobiles abandonnés. Ils en choisissons une belle avec roues équipées de pneumatiques....

En raison des difficultés de franchissement, le groupe a été retardé, isolé.

En route....

A quelques kilomètres, ils croisent les groupes avancés de l’infanterie Russe.

A midi, le groupe déjeune bien dans un restaurant coquet servi par une Allemande aimable et sympathique. A la fin du repas, incidents graves avec les Russes armés que notre hôte intéresse.
Que faire !

Un canal infranchissable, sauf à la nage, leur impose un long détour.

Vers 17h30, ils décident un arrêt dans une ferme.
Intervention de Russes : "Les Allemands arrivent !".
Ils sont fatigués ! Quelques chars russes passent.

Au bout d’une demi heure, les Russes leur disent : "C’est fini ! Vous pouvez rester !"

Charles Juppin demande à voir le Her Bauer : un vieux monsieur. Il le reçoit aimablement, explique que les Russes sont des sauvages, voleurs et violeurs, que les femmes se coupent les veines...(plus tard, on parlera de 300 000 !)

Le groupe dine, correctement servis par les Allemandes. Elles sont mal bâties : épaules étroites, large bassin, mais solides.
Parmi elles, une aimable fille de 20 ans.

Les blessés couchent dans la paille et le reste du groupe sur des matelas.

Au matin, ils s’aperçoivent que leurs matelas ont été ouverts au poignard par les Russes pour voler ce qui y était caché. Il n’y a que des papiers, ou il ne reste que cela.

Un camarade interpelle Charles Juppin : "Tu connais Neufmanil, Ardennes ?" Il lui tend une carte postale : une baigneuse en costume 1900. La carte a été envoyé en 1913 ou 14 d’Angleterre à une jeune fille de Neufmanil. Charles est furieux. Il demande a voir l’Her Bauer.

La jeune fille s’y oppose : son père est malade et il est couché.
"Je veux le voir !"
Elle lui ouvre la chambre. Charles explique au vieux monsieur qu’on n’a pas le droit de critiquer les Russes quand on a pillé comme eux en Ardennes en 1914-18.

Il assure : "Je n’ai jamais vu cette carte !"
Charles lui assure qu’elle sera remise au bourgmestre de Neufmanil et s’il n’est pas content, aux Russes. Il est effrayé. Charles sort en claquant la porte.

La jeune fille intervient : "Ce n’est pas Papa, c’est mon fiancé en 40.
 C’est toujours du pillage. Qu’est-il devenu ?
 Mort à Koenigsberg.
"
Charles est ému et brûle la carte dans la cheminée. Elle le remerciera avec effusion.

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Américains et Russes effectuent leur jonction dans la journée du 22 avril 1945 à Muhlberg à 25 kilomètres au Nord-Ouest de Zeithain.

Tout peut arriver à tout instant à propos de n’importe quoi...Et, pour corser le tout, il y a les bobards insistants sur les tensions russo-américaines. La guerre est pratiquement finie, gagnée. La jonction est faite, les Alliés de l’Ouest ne sont, à vol d’oiseau, qu’à quelques 60 kilomètres. Il serait facile de reconduire les prisonniers de Guerre à la maison par le plus court chemin. Or, les Popofs des carrefours ont clairement la consigne inverse : leurs gestes impérieux, agacés, un peu méprisants, signifient « Qu’est-ce que vous foutez ici ? Dégagez...A l’Est... Vonn ! Vonn ! ». Les prisonniers de guerre sont indésirables, les inquiets disent « des otages ». Il va falloir reprendre la route, et dans le mauvais sens. (Silésie, morne plaine : page 356)

Américains et Russes effectuent leur jonction dans la journée du 25 avril 1945 à Torgau à 25 kilomètres au Nord-Ouest de Zeithain.

Le premier contact entre forces russes et américaines s’était établi le 25 avril 1945 près de Strehla, après qu’un soldat américain d’origine russe, le premier lieutenant Albert Kotzebue (26 ans), eut traversé l’Elbe en bateau avec trois compatriotes. Sur la rive orientale du fleuve, ils avaient été chaleureusement accueillis par des vétérans russes de la bataille de Stalingrad, sous le commandement du lieutenant colonel Alexander Gardiev. « On parlait des langues différentes, mais nos sentiments étaient les mêmes », se souvient un participant. En cette occasion, lui et ses collègues avaient formulé leur «  serment de l’Elbe », s’engageant à empêcher qu’un conflit aussi horrible se reproduise.

Ayant aussitôt informé ses supérieurs, Kotzebue leur demanda d’organiser une rencontre plus formelle. Trois heures plus tard, une autre délégation, sous la direction de second lieutenant américain William Robertson, rencontre alors le lieutenant russe Alexander Silvashko sur le pont endommagé sur l’Elbe, à Torgau. Le lendemain, 26 avril, une cérémonie plus officielle est organisée.

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Le 27 avril 1945, les photographes immortaliseront la poignée de main historique entre le second lieutenant américain William Robertson et le lieutenant russe Alexander Silvashko.

Après trois ou quatre jours, le groupe déposent leurs blessés dans un hôpital de la Croix-Rouge Allemande, dans un très grand parc, où étaient déjà soignés de nombreux déportés politiques français.
Au cours du voyage, les Russes ne se sont jamais plaints, ayant nourriture et tabac. Le Français "ralait" en permanence et était insupportable.

A l’hôpital, il y a plusieurs déportés politiques français. Ils les saluent et notent noms et adresses. L’un d’eux meurt sous leurs yeux, assisté de l’un du groupe qui est prêtre.

Le déporté français se voit enlevé son plâtre. La large plaie est couverte d’asticots. L’odeur est épouvantable. Le médecin leur annonce : "Il est sauvé. Il n’y aura pas de gangrêne grâce aux asticots !"

Alors que le groupe va repartir, le médecin-chef Allemand aborde Charles Juppin dans un français impeccable :
" Quand le France et l’Amérique déclarent-ils la guerre aux Russes ?
 Il n’en est pas question. Les Russes sont nos alliés
 Mon père était médecin Allemand, mais je suis né à Strasbourg avant 1914. Ce n’est sans doute pas loin de chez vous. Vous nous manifestez une totale confiance en nous confiant vos blessés, sachant qu’ils seront bien soignés. Vous avez vu nos belles et dévouées infirmières. Demain, les Russes seront là. Elles passeront à la casserole et je ne pourrai rien faire. Et c’est eux que vous appelez vos alliés !
"
Je suis géné. Que répondre ?
Il espère l’intervention des Américains contre les Russes et la "libération" de la Silésie....
La liste des déportés français sera volée avec une valise le 9 mai. Nous ne pourrons donner, ni n’aurons aucune nouvelle d’eux.

Le périple se poursuit...Il durera près de trois semaines.

Selon la rumeur, les Russes auraient sommé les Américains de se retirer à 10 kilomètres à l’Ouest se l’Elbe, qu’ils n’auraient jamais dû atteindre au terme des accords de Yalta. Et Eisenhower s’y refuserait au nom du droit de conquête. D’où la tension grandissante et sans doute l’évacuation du butin (dont les prisonniers de guerre libérés font partie) de l’Armée Rouge vers l’Est profond. (Silésie, morne plaine : page 380)

Tout de même, il y a de bonnes surprises. L’Armée Rouge offre un concert impromptu. Ils chantent bien les Russes, solitaires ou groupés. Les prisonniers Français les écoutent avec plaisir, émotion parfois, car leurs voix sont justes et chaudes, leur folklore riche et varié. Ils ont la musique dans le sang. Chanter ne procède pas d’un mouvement intellectuel et volontaire intermittent, mais d’une pulsion instinctive et constante. Tout est prétexte à en pousser une : le bon et le mauvais, le joyeux et le triste, la routine et l’imprévu. Un rien fait déclic. Alors ils se lancent à tout va dans des improvisations presque toujours heureuse. Apparemment, dans les steppes, la basse, le baryton, le ténor pullulent. Ce qui fait que sur ces tristes routes silésiennes, l’opéra, le cabaret, le patronage-komsomol donnent de la voix à toute heure. (Silésie, morne plaine : page 383)

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Charles Juppin a été fait prisonnier le 16 juin 1940 et interné à l’Oflag IV D, à Hoyersverda, en Silésie. Janvier 1942 (photo)- Janvier 1945 (dessin). (Archives de Charles Juppin)

Un matin, Charles Juppin est interpellé par un officier Russe en Allemand :
"Venez avec moi !". Sa veste de cuir lui donne de l’autorité. Dans une cour de ferme, un soldat français est contre un mur, entouré de soldats Russes, mitraillettes levées.
" C’est un terroriste ! Nous l’avons pris cette nuit avec un groupe d’Allemands qui tiraient sur nous". Charles l’interroge.
"J’étais avec la patronne de la ferme où je travaille depuis quatre ans !"
Charles décous ses insignes, les examinent, puis atteste :
" Ce n’est pas un terroriste. C’est un prisonnier français perdu. Donnez -le moi !
 Oui, mais vous le surveillez de près.
 Oui, et nous avons un Mauser. Au moindre doute, on le descend.
 Très bien !
"
Ils partent et l’officier Russe les rattrapent :
"Et surtout n’hésitez pas à le descendre !
 Soyez tranquille.
"
Mais le soldat français dit à Charles :
"Il faut que j’aille à la ferme prendre les lettres de ma femme et un jouet que j’ai fait pour mon fils.
 Laisse tomber et suis-moi !
"
Ce brave breton, pas trop éveillé, ne saura jamais à quoi il a échappé...de près !

Leur groupe va être rejoint par un sous-officier accompagné de Nina. Le sous-officier est un ex. chef de ferme, en bonne forme physique, ayant initiatives et efficacité. Nina est Ukrainienne, de Nikolaiev, environ vingt ans. Envoyée par les Russes dans un camp de formation, elle a été déportée du travail, et mise à la ferme par les Allemands.

Nina sera beaucoup avec Charles Juppin. Il est encore jeune, mais son grade de capitaine et ses responsabilités de chef de détachement sont, croit-elle, une garantie de correction...et elle a raison !

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Nina est Ukrainienne, de Nikolaiev, environ vingt ans. Photo prise le 23 mai 45 à Bunzlau. (Archives de Charles Juppin)

Nina parle couramment l’Allemand et le Russe, elle traduira divers textes en Russe. C’est ainsi qu’il pourra s’expliquer et faire réparer un pneu et referrer leur cheval par l’Armée Rouge. Nina assurera avec savoir moult corvées d’épluchage, de cuisine, de lavage...Elle saura aussi "présider" leur table, habillée avec une certaine élégance et portait une barrette avec une pièce d’or aux armes du tsar.

Le groupe arrive en "zone organisée".

Brusquement, passage du rien au tout : Kommandanturs Russes, équipement routier Allemand remplacé par un équipement Russe (lettres cyrilliques), police Allemande en civil avec brassard rouges, immenses panneaux avec Staline, ou un Général Cdt l’Armée ou le Général Koutrepof libérateur de la patrie devant Napoléon. Deux Russes montent la garde.

Au début de la zone Russe, le groupe croise une colonne de prisonniers Allemands. Elle courrait à l’allure du petit trop des cavaliers d’encadrement. Aux retardataires, une rafale de mitraillette : un mort par 500 m environ ! Et le lendemain, une colonne de prisonniers, les mêmes, s’étire sur des kilomètres, marchant à deux kilomètres à l’heure, sans sentinelles, suivie d’une cariole de ramassage des trop épuisés.

Un après-midi, un officier Russe aborde Charles Juppin et lui dit en Français :
"Je suis très heureux de saluer un officier Français
 Merci, mais vous parlez bien le français.
 J’ai beaucoup oublié. Je suis officier de l’Armée Rouge. Mon père était officier du tsar. J’ai vécu à Paris avec ma grand-mère jusqu’à l’âge de 16 ans.
 Maintenant, vous allez pouvoir revenir à Paris.
 Non, Monsieur, on ne sort pas de la Grande Russie.
 Vous avez beaucoup souffert pendant cette guerre ?
"
Il a perdu plusieurs membres de sa famille.
"La Russie a eu trente millions de morts. Pour vous, la guerre est finie. Mais nous, nous avons encore à nous battre contre les Japonais.
 Je suis officier d’active et serai peut-être dans trois mois en Indochine pour me battre contre les Japonais.
 Oui, Monsieur, mais ce n’est pas la même chose. Vous vous battez avec les Américains et vous avez le matériel. Mais le pauvre fantassin, c’est toujours le Russe
".
Sa physionomie change : il en a trop dit.
"Au revoir, Monsieur. Bon voyage, nach Odessa !" Il s’éloigne...

Ils sont Russes et nationalistes et font plus de cas de la Grande Russie que du communisme international.
Mais ils sont spontanément d’un matérialisme total qui choque par ce qu’il comporte d’indifférence pour les vies humaines. Ils aiment la France et admirent Charles de Gaulle.

En début de zone Russe, le groupe croise quelques 200 soldats hongrois rejoignant la Hongrie en bicyclette sans pneux : la seule façon de ne pas se les faire voler ! Mais quel bruit !

Un jour, le groupe traverse un gros bourg. Il y a eu une révolte de "partisans" la nuit précédente. Le village est entièrement en flammes.

Ce même jour, ils comprennent la marche des convois hippomobiles.

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Cuisine de campagne russe hippomobile KP-42

Ils sont formés de "rames" d’environ dix véhicules. A l’instant "T" , les rames paires au trot, doublent les rames impaires qui marchent eu pas. C’est astucieux et les chevaux (50% de pas) ne se fatiguent pas. Mais cela donne une impression de pagaie totale, surtout quand une file de camions roulent en sens inverse.

Les Russes ne leur donneront à manger qu’une seule fois : une soupe de viande et légumes super-grasse, nourrissante, qui appelle une vodka de dégraissage !

Ils furent autorisé une fois à se servir dans un grand jardin genre communal : ils cueillirent des asperges. Il y avait partout des silos de pommes de terre. Le groupe a réquisitionné du pain et fait des échanges contre du chocolat (très peu, mais très cher !) et des cigarettes.

Un jour, le groupe a tué un cheval au marteau ! avec l’aide d’un ouvrier français déporté très style "chef de gang". Appelons-le C.G.

Un soir, les Russes firent éclater toutes les munitions légères et semi lourdes ! C’était le 8 mai 1945 et ils apprennent ainsi la capitulation Allemande. Il y eu des accidents mortels. "Si la guerre avait continué, il y en aurait eu bien plus que ça" commenta un officier Russe !
Le 9 au matin, des valises furent dérobées à une moitié du groupe qui dormait. Les gendarmes Russes ne trouvèrent rien, mais ils étaient sans doute les auteurs du vol.

Le groupe passa deux jours dans un village servant de lieu de repos à des blessés légers. Nina est en béret avec une cape. Le groupe décida de la présenter comme une femme-soldat, et, si elle ne parle pas français, c’est qu’elle est Alsacienne. Les Russes sont sceptiques vu ses yeux bridés.

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Cosaques sur la place Rouge le 24 juin 1945

Les Russes, comportant un fort pourcentage d’Asiatiques, sont accueillants et d’une gentillesse spontanée. Mais ils ont un certain mépris de l’ex-prisonnier, se considèrent comme ayant droit à une reconnaissance totale des Occidentaux, et sont extrêmement susceptibles. L’absence de langue commune et leur inconscience du danger des armes touchant à l’infantilisme, rend les contacts parfois inquiétant et réellement dangereux.

Un petit nombre d’officiers et de commissaires du peuple constitue une élite élégante, distinguée et lettrée, qui tranche d’autant plus sur la masse qu’elle en est séparée par une absence totale de cadres de formation moyenne et intermédiaire. Ces officiers, moscovites ou ukrainiens, parlent couramment l’Allemand et les rapports entre eux sont courtois et agréables.

Un jours, lors d’un repas avec des officiers Russes, un camarade du groupe attaque le commandant russe :
"Que vous violiez les femmes et filles Allemandes, je comprends si c’est votre loi de la guerre, mais pas les Françaises et les Polonaises !" . Le commandant change de conversation. Rappel insistrant. Le commandant Russe frappe la table :
"Vous reprochez à Staline personnellement et à moi personnellement que les Russes violent des Françaises et des Polonaises ! . Que voulez-vous que Staline y fasse ! Et moi ! nous avons 85% d’Asiates. Vous croyez que quand ils ont traversé la Russie d’Europe, ça n’a pas été le même problème !".
Cela a arrêté la discussion mais ouvert des horizons !.

Un midi, quelques uns du groupe déjeunent avec une "capitaine" Russe, jolie et aimable. Charles Juppin lui fait du charme et en fin de repas , elle est prête à échanger son ceinturon réglementaire avec étoile rouge (très rare) contre le mien.

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ceinturon réglementaire Russe avec étoile rouge

Elle le déboucle, quand arrive un Commandant. Elle l’interroge. Il s’oppose à l’échange. "Je suis navré. Excusez-moi. Mais le ceinturon réglementaire est un insigne de commandement." Dommage.

Le groupe quitte le village de repos des blessés légers. Ils partent vers 9h à tois en avant-garde. Deux officiers Russes les rejoignent et les accompagnent. Ils ne parlent pas Allemand, ils causent un peu. Après 3 kilomètres, un Russe ouvre un étui, il y a quatre cigares. Il leur en donne à chacun une et coupe le quatrième en deux pour le partager avec l’autre Russe. C’est un geste vraiment exceptionnel, car un cigare est une fortune. Nous les allumons.

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L’équipement routier Russe.

Nous arrivons à un carrefour où se trouve une agente de circulation, elle est serré à la taille par un ceinturon. Elle signale aux officiers qu’ils n’ont pas le droit d’aller plus loin !
Adieux aux "tovaritch ruski".

Trois cent mètres plus loin, un soldat russe en vélo les croisent et s’arrête. D’un geste rapide, profitant de leur surprise, vole les trois bouts de cigare qu’ils ont en bouche et se sauve !

Le groupe dine un soir avec un médecin polonais de la Brigade polonaise rouge.
Il rentre de permission et rejoint son unité en bicyclette. Il leur explique le fonctionnement du service de santé Russe :
Un blessé rejoint la route la plus proche par ses propres moyens. Quand passe un camion , il le charge et le dépose à 15 ou 20 kilomètres de là, devant un hôpital. Il y a trois corvées de ramassage par jour...
Ce système donne satisfaction car, dit-il, les Russes ont le même système nerveux que Louis XIV - qui a perdu toutes ses dents par carie, sans que cela ne l’ai empêché de travailler dix heures par jour. Ils ne souffrent pas comme nous. Il n’en est pas de même des polonais et la brigade Polonaise qui a un système sanitaire calqué sur l’Armée Française avec des postes de secours avancés.
Dans un de ces postes, le médecin Polonais a vu arriver de la Division Russe voisine deux blessés :
 l’un avait eu un morceau de la paroi crânienne enlevé par un éclat d’obus et tenait son mouchoir sur le plaie.
 l’autre avait le jambe cassée étayée par une branche d’arbre.
Ils avaient, l’un et l’autre, fait cinq kilomètres !
On comprend, disait le médecin que les Russes refusent de signer la Convention de Genève : ce serait pour eux un lourd handicap sans avantage réel.

Ce n’est que le 12 mai 1945, après un périple de 250 kilomètres, en trois semaines, que ce groupe rejoindra les autres officiers français à Bunzlau à 150 kilomètres à l’Est de Dresde.

Le groupe qui s’est augmenté de quelques isolés et de Nina l’ukrainienne, s’intégrera à l’importante "colonie française" de Bunzlau qui comprend officiers et soldats français, déportés, déportés du travail, homme et femmes, et alsaciens, lorrains en uniforme allemand.

A l’entrée de Bunzlau, il y a des uniformes français. Un camarade les pilotent jusqu’au centre ville, devant une maison enrichie d’un écriteau ambitieux : « Bureau d’accueil français ». Ils déclarent leurs noms et qualités.
Ils s’inscrivent au bureau français qui immatricule avec délectation les brebies perdues et retrouvées, qui continuent d’arriver goutte à goutte. L’immatriculation nationale accomplie, les scribes les expédient à la Komandata. Là, ça dure un peu plus. A la manière russe, chacun est prié de décliner le prénom paternel. Voici Charles, fils de Georges, personnage de Tchekhov, en proie aux vibrations étranges de l’âme slave. L’enregistrement est laborieux. Les Popofs leur font répéter plusieurs fois les sons étranges qui les identifient dans leur curieux langages francophones et les transposeront phonétiquement sur leurs répertoires cyrilliques. S’y retrouveront-ils ?
(Silésie, morne plaine : page 393)

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23 mai 45 à Bunzlau (Archives de Charles Juppin)

La colonie française, sous la direction du Colonel Caillet, du 91è R.I. voisine avec les colonies belges, tchécoslovaques, etc... Six officiers français seront enterrés à Bunzlau.

Bunzlau est aujourd’hui une ville Polonaise.
Il y a une colonie et un quartier Français, un quartier Belge, etc...
Les membres du groupe retrouvent leurs amis de Zeithain, arrivés depuis plus de huit jours et qui les croyaient perdus corps et biens.

Le groupe occupe une maison et complète l’équipement par des matelas des maisons voisines : c’est facile car ils sont toujours en trois morceaux. La vaiselle et les couverts sont dans des nappes au jardin. Les prédécesseurs n’ont pas fait la vaiselle : normal.

Il y a une école d’Alsaciens-Lorrains. Chaque arrivant indique son village et est interrogé par des membres de ce village voisins. Quel est le nom du curé, celui de tenancier du bistrot, l’âge du maire ?...Et le candidat reçoit un brassard tricolore...ou est remis aux Russes. Les Alsaciens-Lorrains n’ont qu’une quinzaine d’uniformes Français qu’ils échangent pour sortir à tour de rôle.

Le dimanche 13 mai 1945 aura lieu une grand’messe à l’église, la fête de Jeanne d’Arc ; curé Allemand, diacre et sous-diacre Français.
La nef de droite est occupée par les civils Allemands et celle de gauche par les Français. Dans le fond, d’un côté : des prisonniers Allemands, de l’autre des Alsaciens-Lorrains en uniforme Allemand avec brassards bleu, blanc, rouge.

Il paraît que les relations entre le colonel-doyen « Baudrier » et les Popofs se tendent. Il y aurait eu échauffées et pas le plus petit signe avant-coureur de rapatriement. (Silésie, morne plaine : page 404)

Charles Juppin est chargé par le Commandement de créer une section hippomobile pour le transport de l’intendance, car l’intendance française nous nourrit un peu. J’ai vite des volontaires, des carioles, un local et des cheveaux volés. Mais les Russes reprennent souvent les chevaux et il faut en voler d’autres.
Charles sera très aidé par son ami C.G.

En fin de séjour, Charles obtiendra des laisser-passer "valables une journée"

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N.K.O. Autorité Militaire (Russe) Poste aux Armées
Laisser passer pour la possibilité de se mouvoir avec des chevaux et en voiture avec des produits alimentaires pour le commando n°170.
Le Commandant du centre n°
(Archives de Charles Juppin)

Mais le Russe lui explique : "Vous mettez la date au crayon. Le lendemain, vous l’effacez et remettez la date du jour. Et ainsi de suite".

A l’escadrille Niemen-Normandie, l’échange des consignes se faisait entre Capitaine Russe et Adjudant français.
10% (maximum) des officiers et des commissaires du peuple sont remarquables : tenue correcte, bonnet d’astrakan, parlant Allemand, connaissant l’histoire et la littérature Française...des "aristocrates" !
Les autres sont bien entraînés à leur tâche, mais du niveau des derniers des manoeuvres Français. Pas d’intermédiaires.

Charles Juppin a vu le transfert de machines à coudre de bonneterie : lancées du premier étage sur le trottoir, puis ramassage pour mise en camion !
Il y a eu des corvées de ramassage de pianos : camions, chauffeur, personnel de manutention et spécialistes essayant et choisissant les meilleurs pianos. Au changement de largeur des voies, un ami de Charles a vu des champs de pianos sous la pluie.
Les officiers "aristocrates" sont d’un matérialisme total, contrastant avec le charme de leur acceuil. Pour eux, un "homme" vaut 1/8e de G.M.C. : ils raisonnent en conséquence, sous toutes réserves...
En tout cas, c’est le pays des contrastes.

20 mai, c’est la Pentecôte. Inspiré d’en haut sans doute, le Bureau français a décidé une « prise d’armes ». Le IV D défile en l’honneur de la victoire sur la grand-place, devant le colonel-doyen « Baudrier » et son "état-major". Les colonels ont déniché, Dieu sait où, des tambours et clairons. Les notes alertes de Sambre-et-Meuse tendent les jarrets. (Silésie, morne plaine : page 415)

L’après-midi un camarade passe en courant et jette, radieux : « Baudrier vient de sortir du Bureau français, tout excité, criant "Départ jeudi prochain 24 avec cinq jours de vivres pour Torgau, sur l’Elbe, et remise aux Américains"... » (Silésie, morne plaine : page 416)

C.G. sort avec une Russe. Ils ont un enfant. Comment les ramener en France ? Le Colonel écrit aux Russes pour demander l’autorisation de les marier "pour raisons de convenance sociale". Autorisation accordé. Mariage par le Colonel, officier d’état civil. Charles Juppin sera l’un des témoins.

Il fait toujours très beau temps, ensoleillé et chaud.

Le soir du 8 mai, dans l’euphorie du feu d’artifice des munitions de petit et moyen calibre, les Russes ont mis le feu à une maison. Cinq français ont été brêlés. Cinq tombes ont été creusées au cimetière catholique. Mais il n’y eu que quatre cercueils car il ne restait rien du cinquième brûlé.

Un Français est décédé à l’hôpital. Il est protestant. Malgré la double opposition du curé et du pasteur Allemands, que prêtres et pasteurs français ne peuvent convaincre, il est décidé de l’enterrer auprès de ses camarades français au cimetière catholique.

Les obsèques doivent avoir lieu l’après-midi...mais le matin, ordre aux Français de prendre le train en gare, en vue de rejoindre la zone américaine. Un accord d’échanges a, en effet, été passé entre Russes et Américains qui nous évitera le détour par Odessa.
21 mai, sur la grand-place, il y a attroupement. Il en sort des cris. Un camarade se retourne et lance aux derniers arrivés : « On ne part pas jeudi mais ce soir même...et en train ». (Silésie, morne plaine : page 417)

Tout le monde part en gare.

La longue rame fait cinquante wagons. A cinquante-sept par boîte, ça fait près de trois mille hommes. La Komandata a joint aux mille oflagiens de Jacobsthal ( Zeithain) deux mille stalagiens du coin.(Silésie, morne plaine : page 418)

Quatre personnes restent : Charles Juppin, le Colonel Caillet, un pasteur Français, C.G...et Nina.

Charles demande à C.G. de venir à 14h avec un véhicule propre.
Et à 14h, il sera là...avec un corbillard avec bardeaux et pompons.
Surprise : 200 belges sont venus remplacer les Français et suivre le cordillard. Ils recreuseront la cinquième tombe qui a été rebouchée...sur instructions du curé ?
Prières du pasteur français. Adieux aux cinq français.

Et retour...le train n’est pas parti.

Et Nina ? Le groupe a tenté de la faire réintégrer la Grande Russie, grâce aux bons rapports d’un médecin Français et d’un médecin Russe qui ont travaillé en captivité dans le même hôpital Allemand.
De toute façon, elle ne peut éviter les "étrennes", au mieux quatre à cinq Russes "choisis"...
Le groupe a fait connaissance d’une lithuanienne et sa fille (vingt ans, superbe). Elles attendent le père de famille qui, libéré avec elles des Allemands, a été redéplacé par les Russes...
Le groupe leur confie Nina...et leur donne les vivres qui leur restent.

Certains membres du groupe voulaient ramener Nina en France.
Serait-elle admise ?
Dans son intérêt, Charles Juppin n’était pas partisan de l’emmener.
Mais toute sa vie, il a regretté sa décision, et il s’est demandé s’il avait eu tord ou raison...
Charles ne dit pas tout dans ses mémoires....

Le groupe a touché des vivres de route : de la farine !

Charles Juppin rejoint le tain en attente en gare. (pas de locomotives en état de marche) Les prisonniers "libres" passeront la nuit dans les wagons. Le train partira le lendemain 22 mai vers 4h.

De saut de puce en saut de puce, le train avance dans la bonne direction....puis coupé d’arrêts de plus en plus fréquents...
23 mai : A Wildgrube, petite gare de campagne, la halte se prolonge de façon préoccupante.
Soudain, un ordre circule : « Tout le mode descend avec bagages. Départ à pied dans un quart d’heure...Le pont de l’Elster devant nous est coupé. »
(Silésie, morne plaine : page 422)

Le train les abandonnera vers 24h pour leur permettre de passer un fleuve sur une passerelle (l’Ester noire ?)
Nouveau départ.

25 mai : après un parcourt à pieds en épingles à cheveux et deux nuits, deux cyclistes roulent vers les marcheurs. « Baudrier », arrivé la veille à Torgau, les dépêchent à la rencontre des retardataires : « Dépêchez-vous. Des camions américains viennent nous prendre au début de l’après-midi pour nous emmener à Leipzig où nous prendrons le train, peut-être l’avion, pour Paris... » (Silésie, morne plaine : page 429)

A la sortie de Werdau, de chaque côté de la route, se faisant face, se dressent deux portiques légers faits de lattes minces, ornés de feuillages fanés et de fleurs de papier multicolores. Une double inscription, latine et cyrillique, explique qu’ici les soldats de maréchal Koniev et du général Patton se sont fraternellement rencontrés le 25 avril. (Silésie, morne plaine : page 430)

Passage de l’Elbe : en amont, orchestre russe !
En aval : deux sentinelles couchées dans l’herbe font le V de la victoire.

Le 25 mai, c’est le retour par wagons à bestiaux presque au point de départ, à 50 kilomètres au Nord-Est, sur l’Elbe à Torgau.

Une nuit en caserne.

Le lendemain 26 mai, nous partons vers un immense champ, sous le soleil, avec rien à boire ni à manger.
Immense panneaux : tableaux de Staline, du Commandant de l’Armée, etc...

Interminables discours : discours d’adieu du Colonel Français, traduction en Russe, traduction en Français ...et attente...
Vers 16h, arrivée des camions américains remplis de Russes : soldats, civils, femmes. Echange nombre pour nombre à un portillon.

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Camion américain GMC 353 CCKW 1944

Les anciens prisonniers Français montent à 25 par camions G.M.C. plateaux, debout, pas de hautes ridelles. Il y a un chauffeur noir et un M.P. (Military Police) par camion.

Il semble que les Divisions ont été envoyées au front bien équipées, mais elles ne recevront aucun rechange jusqu’à ce qu’elles soient considérées comme "consommées". D’où les Russes impèccables auprès d’autres loqueteux et moitié civils. Il y a beaucoup d’officiers : un capitaine et un aspirant par char de cinq hommes (en france : un lieutenant pour deux chars).

Et c’est le transport en G.M.C. plateaux aux camp d’aviation américaine de Polenz, près de Leipzig. C’est l’adieu à la zone russe.

Ils expliquent à la sentinelle qu’ils sont par groupe de 50. Chaque groupe a un chef qui a la liste des rattachés et les connais.
Réponse négative : "No, Right officiers ! Left, men !"
Palabres. Impossible de voir un officier. Ils finissent par obéir : colonne d’officiers.

Chaque groupe de vingt aura droit à une pièce-réfectoire avec vingt rations, vingt bières, vingt paquets de cigarettes. Ensuite, salle-dortoir avec vingt lits. Aucune explication.

Le lendemain, vers 9h, départ en camion.

Ils passent devant la cathédrale de Leipzig. C’est dimanche 27 mai 1945. Sur le parvis, femmes élégantes en robe blanche avec chapeaux... Ignorent-elles que dans huit jours, elles seront "zone Russe" avec, il est vrai, "une occupation plus occidentale" qu’à l’est de l’Elbe ? Mais quant même !

Arrivée à la gare de Leipzig pour prendre le train.

C’est le 29 mai 1945 que Charles Juppin et ses camarades franchiront le "Rossevelt Memorial Bridge" à Mayence et le 30 mai 1945 la frontière germano-française à Wissembourg.

Après deux jours de train : "Ici commence le pays de la liberté"

Arrivée à Sarrebourg, située dans le sud du département de la Moselle, près de la limite entre la Lorraine et l’Alsace, pour les formalités administratives et sanitaires. La "doctoresse" demande à Charles Juppin des nouvelles de son mari qu’il a bien connu à l’Oflag IV D, à Hoyersverda. Mais il ne l’a pas vu depuis le 15 février 1945. Il la rassure lors d’une agréable causerie. Au moment des adieux, il se prépare au baise-main, quand il réalise qu’il est "à poil".

Retour à la gare de Sarrebourg, pour prendre le train vers Paris.

Charles Juppin descend à Nancy ! Ouf ! plus de hiérarchie ni d’organisation. Tous les hôtels sont "For Américains only". Il est accueilli par une famille avec quatre soldats. Acceuil de la famille charmante, ils boivent une bouteille de Champagne restant de la communion de la gamine.

Le lendemain, chez Suzanne Touche, Charles Juppin prends un bain, tandis qu’elle lave sa chemise de marin allemand, et repasse son pantalon. Il téléphone ensuite à sa famille à Charleville...où il sera le soir.
C’est le 30 mai 1945 !

Le village a été débaptisé pour avoir exagérément résisté en avril 1945 à l’Armée Rouge : d’Elsterhorst il est devenu Nardt. La petite ville d’Hoyerswerda dont les prisonniers apercevaient au loin le clocher pointu de cuivre verdi s’est métamorphosée en cité d’immeubles standard et s’enrichit, entre parenthèses, d’un nom polonais par chance prononçable : Wijercey.
(Silésie, morne plaine : page 474)

Le petit oiseau Russe

Un cultivateur se rend aux champ. Il fait très froid, et il voit un petit oiseau mourant de froid. Comme il a bon coeur, il le ramasse et le met contre sa poitrine.
Mais le petit oiseau ne se réchauffe pas.
Le paysan voit une bouse de vache chaude et encore fumante.
Il y fait un trou, y pose le petit oiseau, le recouvre et poursuit son chemin.
La bonne chaleur pénétre le petit oiseau qui se réveille, passe le tête et se met à chanter.
Le renard russe qui passait l’entend, l’écoute, s’approche et le mange.

De cette triste histoire, il y a trois conclusions à tirer :
1.- Celui qui vous y met, n’est pas forcément votre ennemi.
2.-Celui qui vous en sort n’est pas forcément votre ami.
3.- Quand on y est jusqu’au cou, il vaut mieux pas chanter.

Selon Nikita Khrouchtchev, cette histoire du folklore russe illustre bien les rapports entre nations atomiques.

Résumé de ce texte publié par Charles Juppin le 03 décembre 1974 dans la revue du Rotary club de Charleville-Mézières

Trame largement complétée par le récit des mémoires de Charles Juppin écrit plus tardivement, quelques années avant son décès.

Un mois en zone Russe en 1945
1.- 15 avril 41 au 19 février 45 interné à Oflag IV D, à Hoyersverda
2.- 25 février 45 au 01 avril 45 interné à Colditz
3.- 01 avril 45 au 23 avril 45 interné à Zeithain et arrivé des cosaques russes
4.- 12 mai 45 au 22 mai 45 250 kilomètres pour arriver à Bunzlau
5.- 24 mai 45 au 26 mai 45 train pris à Torgau
6.- 26 mai 45 au 27 mai 45 échange "nombre pour nombre" à Polenz
7.- 30 mai 45 retour en France par Wissembourg.

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Le 15 février 1940, jour de ses 25 ans, Charles Juppin prit le commandement du détachement de circulation routière du 3e Régiment de Cuirassé, dans les rangs duquel il s’est illustré dans les Ardennes durant l’offensive allemande avant d’être fait prisonnier le 16 juin 1940 et interné à l’Oflag IV D, à Hoyersverda, en Silésie. (Archives de Charles Juppin)

Ses dates

1936-1937 Saumur
 Général de la Laurencie
 Colonel Delest
 Capitaine Boucaud
 Lieutenant Veste

1937 - Metz
 Chef d’escadron Bremont
 Lieutenant Peltier, Evain, Broutin, Barlon, Dulau
 Sous-lieutenant Couaillier

1938-1940 - Sous Direction du Train
 Colonel Foare
 chef d’escadron Lachaux
 Capitaine Crozet et Delpech
 Lieutenant Hanseler
 Adjudant Dubuc

1940 - 3e Division Cuirassée
 Capitaine Delpech et Simonpieri
 Lieutenant Bardon et Juppin
 Sous-lieutenant Cazenave
 Aspirant Moreau, Parot et LaPorte


Pour en savoir plus :

 La famille Hanotel 1719-1952 sur sept générations le 14 janvier 1952.
 Philippe Simon Consul en Chine.
 Charles Juppin passe un mois en zone Russe en 1945- le 03 décembre 1974
 Deux soeurs Daugenet à la tête de la Bonneterie des Ardennes le 04 décembre 1986
 Charles Juppin, Président de la Fédération du Bâtiment des Ardennes en 1976- 23 avril 1994
 Tante Guite, Sœur Elisabethle le ‎12 ‎novembre ‎2018.
 Parrainé par le Champagne le 04 novembre 2019