Le musée de la coutellerie est un musée municipal situé à Nogent dans le département français de la Haute-Marne en région Grand Est. Avec le Mémorial Charles-de-Gaulle et la vannerie de Fayl-Billot, il fait partie de l’un des sites identitaires du département.
Ce musée présente, à travers ses collections, l’histoire et la spécificité de la coutellerie de Nogent et de son bassin, du XVIIIe siècle à nos jours. Ce musée des sciences et techniques porte l’appellation « musée de France » et est labellisé « Tourisme et Handicap » (moteur, mental et visuel).
La coutellerie de Langres
À l’origine, la coutellerie apparaît à Langres au XIVe siècle pour atteindre son apogée au XVIIIe siècle avec près de 100 maîtres-couteliers en 1740. Elle est organisée en corporation avec des réglementations très strictes afin de limiter la concurrence et la contrefaçon. Il est par exemple interdit pour un coutelier non langrois d’apposer la marque « Langre[s] » sur sa production. C’est pourquoi un grand nombre d’entre eux s’installent à Nogent et dans son bassin afin d’exercer librement le métier.
À la fin du XVIIIe siècle, l’édit de Turgot (1776), la Révolution française et la loi Le Chapelier (1791) touchent durement la coutellerie langroise, déjà en constant déclin, en supprimant les corporations. Les maîtres-couteliers deviennent simples marchands et s’approvisionnent dans les campagnes environnantes en pièces de coutellerie.
Les premiers « cousteliers » de Nogent apparaissent dans les écrits en 16714.
Au 19e siècle, la coutellerie de Nogent atteint son apogée avec près de 6 000 paysans-couteliers et ouvriers à domicile et en usine. Néanmoins, Langres reste le principal centre de commerce de coutellerie de la région jusqu’au milieu du 19e siècle ; les maîtres-couteliers langrois, devenus couteliers-marchands, procurent aux couteliers du bassin nogentais les matières premières nécessaires à la fabrication, puis récoltent les produits finis sur lesquels ils apposent leur propre marque afin de les vendre sur le marché local, national et international5.
Maison Thinet (Paris) avec comptoir d’achat à Nogent
Réputés pour leur savoir-faire et la qualité de leurs productions, les couteliers du bassin nogentais travaillent non seulement pour les grandes maisons langroises (Guerre, lBeligné) mais également des maisons nogentaises (Guillemin-Renaut, Georget, Lessertois), parisiennes (Tichet, Thinet), lyonnaises (Lépine), lesquelles établissent des comptoirs d’achat à Nogent.
On qualifie de coutellerie de Nogent la coutellerie fabriquée, non pas seulement à Nogent mais dans le bassin nogentais. C’est-à-dire dans un rayon de 20 km autour de la ville de Nogent, ce qui représente une quarantaine de villages, chacun spécialisé dans une ou plusieurs types de production. De plus, le terme de "coutellerie" regroupe les 7 grandes classes de la coutellerie :
– coutellerie fermante (canifs, couteaux de chasse, etc.),
– coutellerie de table (couteaux de table, services à découper, etc.),
– coutellerie professionnelle (couteaux de boucher, de cuisine),
– cisellerie (ciseaux à broder, de tailleur, etc.),
– outillage à main (sécateurs, serpettes, etc.), instrumentation chirurgicale (pinces, écarteurs, etc.) et
– coutellerie de toilette (pinces à épiler, limes à ongles, etc.).
Si cette coutellerie est diversifiée dans ses productions, elle est également caractérisée par sa qualité notamment en termes d’utilisation de matériaux nobles (nacre, écaille, ivoire) et du raffinement des pièces tant dans leur fabrication (forgeage, trempe, polissage, finition) que dans leur esthétisme et leur créativité ; on parle de coutellerie fine (ou de luxe).
Cette qualité s’explique également par un travail exécuté à la main et de bout en bout pour le compte de grandes maisons françaises. Certains couteliers se sont d’ailleurs distingués de par l’excellence de leurs fabrications comme Nicolas Pierre Pelletier et sa dentelle d’acier8 ou encore Joseph dit Emile Drouot et son art d’exceller au façonnage des matériaux précieux.
Usine Collin (Nogent) vers 1920
Avec la révolution industrielle, le visage de la coutellerie change radicalement. À côté de ces petits ateliers où les pièces sont fabriquées à la main et de bout en bout, apparaissent vers 1850 des manufactures pouvant compter jusqu’à une centaine d’ouvriers. La mécanisation, rendue possible grâce à l’apparition de nouvelles sources d’énergie, permet de produire un plus grand nombre de pièces par l’intermédiaire de la technique de l’estampage. Les ouvriers, et même certains établissements, se spécialisent dans une tâche répétitive (estampage, émouture, polissage).
L’activité coutelière nogentaise connaît une prospérité inégalée entre 1870 et 1880. Cependant, l’implantation tardive du chemin de fer, qui permet la livraison des matières premières, tout comme celle de l’électricité, lui a été défavorable par rapport à Thiers, autre centre coutelier situé dans le Puy-de-Dôme, lequel a su s’adapter rapidement.
Ce système entre en récession dès la fin du XIXe siècle et les 6 000 ouvriers que M. Savouret recensait sous le Second Empire ne sont plus que 1 750 en 1975, puis 80 environ en 2015, chez une petite dizaine d’artisans (20 à 25 emplois), Daguin estampage à Is-en-Bassigny (14 salariés) et Nogent*** / Kimex (43 personnes) .
En fait, le déclin structurel de la coutellerie / cisellerie s’explique par plusieurs facteurs cumulatifs.
Le premier, extérieur à la région et à la profession, vient de la mutation de cette activité dans le domaine productif et commercial. La grande distribution a fait entrer la coutellerie dans la catégorie des productions standardisées soumises à une forte pression sur les prix et la recherche de produits pouvant passer au lave-vaisselle renforce ce processus de standardisation / banalisation. Le développement de la concurrence étrangère renvoie quant à elle à l’ouverture des frontières. Pour cette production gourmande en main-d’œuvre, l’avantage va rapidement à l’Asie, au Pakistan surtout et on assiste alors à un processus d’envahissement du marché par des produits à bas prix importés.
Le second groupe d’explications renvoie à un milieu local incapable de s’adapter. On constate bien vite cet « individualisme forcené » qu’évoque un de nos interlocuteurs : les artisans ne se connaissent guère, échangent peu. Certes, il y a la Confrérie du Bassin Coutelier Nogentais, qui a d’ailleurs lancé la marque « Le Nogentais » (2011)… mais elle n’est exploitée que par un seul fabricant. Il n’y a pas en revanche de vraie structure interprofessionnelle susceptible de donner une nouvelle impulsion au métier et au produit. Ajoutons à cela le problème de la transmission des savoir-faire. Les couteliers peinent à former des apprentis, les formations spécifiques en collège sont confrontées au recul des candidats et les difficultés de recrutement sont réelles. Or, une hypothétique relance par le haut de gamme ne peut que passer par l’expression de ces savoir-faire...
l’instrumentation chirurgicale et les dispositifs médicaux
Cette activité coutelière et métallurgique va toutefois connaître une réorientation progressive, depuis la guerre, une mutation vers des créneaux novateurs et porteurs, sous l’impulsion de quelques entrepreneurs dont il faut retracer le parcours.
Les Landanger sont à la base de cette réorientation. Le couple, artisan ciselier et coutelier installé à Mandres-la-Côte en 1947, se lance dès l’année suivante dans la fabrication d’instruments chirurgicaux et innove en court-circuitant les grossistes pour démarcher directement les chirurgiens. L’affaire se développe très vite sur ce créneau très porteur et s’installe à Chaumont où elle passe au stade industriel dès les années 1960, puis aborde la fabrication des prothèses de hanche (puis d’autres articulations), ce qui conduit à usiner de nouveaux matériaux (titane, cobalt, alumine…) et à implanter des succursales commerciales à l’étranger. Landanger assure le cycle complet de production en élaborant les tiges forgées ainsi que les rotules recouvertes de matériaux spécifiques, cette dernière opération se nourrissant d’un gros travail de recherche et conduisant au dépôt de nombreux brevets. L’affaire est vendue en 1997 et est désormais contrôlée par Greatbatch, le groupe américain fondé par l’inventeur du pacemaker.
Il existe encore actuellement quelques couteliers, professionnels et « hobbystes », qui s’attachent à faire perdurer ce savoir-faire traditionnel. Si les savoir-faire sont préservés grâce à une main d’œuvre hautement qualifiée, ils ont aujourd’hui évolué vers d’autres domaines : automobile, aéronautique, médical.
Les prémices du Musée de la coutellerie
Philippe Savouret retrace la première partie de son histoire : de l’année Diderot à la Cité des sciences et de l’industrie.
En 1984, c’est l’année Diderot (1713-1784) bicentenaire de sa mort. A cette occasion, Jack Lang ministre de la Culture, lance un grand projet, hommage à Denis Diderot : cette opération est appelée “Encyclopédie vivante”, en référence à l’œuvre majeure du philosophe. Mais bien plus encore. L’idée est de confronter les techniques, ces métiers du XVIIIe siècle avec les technologies actuelles employées dans des activités industrielles, artisanales ou artistiques.
Chaque région ou presque est concernée par ce projet fédérateur.
En Champagne-Ardenne chaque département s’y retrouve et en Haute-Marne Langres et Nogent, puisque la coutellerie, la cisellerie et l’instrumentation chirurgicale étaient bien présents au XVIIIe siècle. Rappelons que le père de Denis Diderot, Didier Diderot, était maître coutelier. Jack Lang délègue Jacques Darolles, alors directeur de la Maison de la culture André-Malraux de Reims, pour être le coordinateur de cette vaste opération. Jacques Darolles, fin 1983, annonce à l’ensemble des régions cette opération avec appel à projets.
Le 20 janvier 1984, il réunit à Reims tous les participants de toutes les régions avec Jack Lang qui clôt cette journée en rappelant l’importance de cette année Diderot, prise en compte comme commémoration nationale.
« J’y étais avec Germaine Gallier alors adjointe chargée du suivi de cette magnifique opération pour la Ville de Nogent. Donc je fus de l’aventure dès la première heure », se remémore Philippe Savouret. Dès que les projets nationaux et régionaux ont été mis en place, Nogent s’est positionné pour travailler dans ce sens. Claude Boulud, alors principal du collège, a été le catalyseur et le coordinateur de l’opération. La première réunion s’est tenue en mars 1984 ».
Cette première rencontre a réuni tous ceux qui était potentiellement partie prenante : industriels, artisans, chambre syndicale, Ville, enseignants et ceux qui se sentaient concernés par le patrimoine nogentais comme Jean-Marie Roulot, Jean Pionnier, Jacques Candelier, Denis Duval, Véronique Deruelle et Philippe Savouret.
« On peut dire rétroactivement que c’est cette réunion qui fut le déclencheur de différentes opérations aboutissant à la création du musée ».
- 4 juin 1985 : Naissance de l’Association pour la sauvegarde et la Promotion de la culture scientifique et technique du Bassin nogentais / Encyclopédie Vivante.
4 juin 1985 : Naissance de l’Association pour la sauvegarde et la Promotion de la culture scientifique et technique du Bassin nogentais / Encyclopédie Vivante.
Création du musée de la coutellerie de Nogent
Parallèlement à la « fièvre muséale » qui s’empare des années 1980, l’idée de « créer un musée de la coutellerie qui pourrait constituer le point de départ d’un musée des Arts et Traditions Populaires de la Haute-Marne » est évoquée en 198112.
Porté par la ville de Nogent et l’association Encyclopédie vivante, appuyées par les services de l’État, de la Région Champagne-Ardenne et du Département de la Haute-Marne, le projet prend forme à partir de 1986 avec la nomination de Cyril Dumontet en tant que chargé d’études.
En concevant une structure multifonctionnelle, Cyril Dumontet dépasse le concept patrimonial d’un musée pour des orientations plus larges, pluridisciplinaires, adaptées à la réalité locale ; l’Espace Pelletier, en hommage à Nicolas Pierre Pelletier, ciselier hors pair, est créé avec cinq fonctions complémentaires et synergiques : technologie (Centre régional d’innovation et de transfert de technologie), création, animation (Syndicat mixte du bassin d’emploi de Nogent), communication et musée.
Travaux de réhabilitation, 1989-1991
Conduits par le cabinet d’architecte Gecit (Langres), les travaux de réhabilitation commencent en 1989 pour s’achever en 1991.
- L’Espace Pelletier à Nogent, en Haute-Marne, est inauguré le 22 mars 1991 en présence d’Hubert Curien, ministre de la Recherche et de la Technologie et de Jean Kaltenbach, président de la région Champagne-Ardenne.
L’Espace Pelletier est inauguré le 22 mars 1991 en présence de Georges Laferrière, prefet de Haute-Marne, d’Hubert Curien, ministre de la Recherche et de la Technologie et de Jean Kaltenbach, président de la région Champagne-Ardenne.
- Georges Laferrière, prefet de Haute-Marne, d’Hubert Curien, ministre de la Recherche et de la Technologie, saluent Cyril Dumontet chargé d’études « Espace Pelletier : Centre de culture scientifique, technique et industriel », puis 1er conservateur du musée de la Coutellerie à Nogent .
Confronté à l’éclatement de sa structure avec la disparition du SYMBEN en 2004 et le déménagement du CRITT MDTS au Pôle technologique de Nogent en 2008, cet équipement porte désormais la seule appellation de « Musée de la coutellerie ».
- 22 mars 1991 : Inauguration à Nogent, en Haute-Marne, par Hubert Curien, ministre de la Recherche et de la Technologie du Musée de la coutellerie et d’ une antenne du CRITT -MDTS : le Centre régional d’innovation et de transfert de technologie - Matériaux, Dépôts et Traitements de Surface.
Publié par Philippe Savouret dans le JHM (journal de la Haute-Marne) du 12 mars 2022. https://www.jhm.fr/
- 22 mars 1991 : Inauguration du « Musée de la coutellerie » en présence d’Hubert Curien, ministre de la Recherche et de la Technologie.
- 1988 : installation à Nogent, en Haute-Marne, d’une antenne du CRITT -MDTS : le Centre régional d’innovation et de transfert de technologie - Matériaux, Dépôts et Traitements de Surface.
- 22 mars 1991 : Inauguration à Nogent, en Haute-Marne, par Hubert Curien, ministre de la Recherche et de la Technologie du Musée de la coutellerie et d’ une antenne du CRITT -MDTS : le Centre régional d’innovation et de transfert de technologie - Matériaux, Dépôts et Traitements de Surface.
- « Cet espace fondamentalement novateur est la synthèse, l’expression et l’affirmation d’un passé, d’un présent et d’un avenir [...] . Un passé caractérisé par une inventivité artistique et technique historique [...] ; un présent où des compétences nouvelles apparaissent [...] ; un avenir qui se forge et se ciselle dès aujourd’hui [...]. » Cyril Dumontet, 1er conservateur du musée de la Coutellerie à Nogent .
Pour en savoir plus :
– Le "made in" Drouhin en juillet 1985.
– Lancement des réseaux de diffusion technologique le 14 décembre 1988
– Création du musée de la coutellerie de Nogent le le 22 mars 1991
– Champagne-Ardenne : Les couteliers de Haute-Marne affûtent leur image le le 06 décembre 2001
– Inauguration de la Médiathèque Bernard Dimey à Nogent le 10 mai 2007
– De la tradition artisanale coutelière aux implants chirurgicaux et au Cluster Nogentech
– Hommage à Renée Landanger, femme visionnaire, décédée le 06 juillet 2017 à Chaumont
– « Haute-Marne : de la coutellerie à la MedTech »
– Monsieur Émile Drouhin, meilleur Ouvrier de France, est décédée le 24 mars 2019.
– Haute-Marne : la mode du “Made in France” peut-elle sauver les couteliers de Nogent ?
– Nogent Trois Étoiles, dernier coutelier industriel et fine lame du bassin nogentais
– Nogent Trois Etoiles perpétue l’industrie coutelière de Haute-Marne
– Le Haut-Marnais Fabrice Liiri, dernier ciselier d’art de France, veut transmettre un savoir faire unique le 18 décembre 2020
– La coutellerie de Nogent, en Haute-Marne, subsiste toujours avec quelques fines lames le 08 janvier 2021
– Jacques Mongin, coutelier d’exception, décédé le 23 avril 2021.
– Étude sur l’accessibilité des musées aux personnes déficientes visuelles le 06 septembre 2021
– Musée de la Coutellerie à Nogent : 31 ans déjà ! le 03 juin 2022